Quelle est la symbolique sociale, sociologique, esthétique... du costume cravate ?
Question d'origine :
Bonjour,
Aujourd'hui, le fait qu'un homme porte un costume(costard): veste,pantalon, chemise,cravate
Quelle symbolique sociale,sociciologique,esthétique.....?
Est ce un vêtement du passé? Est il porté pour des occasions particulières...Quel est son "statut" dans la France d 'aujourd'hui? et autres informations en matière d'usage et de perception
Merci pour votre réponse !
Réponse du Guichet
Le costume masculin auquel vous faites référence peut être également dénommé "tailleur" ou "costume cravate" selon les époques.
Plus génériquement, dans le lexique de la mode, il s’agit d’un complet.
Il n’existe pas, à proprement parlé, d’ouvrages traitant strictement de ce type de vêtement, selon nos sources.
La mode est en effet un sujet d’étude relativement "jeune" et parfois les écrits, analyses, sources sur certains thèmes sont plutôt éparses.
Pourtant, d’illustres penseurs comme Pierre Bourdieu ou Marie Josée Mondzain se sont déjà intéressés à cet objet d’étude.
De nombreux livres sur la mode sont donc à venir, espérons-le, tant le vêtement nous occupe, peu ou prou, tous à chacun, chaque matin et qu’il mobilise tant de champs disciplinaires.
Aussi, nous vous proposons ici quelques extraits d’articles, de livres, vous permettant d’avoir quelques éléments de réponse.
"My tailor is rich" ?
La fonction symbolique
Selon Christine Bard, dans son célèbre essai Une histoire politique du pantalon écrit : "L’histoire classique du vêtement met en avant trois fonctions : la parure, la pudeur et la protection. L’histoire renouvelée du vêtement lui en ajoute une quatrième qui interagit avec les précédentes : une fonction symbolique."
Concernant la symbolique de ce costume, nous vous proposons les réflexions suivantes :
Dans L’histoire du costume, Françoise-Marie Grau, aux PUF écrit : "Les principales caractéristiques de la mode contemporaines sont la banalisation des usages, la diversité et l’universalité des tendances. La banalisation des usages […] est évidente : comme le remarque Ernest Renan dès 1883, il n’est plus de costume qui indique avec certitude la position ou les fonctions d’un individu, qui permette de situer d’emblée une personne que l’on ne connaît pas. Le costume n’est plus, ou est de moins en moins, ce qu’il a été pendant des siècles : le signe d’appartenance à une classe ou à un statut social" (p. 104).
De cravate justement, il est question dans un autre podcast de France culture. Le regretté anthropologue David Graeber y voit un "déplacement symbolique du pénis ! "
A partir du livre de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre, Le magasin du monde, la mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours, France culture propose une série de pastilles radiophoniques sur 40 objets de la mondialisation. L’un des épisodes est consacré au complet-veston. On y lit que "de nos jours, le costume est peut-être moins distinctif qu’il l’a été au long de son histoire même s’il a gardé son prestige. Les dirigeants continuent de le porter mais peuvent abandonner la cravate, là où certaines professions comme les vigiles l’imposent encore".
Manuel Charpy (directeur d'InVisu (laboratoire CNRS-INHA) depuis janvier 2019. Chargé de recherche au CNRS, spécialisé en histoire de la culture matérielle et de la culture visuelle ) fait la remarque suivante dans cet article :
" Alors qu’il symbolisait l’homme indépendant, il est désormais plutôt imposé aux subordonnés, dans la sécurité par exemple tandis que le style "décontracté chic" s’impose désormais dans la plupart des milieux professionnels."
A lire à ce sujet : Comment l'Amérique est passée du « casual friday » au « casual everyday »
Notons que "la chemise blanche" est particulièrement marqueur d’appartenance à une certaine partie des classes dirigeantes.
L’expression "col blanc" est par ailleurs associée à cette distinction.
Rappelons à ce titre, l’épisode d’agressions d’un des cadres AIR FRANCE par un salarié. Il déchira notamment sa chemise immaculée, en déchira un morceau pour se l'attacher à l'avant-bras.
Au sujet de la dimension politique du vêtement, on peut lire :
Cet article sur Cairn
Les habits du pouvoir : une histoire politique du vêtement masculin de Dominique Gaulme & François Gaulme
Concernant le costume (au sens de vêtement), Christine Bard écrit : "Le costume reflète l’ordre social et le crée, permettant notamment, le contrôle des individus."
Pour poursuivre sur la portée symbolique, sociologique de ce type de vêtement, nous vous conseillons ces deux articles :
Porter un costume change la façon de penser
Cet article s’intéresse à une étude américaine portant sur la psychologie et ce que le vêtement induit en terme de comportement ou d’état d’esprit sur ceux et celles qui les portent.
Et puis plus directement :
Comment le costume cravate est devenu l’uniforme du monde moderne
En rebond, nous vous conseillons donc le documentaire du chercheur Manuel Charpy, auteur de l’épisode "Faire histoire" sur le costume cravate sur ARTE.
Enfin, selon une journaliste de Vogue, Maud Bass Krueger :
À partir du début des années 2000, le tailleur-pantalon commença à être vu comme une tenue assez conservatrice et surannée, malgré l’histoire de libération qu’il incarnait. Mais, à partir de 2005, la tenue connut un retour chez les créateurs comme Bottega Veneta et Chanel qui en présentèrent des versions stylisées sur les podiums de leur défilés automne/hiver 2015, tandis que Rihanna se présenta à la cérémonie des Grammy Awards de la même année dans un tailleur-pantalon oversized de John Galliano pour la Maison Margiela.
L’évolution formelle
Selon François Marie Grau dans son histoire du costume au PUF : "le costume masculin, les tenues classiques n’ont que peu évolué : elles se composent encore de costumes, droits ou croisés, assortis d’une chemise et d’une cravate, le cas échéant d’un manteau, que rien ne distingue vraiment de leurs devanciers du XIXe siècle […]. Le costume masculin n’échappe cependant pas à la modernité : à côté des tenues classiques, de moins en moins portées (ou, plus exactement, dont l’usage se limite aux occasions professionnelles et aux cérémonies, ce qui est un signe incontestable de déclin), sont apparues des tenues décontractées…" (p. 109-110).
Dans cet article de Vogue, on trouve ces informations : "Le costume trois-pièces, ou le complet (veston, pantalon et gilet) est né en Grande-Bretagne. C’est le roi Charles II qui l’y a introduit en 1666. Les hommes portaient de longue date des vestes et des pantalons assortis, mais le roi Charles II y introduit un troisième élément : le gilet, dans l’objectif d’encourager le commerce de laine britannique et de pousser la noblesse à délaisser la mode française."
Le tailleur apparaît au milieu du 19e siècle. Et Manuel Charpy de dire :
Le costume-cravate est un objet à la fois central et symbolique de nos sociétés modernes. Celui-ci s’invente à partir des années 1850, et s’impose très rapidement dans tous les grands centres urbains, en Europe et aux États-Unis bien sûr, mais dès les années 1890 il est présent en Asie, en Amérique Latine et en Afrique. Si on connaît plutôt bien l’histoire de la mode et du prêt-à-porter féminin, on connaît moins l’histoire de la mode masculine. Pourtant c’est bien elle qui est à l’origine de l’invention du prêt-à-porter. On pensait que l’on pouvait facilement standardiser le corps des hommes et beaucoup moins celui des femmes. Le service militaire a joué un grand rôle, puisque c’est au sein de l’armée que l’on a commencé à définir trois tailles différentes pour habiller tous les appelés qui étaient toisés et l’on pouvait ainsi définir des tailles moyennes.
François Baudot dans L’allure des hommes écrit : "Ceci étant, dans la société bourgeoise du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, le tailleur n’en demeure pas moins le pivot du costume masculin".
A ce sujet, il est à noter que le dandysme contribua à ancrer et diversifier les types de complets. Nous vous conseillons de lire Le dandysme : la création de soi de Daniel Salvatore Schiffer.
Aujourd'hui, le complet est toujours un item classique du vestiaire commun et potentiel créatif certain pour les créateurs.
Concernant le prêt à porter de luxe, les modèles font preuve d'audace et le classique complet sombre est chahuté, à l'image de ceux portés par Timotée Chalamet : "Élu homme le mieux habillé du monde en 2019 par le magazine britannique GQ (devant Brad Pitt), l’acteur Timothée Chalamet multiplie les apparitions glissé dans des modèles ultramode signés Celine par Hedi Slimane, Haider Ackermann, Alexander McQueen, Louis Vuitton par Virgil Abloh ou encore Stella McCartney. Là où tous les hommes affichent des smokings sombres, le Franco-Américain de 24 ans se démarque avec des ensembles colorés, fleuris ou pailletés, très souvent assortis d’accessoires décalés, tels un harnais ou de grosses bagues Cartier glissées à tous les doigts."