Question d'origine :
Bonsoir,
Je me pose des questions sur l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le cadre des oeuvres multimédia.
J'ai par exemple crée des sites avec des images et du texte généré en grande partie IA, dans le cadre d'un projet professionnel. Lorsque je me suis documenté, j'ai constaté qu'il existait un vide juridique en France sur à qui appartenait le textes et les images créées grâce à une intelligence artificielle.
Pensez-vous que, en étant auteur des instructions qui l'ont générée, j'en suis le légitime propriétaire ?
Merci !
Réponse du Guichet
Comme vous le soulignez vous-même, l'essor de l'intelligence artificielle s'accompagne d'un vide juridique qui, pour l'heure, n'est pas réglé. En l'absence d'une réglementation répondant à votre interrogation, vous pourriez, en tant que "créateur" du site bénéficier des droits d'auteur mais vous verrez, à cette lecture, que votre question soulève bien des problèmes.
Bonjour,
L’intelligence artificielle suscite de nombreux débats parmi lesquels le droit d’auteur. En effet l’essor de la production de contenus par l’intelligence artificielle ébranle la législation actuelle qui doit être repensée. Pour l’heure, la question ne semble pas être résolue et dans votre cas, votre site pourrait être protégé par le droit d’auteur. Nous resterons cependant prudentes quant à cette affirmation car vous l'avez souligné, il existe un vide juridique sur ce sujet. Voici néanmoins de premiers éléments qui pourraient alimenter cette réflexion.
Le ministère de l'Economie précise ce qu'est la notion d’œuvre :
La notion d’œuvre est extrêmement large : il s’agit de toute réalisation intellectuelle originale, peu importe son genre, sa forme d'expression, son mérite ou sa destination. Le droit s’applique dès la création, sans nécessité de procéder à un dépôt.
La loi en cite des exemples mais la liste n’est pas limitative (écrits littéraires, artistiques et scientifiques, allocutions, œuvres dramatiques,œuvres audiovisuelles, œuvres graphiques,compositions musicales,dessins,œuvres d’architecture, œuvres d’arts appliqués, logiciels, etc.).
Cela signifie qu’il faut tenir compte du droit d’auteur :
- quel que soit le sujet du contenu (même un contenu technique, scientifique, une monographie, une infographie, une prestation orale, un site web, une illustration etc. peuvent être soumis au droit d’auteur) ;
- quels que soient la qualité ou le mérite du contenu ;
- même si l’auteur n’indique pas avoir « déposé » le contenu ;
- même en l’absence de toute mention de type « copyright » ou « tous droits réservés ».
Pour revenir sur les droits d’auteur et l’intelligence artificielle, le site vie-publique.fr mentionne :
Comme la CNCDH, d e nombreuses instances internationales ont alerté sur l'impact de l'IA par rapport aux droits fondamentaux, notamment sur le respect de la dignité humaine, le respect de la vie privée et la protection des données, l'égalité et la non-discrimination, l'accès à la justice et l'accès aux droits sociaux.
Actuellement, il n'existe pas de cadre juridique, tant à l'échelon national qu'international, pour prévenir ces risques. Néanmoins, en avril 2021, la Commission européenne a présenté son projet de règlement sur l’intelligence artificielle, appelé l'Artificial Intelligence Act(AIA) qui doit encore être adopté par le Parlement européen et le Conseil européen. Des travaux sont également menés au sein du Conseil de l'Europe.
Par ailleurs, l’étude Intelligence artificielle et droit d’auteur aborde la problématique de la reprise de contenus par l’intelligence artificielle sans pour autant préciser quel pourrait être l’encadrement juridique. Des pistes d’évolution sont proposées notamment pour celles et ceux qui utiliseraient l’intelligence artificielle pour créer leurs contenus.
la protection par le droit d’auteur devrait être rejetée dès lors que l’IA n’est plus utilisée comme un simple outil dans le processus créatif, mais employée pour générer des créations de manière autonome, sans que l’on puisse distinguer l’empreinte personnelle de l’un des quelconques intervenants.
Néanmoins, certains regrettent que tous les investissements financiers et humains impliqués par le développement et l’utilisation de technologies novatrices et créatives ne soient pas récompensés par l'octroi d'un droit exclusif. On pense par exemple aux éditeurs et agences de presse qui ont de plus en plus recours à l’IA pour générer du contenu, en raison notamment de sa fiabilité et de sa rentabilité, participant ainsi au mouvement général de robotisation de l'information. Les coûts d’élaboration, d'acquisition, d'utilisation et de maintenance de cette technologie peuvent être considérables et les bénéfices échapper à leurs investisseurs en l’absence de protection spécifique.
Une solution consisterait à créer un droit sui generis permettant un retour sur investissement récompensant l’effort matériel et financier.
On le conçoit, l’enjeu est ici principalement économique et s’éloigne des considérations propres au droit d’auteur. Ce droit devrait donc conférer un monopole patrimonial, à l’image de celui conféré aux fédérations sportives et aux organisateurs de manifestations sportives (...) par exemple, le droit anglais a fait le choix dès 1988 de protéger par le droit d'auteur les « computer generated works », à savoir les créations générées par ordinateur dans des conditions excluant toute intervention humaine directe. L’auteur sera considéré comme la personne qui prend les dispositions nécessaires pour la création de l'œuvre
Mais dans votre cas se pose aussi la question des ressources utilisées par l’intelligence artificielle et du droit d’auteur, relevée dans ce même document :
S’agissant des créations constituant des données d’ « output », à savoir les œuvres de résultat, il est peu probable que l’on retrouvera tout ou partie d’une reproduction fidèle d’un élément des œuvres premières. En revanche, en théorie, il apparait probable que des contrefaçons par imitation puissent être caractérisées dès lors que l’œuvre finale laissera transparaître des ressemblances. Ici encore, une analyse in concreto sera nécessaire dans la mesure où plus il y aura de données d’« input », moins il y aura de chance de percevoir le moindre élément d’une œuvre première dans le résultat.
Mais si l’IA et les humains ayant effectué la sélection se contentent d’utiliser un échantillon restreint de données d’« input », il n’est pas exclu que l’on puisse reconnaitre en partie des éléments issus des œuvres premières.
On peut enfin présager un risque d’atteinte aux droits moraux des titulaires des œuvres premières dès lors que leur utilisation nécessite que les systèmes d’IA les traitent, voire les démantèlent afin d’en faire des données exploitables.
Au-delà des considérations liées au droit d’auteur, la question du parasitisme et des mécanismes liés sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil pourrait également se poser, le résultat bénéficiant à tout le moins de la valeur économique des œuvres premières dans un objectif très souvent mercantile
Il vous faudra donc patienter encore car les bouleversements induits par l’intelligence artificielle sont tels qu’il faudra effectivement faire évoluer la législation actuelle. Peut-être sera-t-elle écrite par l’intelligence artificielle elle-même !!