Les excréments humains contiennent-ils de l'ADN ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans la cadre d'une enquête, est-ce que si on retrouve des excréments humains, on retrouve à qui ils appartiennent car il y a de l'ADN dedans ?
De plus est-ce qu'il est possible de savoir les aliments ingérés (voir même le type de plat) ?
Merci
Réponse du Guichet
Les fèces contiennent effectivement un peu d'ADN, et peuvent dans certains cas être utiles aux légistes. Quant au bol alimentaire d'un défunt, il est exploitable quelques temps selon sa composition, sa quantité, l'âge du défunt et quelques autres critères.
Bonjour,
Une question comparable nous a été posée il y a deux ans. Nous répondions par l'affirmative :
Il est en effet possible de trouver de l’ADN dans ces types d’échantillons, même si ces traces sont moins efficaces que la salive ou le sang en raison de la quantité moins importante de cellules qu’ils contiennent.
Dans le cas des selles, leur analyse ADN peut constituer un outil de dépistage du cancer colorectal.
« Les excréments et l’urine contiennent toutes sortes de substances dont le corps se débarrasse mais peu ou pas de cellules. On considère que l’urine peut posséder quelques cellules qui se seraient naturellement décrochées des parois. Des exemples récents montrent que la découverte d’un profil ADN reste possible sur ce type de traces (une cambrioleuse identifiée avec du papier toilette) »
Source : police-scientifique.com
« La totalité de l’épithélium colique est renouvelée tous les 3 à 4 jours et chaque jour 10¹º cellules épithéliales sont éliminées dans les selles. »
Source : Association pour le dépistage du cancer colorectal en Alsace
La signature génétique de notre caca peut donc tout-à-fait servir à des enquêteurs sur une scène de crime. Mais pas seulement : l'analyse de coprolithes - des selles fossilisées - a récemment permis d'améliorer notre connaissance de l'histoire du peuplement de l'Amérique, selon Futura-Sciences :
Au XXe siècle, les archéologues se basaient sur des outils en pierre pour considérer que les premiers américains appartenaient à un seul groupe : « Clovis ». Aujourd'hui, nous savons que plusieurs groupes étaient présents sur le continent, avant même le peuple Clovis. De précédentes études se sont appuyées sur la datation au radiocarbone de coprolithes - des excréments fossilisés -, repérés dans la grotte de Paisley (Oregon), pour confirmer une présence humaine il y a au moins 12.400 ans ! Une estimation qui fait débat, puisque l'ADN trouvé dans des coprolithes est jugé peu fiable.
Mais une étude, publiée dans Science Advances, confirme à nouveau que des humains parcouraient déjà l'Amérique il y a plus de 12.000 ans. Grâce à l'analyse des traces de lipides décelées dans des coprolithes. Puisqu'il est possible de différencier les lipides produits par des humains de ceux produits par d'autres animaux, les scientifiques ont pu distinguer des lipides de chiens et d'humains... suggérant que des chiens consommaient des excréments humains. « Nous savons que les chiens font cela, explique Lisa-Marie Shillito, coautrice de l'étude, le fait que nous ayons des chiens qui l'aient fait à Paisley est une preuve très forte qu'ils étaient domestiqués et vivaient avec des gens ».
Preuve que non seulement nos déjections portent notre patrimoine, mais que les traces de celui-ci défient le passage du temps !
Précisons toutefois que le très complet Traité de médecine légale publié sous la direction de Jean-Pol Beauthier, au chapitre 4 "Les empreintes génétiques et les prélèvements en médecine légale" n'aborde pas le prélèvement de selles pour recherche d'ADN - peut-être parce que si un cadavres présente des selles exploitables, il aura par ailleurs d'autres tissus contenant plus d'ADN ? Toujours est-il que les auteurs insistent sur la nécessité d'effectuer un relevé rigoureux des taches biologiques suspectes et d'exploiter divers objets possiblement en contact avec des excréments - draps, vêtements, préservatifs, brosses à dents...
Concernant les restes d'aliments présents dans un estomac, leur identification dépend de leur degré de digestion. Le Traité de médecine légale s'attarde peu sur la nourriture en tant que telle, mais indique que "l'examen soigneux du contenu gastrique à l'autopsie s'avère primordial pour l'enquête judiciaire, permettant de retrouver le parcours effectué par la victime dans les heures qui ont précédé la mort", mais que celui-ci est parfois compliqué du fait que la vidange gastrique (fait pour l'estomac de se vider) a une durée très variable d'une personne à l'autre, mais dépend également de la quantité de liquide ingéré pendant le repas, de son contenu calorique, de la prise d'alcool ou de médicaments, des possibles états de choc ou de stress de la victime... il est à noter cependant que "certains aliments [très durs] sont peu ou pas digérés" - on les retrouvera donc dans le système digestive tant qu'ils n'auront pas été éliminés par le bas - et que "la qualité de la dentition" et "l'état enzymatique du système digestif" conditionneront également la digestion. Un tableau présente dans le même chapitre les durées indicatives de malaxation gastrique en fonction du type de repas : un gruau d'avoine ou un repas moderne mixé sera malaxé deux heures, un menu viande-légumes 4 à 6 heures... cette durée dépendant également des quantités ingurgitées : un "repas léger" restera en moyenne deux heures dans l'estomac, un repas moyen trois ou quatre heures, un repas lourd jusqu'à six heures... Des indications peu précises, mais qui ont le mérite de montrer que la composition du repas reste discernable pendant un certain temps après la mort :
Nous avons ainsi observé à quelques reprises, des bols alimentaires très peu digérés dans l'estomac de personnes décédées après plusieurs jours de mort cérébrale.
(Nous précisions à celles et à ceux qui voudraient consulter cet ouvrage qu'il faut avoir le coeur bien accroché car il est très richement illustré.)
Encore une fois, ces techniques de médecine légales peuvent se porter au service de la paléoanthropologie. L'estomac d'Ötzi, un homme mort il y a 5300 ans et tombé dans un glacier, ce qui l'a naturellement momifié, a été l'objet d'une étude "combinant plusieurs méthodes de criblage ADN et d'analyse des protéines et des lipides" parue en 2018 dans la revue Current biology :
Publiés dans la revue Current Biology, les résultats des analyses indiquent qu'Ötzi a consommé peu de temps avant de mourir de la viande de bouquetin et de cerf sous diverses formes (crue et probablement séchée), des céréales (de l'épeautre) et des tissus graisseux. En fait, presque la moitié de son repas était composée de graisses ce qui est inattendu. Il se peut que cette consommation importante de lipides soit liée à son environnement : pour affronter le froid des reliefs alpins, il fallait emmagasiner de l'énergie. Néanmoins ce régime gras a eu des conséquences puisque Ötzi qui était prédisposé aux maladies cardiovasculaires avait des artères dans un piètre état.
Autre élément surprenant : des traces de fougères toxiques de l'espèce Pteridium aquilinum ont également été découvertes dans l'estomac. Il est possible que ces plantes servaient à emballer la nourriture et qu'il en ait avalé quelques spores accidentellement à moins qu'il n'est utilisé volontairement ces fougères pour soigner ses déboires intestinaux, provoqués par une parasitose due à un ver présent dans la viande crue. Ötzi a consommé son dernier repas environ deux heures avant sa mort, sans doute causé par une flèche tirée dans le dos.
(Source : Sciences et avenir)
Pour aller plus loin :
Petit traité de médecine légale [Livre] / Michel Durigon
Bonne journée.