Question d'origine :
Symbolisme de la lune ?
Réponse du Guichet
"Avec le soleil, la lune est à l'évidence l'astre le plus important symboliquement". Sa symbolique traverse plusieurs champs de connaissances notamment celui des croyances anciennes sur lesquelles elle s'appuie pour se développer à travers les temps et les cultures. C'est pourquoi, avant d'en savoir plus sur sa symbolique, nous parcourrons ici quelques civilisations où elle fut vénérée.
Bonjour,
Le symbolisme de la lune est un vaste sujet qui traverse plusieurs champs de connaissances dont les croyances anciennes, l'approche psychologique avec l'inconscient et l'interprétation des rêves, l'art, le tarot...
Du point de vue des croyances anciennes, comme signifié dans l'ouvrage Le livre des symboles : réflexions sur des images archétypales publié chez Taschen, "corps céleste le plus proche de la Terre, la parenté de la lune avec notre planète est manifeste chez un grand nombre d'anciennes divinités lunaires." "Avec le soleil, la lune est à l'évidence l'astre le plus important symboliquement" indique l'Encyclopédie des symboles qui précise encore :
Elle possède un caractère féminin, et relevait dans l'ancienne Chine du principe yin : ce corps céleste reçoit en effet passivement la lumière du soleil, et le mois lunaire correspond à la période menstruelle féminine.
Cet ouvrage rapporte cependant qu'avant d'être féminin, la lune était du genre masculin :
En fait, dans nombre de très anciennes civilisations, la lune était du genre masculin, et le soleil féminin, comme on peut le constater par exemple dans le panthéon des Hittites, dans des vestiges mésopotamiens où Sin était le dieu de la Lune avant qu'Ishtar, sa fille, ne prît sa place ; au Japon où la déesse tutélaire, Amaterasu, est la déesse du Soleil ; chez les Mongols enfin où Gengis Khan, en plein Moyen Age, était le descendant du dieu Lune par l'entremise de son aïeule primordiale qui avait été engrossée par un rayon de l'astre. [...] Il semble qu'il y ait là en fait un rappel de ce temps où la femme était considérée comme l'essence de la vie et de la vertu créatrice, comme la source de chaleur et, dans le registre de l'imagination, comme le foyer de la lumière. L'homme était alors perçu comme un "homme de la lune" en relation profonde avec l'écoulement et la division du temps.
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Pourtant, au cours d'une longue évolution religieuse, la lune fut de plus en plus considérée comme la Mère Universelle du monde cosmique, tout en gardant souvent des caractères androgynes où transparaissaient les motifs de son ancien statut.
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C'est selon un autre processus que la lune peut aussi être du genre masculin dans certaines cultures extrême-orientales, alors qu'elle y est normalement féminine. En Inde, où elle est assimilée au soma, la boisson d'immortalité, son cycle perpétuel de croissance et de décroissance , son symbolisme essentiel de métamorphose incessante, en font l'emblème de Shiva qui construit et détruit les mondes tout au long de sa danse.
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C'est la même conception que l'on retrouve en Chine aussi bien dans le I-Ching que le taoïsme et son alchimie : alors que la lune est le symbole même du yin avec l'eau, le yin se transforme en yang, et donc la lune en soleil, afin d'exprimer le "renversement des polarités", la coïncidentia oppositorum, la réunion de l'état "antérieur au monde" et de l'état "postérieur au monde", dans une circularité qui rend compte de l'émanation cosmique continue. Alors, le yang, le soleil, le feu est représenté par une jeune fille, et le yin, la lune, l'eau, est figurée par un jeune homme, s'apparentant à ce que les alchimistes occidentaux appellent le "feu aqueux" et l'"eau ignée".
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Quoi qu'il en soit, la lune aujourd'hui porte généralement un nom féminin en Occident, apparu dès l'Antiquité classique (en latin Luna, en grec Séléné ou Artémis). Dans notre alchimie, Luna symbolise l'argent, et aussi la "reine", dont le mariage avec le "roi" crée un être androgyne, par les noces de Sol et de Luna, de Rex et de Regina, après qu'ont été effectués l'opus lunae (le travail de la lune, c'est à dire l'œuvre au blanc) et l'opus solis (le travail du soleil, l'œuvre au rouge).
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Les légendes juives renferment, quant à elles, un mythe symbolique très puissant (cf.E. ben Gorion), sur le couple d'opposés soleil / lune, qui explique pourquoi la lune, bien qu'étant l'un des deux luminaires, émet une lumière plus faible que celle du soleil : le Créateur avait révélé à la lune l'existence des deux royaumes, le royaume terrestre et le royaume de l'Au-delà, et les deux lumières procédaient de cette polarité.
Comme la lune se plaignit d'avoir une lumière plus pâle que celle du soleil, le Créateur la fit plus petite que le soleil et son éclat moindre, ce qui, le jour du Jugement dernier devrait cesser et rendre à la lune un éclat comme celui du soleil.
Au Pérou, l'adoration de la lune était subordonnée à celle du soleil qui était dominante.
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En raison de ses changements d'apparence, la lune passe dans l'astrologie pour "instable et marquée du sceau du provisoire". Mais elle est aussi bienfaisante (benefactor) et, en tant que planète féminine, elle influence les mouvements du cœur, le sexe féminin (en particulier les mères), et l'ensemble du peuple.
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L'astrologie moderne attribue à la lune la détermination, chez la femme, de sa personnalité extérieure, alors qu'elle régit le Moi profond de l'homme (ce que Jung appelait anima). Elle a d'autre part adopté la nouvelle image de la "lune noire" qui représente en astronomie le deuxième foyer de l'orbite en forme d'ellipse que décrit la lune autour de la terre ; Associée à la figure de Lilith, la lune noire peut assombrir le destin de celui qui n'en a pas intériorisé le motif, mais elle indique d'abord la nécessité de l'initiation psychique et spirituelle. Le signe (voir Astrologie et Zodiaque) et la maison qu'elle occupe sont ceux-là même de l'interrogation fondamentale de la personne, de son désir essentiel et du parcours qu'elle doit effectuer.
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L'iconographie représente toujours la lune sous forme d'un croissant tourné vers la gauche. Le croissant de lune apparaît aussi dans les armes officielles de nombreux pays islamiques. Böckler (Ars Heraldica, 1688) interprétait le symbole héraldique de la lune par le souvenir des cent conseillers de Romulus, qui portaient sur leurs sandales l'image d'une demi-lune en forme de C : " ils portaient cet emblème comme marque distinctive de leur rang. Les nobles qui insèrent la lune dans leurs armes, qui signifie la prospérité, ont pour leur part certainement emprunté cet emblème aux Turcs."
Le livre des symboles cité plus haut précise également :
la Lune préside à la conception , la grossesse, l'accouchement, les cycles agricoles des semailles et des moissons, sur toutes les formes de venues au monde. Elle est la maîtresse de la moiteur, des sucs vitaux dont la sève, la salive, le sperme, le sang menstruel, le nectar et les poisons des plantes et des animaux. Elle régit les vapeurs humides qui favorisent la décomposition, l'humidité qui tombe sous forme de pluie ou de rosée, le flux et reflux de tous les corps aqueux, l'issue favorable ou défavorable de toute navigation. En tant que seigneur de l'extase, elle règne sur toutes les intoxications et les inspirations. En tant que Thot, le dieu à tête de babouin de la mesure et des proportions, elle préside à l'apprentissage, à la sagesse, à l'écrit ainsi qu'à la magie et aux sortilèges. La Lune est le vaisseau mystique contenant le soma laiteux de l'immortalité, le navire d'âmes qui transporte les morts aux cieux, ou "l'élu" manichéen aux Colonnes de la gloire. Dans sa plénitude radieuse, le "cercle sans taches" (Du Fu, "Pleine lune") est le symbole bouddhiste de la tranquillité et de la vérité parfaite.
Quant au Dictionnaire des croyances et symboles de l'Antiquité de Jean-Claude Belfiore, voici ce qu'il rapporte :
Rêver qu'on couche avec Séléné est bon pour un commandant de navire et pour un négociant ; à celui-là, parce qu'on ne peut voyager sans prendre en considération les astres ; à celui-ci parce qu'il tient ses comptes en fonction des fins de mois et elles sont marquées par la lune. Pour la plupart des autres, ce rêve est mauvais, il indique une hydropisie et la mort parce que la lune est humide.
La lune représente l'épouse et la mère, en tant que nourricière, mais aussi la fille et la sœur dans la mesure où elle est appelée "jeune fille" (Koré). Coré est le nom de la fille de la déesse Déméter, connue sous le nom de Perséphone et qu'on a parfois confondue avec Artémis : Artémis, Coré, Perséphone ont été considérées comme trois aspects d'une même divinité. La lune symbolise en outre les biens, les bonnes affaires : comme il a été dit, c'est fin de mois (lunaire) que l'on fait les comptes. Elle symbolise les yeux, c'est elle qui permet de voir ; elle symbolise les maîtres femmes car les dieux ont une relation avec les maîtres : les divinités masculines avec les maîtres de sexe masculin, et les divinités féminines avec les maîtres de sexe féminin ; le proverbe ne dit-il pas "celui qui domine détient la puissance d'un dieu" ? Si la lune grossit, elle indique des avantages venant des maîtres féminins, ou grâce à eux ; si elle diminue, un dommage est annoncé, venant des mêmes maîtres, ou par leur intermédiaire. Pour l'un et l'autre cas, la signification est la même si plusieurs lunes apparaissent et si la lune disparaît. Rêver qu'on voit son image dans la lune, pour un homme, cela annonce la naissance d'un garçon ; pour une femme, la naissance d'une fille ; car l'un et l'autre se sont vus. Ce rêve est favorable aux banquiers, aux créanciers, à ceux qui perçoivent de l'argent, car ils en récolteront abondamment. Il est favorable aussi à qui cherche à se montrer, mais défavorable à celui qui essaie de se cacher, car il sera découvert. Toutefois, un homme qui avait vu son visage dans la lune voyagea longtemps, ici et là : parce que la lune est en mouvement continuel et comme circulaire. Une femme rêva qu'elle voyait dans la lune trois images d'elle-même ; elle accoucha de triplées et toutes trois moururent le même mois : les images représentaient les enfants et un cercle unique les entourait ; c'est donc en un seul arrière-faix qu'étaient contenus les fœtus ; ils ne vécurent pas au-delà d'un mois, à cause de la lune.
Un homme rêva qu'il allumait sa lampe à la lune ; il fut frappé de cécité car il tentait de prendre une lumière là où il n'y avait qu'un reflet.
Globalement la lune a le même symbolisme que le soleil mais en moins marqué car elle est moins chaude ; en outre elle indique à coup sûr la présence d'une femme.
Dans le domaine de l'inconscient, Corinne Morel dans l'Abc de la symbolique dans les rêves, écrit que " la lune est associée à la mère.
Elle possède une polarité féminine et passive. Elle met l'accent sur les relations entretenues avec la mère, ou/et avec la femme (pour l'homme). Elle traduit aussi fréquemment un désir de maternité ou interroge la rêveuse sur son rôle de mère.
Caractérisé par ses quatre phases, la lune est également la symbole du cycle. Elle exprime souvent l'inconstance ("être lunatique"), la distraction et le rêve ("être dans la lune"). La lune trouve aussi dans le langage courant une signification érotique (la lune désigne le postérieur).
La lune est, de façon générale, l'expression des productions inconscientes, c'est-à-dire des profondeurs psychiques : le rêve, les fantasmes et l'imaginaire, [...] La lune exalte l'imagination et valorise la création. Elle se réfère à la pensée animale et primitive qui est à l'œuvre chez l'artiste, mais qui recèle également des dangers et peut évoluer vers des formes délirantes. La lune représente, par conséquent, le lien antagoniste et pourtant inextricable entre le sage (aspect positif) et le fou (aspect négatif).
La lune partage aussi le symbolisme du miroir, puisqu'elle n'est pas la lumière, mais le reflet de la lumière (du soleil). Elle est, comme le miroir, une figuration de l'esprit qui perçoit la réalité, mais qui n'est pas la réalité. Elle renvoie le rêveur à sa subjectivité.
La pleine lune, enfin, est selon les croyances, chargée d'innombrables pouvoirs, notamment celui de transformation (le loup-garou), mais aussi de croissance, de fertilité et d'augmentation des angoisse.
En art, le Dictionnaire de l'art roman : tous les symboles pour comprendre les messages des pierres de Robert-Jacques Thibaud attribue à la lune un "principe vital nocturne, symbole de la Lumière qui brille dans la nuit, la Lune est la manifestation de la Grande Déesse Blanche des antiques religions, aussi bien que de la vie terrestre."
La Lune symbolise tout autant le corps d'un individu que l'ensemble d'une nation (le peuple), la mère et l'enfant, que la mort et son cortège. Tout ce qui est liquide et nocturne appartient à son domaine qui par cette exceptionnelle richesse est aussi possesseur de l'enseignement initiatique.
La lune siège dans le signe du Cancer (Astro.). Elle est un des deux luminaires du zodiaque ou d'un thème de nativité, l'opposé polaire du soleil avec lequel elle est cependant le couple vital.
Dans le tarot, "cette arcane suggère une situation désastreuse" selon l'ouvrage Symboles sacrés : peuple, religions et mystères :
le visage d'un femme âgée remplit la Lune, en haut de la carte - autre aspect du principe féminin, mais associé ici à la vieillesse et à la solitude. Un chien et un loup poussent des hurlements en direction de la Lune, tandis que, d'un plan d'eau, en bas de l'image, émerge une énorme écrevisse, telle une vision montant des profondeurs ténébreuses de l'esprit. Cette lame évoque une perte d'orientation, un sentiment de confusion et de désarroi.
Enfin, terminons avec quelques précisions sur la lune noire. A l'instar de la lune, comme l'écrit Didier Colin dans le Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes, elle a aussi adopté multiples visages à travers les nombreux mythes présents dans l'histoire de l'humanité. Elle est Lilith, Inanna-Ishtar, Psyché, Calypso, Cybèle, Démeter-Céres... et le message subtil qu'elle nous livre
est que chacun doit savoir qui et comment il est, de quoi il est fait, ce que sont toutes ses pensées et actes, et nul ne doit se contenter de voir en lui ce qui lui plaît ou lui fait plaisir, le rassure et le conforte. La Lune noire fait tomber les interdits et les masques, dénonce les préjugés, les lieux communs, les idées reçus. Elle dérange, provoque, sacrifie.
Pour approfondir le sujet nous vous invitons à consulter les ouvrages suivants :
- Dictionnaire des symboles universels: basé sur le principe de la clef de la connaissance : Elép - Figu / Henry Normand
- Dictionnaire des symboles [Livre]: : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres / Jean Chevalier, Alain Gheerbrant ; édition par monsieur Christian Lacroix
Dans les mythologies et religions :
- Dictionnaire des croyances et symboles de l'Antiquité [Livre] / Jean-Claude Belfiore
- Lexique des symboles de la mythologie grecque [Livre] / Sonia Darthou
- Premiers symboles chrétiens [Livre] / Pierre Prigent
- Dictionnaire des symboles musulmans [Livre] : rites, mystique et civilisation / Malek Chebel
Pour la franc-maçonnerie :
- Dictionnaire des symboles maçonniques : loges bleues du REAA / André Benzimra
- Le soleil et la lune [Livre] : luminaires de l'initiation maçonnique / Jean Hover, Claire Vernon
Dans l'interprétation des rêves :
- Le dictionnaire des rêves et de leurs symboles [Livre] / Livia Caron
- Dictionnaire de la symbolique [Livre] : le vocabulaire fondamental des rêves / Georges Romey
En art :
- Dictionnaire des symboles [Livre] : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres / Jean Chevalier, Alain Gheerbrant
Bonne journée.