je recherche des renseignements sur le droit d'auteur entre 1939 et 1945
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis à la recherche de renseignements sur le droit d'auteur en France et en Allemagne entre 1939 et 1945. Pouvez vous m'aider ?
Avec tous mes remerciements
Réponse du Guichet
Dans l'entre deux guerre, la question du droit d'auteur se pose de manière accrue et en 1936, Jean Zay propose un projet de réforme ambitieux et controversé. Il faudra attendre l'après guerre pour voir une avancée significative du droit d'auteur et ce même si diverses mesures sont prise en France et en Allemagne entre 1939 et 1945.
Bonjour,
Pierre-Yves Gauthier dans Propriété littéraire et artistique aborde tous les droits mis en place dans la première moitié du XXe siècle et cite, par exemple en 1925, le « dépôt légal purement administratif, protection de l’œuvre sans nécessité d’accomplir une formalité ».
L’ouvrage de Gabriel Galvez-Behard, Histoire de la propriété Intellectuelle, complète ces premières informations et fournit une histoire en France et en Allemagne de la notion de droits d’auteur en 1939-1945. L’auteur écrit ainsi :
p. 67
Ce mouvement d’extension de la propriété intellectuelle découle à la fois de la diversité du changement technologique et d’un encadrement de plus en plus important de l’activité créative dans des grandes organisations qui tentent d’en capter la valeur. Il crée en retour une aspiration à un traitement équitable de la question. En France, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, la crise du travail intellectuel favorise l’essor de syndicats, comme l’Union des syndicats ingénieurs français (1919) ou la Confédération des travailleurs intellectuels (1920). Ces structures réclament un « code de la propriété intellectuelle » qui, selon le mathématicien Emile Borel – impliqué d’ailleurs dans la défense de la propriété scientifique -, permettrait une meilleure reconnaissance des droits des salariés en la matière. Un projet de loi révisant la loi sur les brevets de 1844 est lancé, en vain. Un échec similaire marque le projet de réforme de la propriété littéraire et artistique porté par Jean Zay en 1936. Ambitieux, il entend rééquilibrer les rapports entre auteurs et éditeurs, entre intérêts privés et intérêt général, en instaurant notamment un domaine public payant. Ce dernier doit permettre à tout le monde de publier l’œuvre d’un auteur dix ans après sa mort, moyennant le paiement d’une redevance à ses ayants droit. Il fait l’objet d’une opposition déterminée du monde de l’édition, et notamment de Bertrand Grasset, qui finit par en avoir raison.
p. 69
D’autres régimes totalitaires sont aux prises avec la propriété intellectuelle et avec ses contradictions, entre l’intérêt de la collectivité et l’encadrement de l’activité créatrice, d’une part, et l’intérêt et l’héroïsation persistante du créateur, de l’autre (…) Lors de la conférence de révision de l’Union de Berne tenue à Rome en 1928, l’Italie défend, aux côtés de la France et de la Pologne, la reconnaissance du droit moral dans la convention.
p. 70
L’Allemagne Nazie connaît un processus similaire et fait face aux mêmes contradictions. L’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir conduit à un intense mouvement de réforme de la propriété intellectuelle. Certains artistes, comme Richard Strauss, mènent un lobbying important pour renforcer le droit d’auteur. En 1934, ils parviennent à arracher l’extension de la durée post mortem à cinquante ans. Pour autant, un grand nombre de revendications, notamment sur la reconnaissance du droit moral, restent en suspens. Le terrain de la propriété intellectuelle n’est pas oublié. En mai, 1936, quatre lois viennent rénover entièrement le droit moral allemand des brevets, des marques et des modèles. La loi sur les brevets modifie l’équilibre antérieur en rendant l’inventeur titulaire du brevet et en réduisant le pouvoir des grandes firmes. Loi d’être une législation de circonstance, ces textes restent valables même après l’effondrement du régime nazi.
Par ailleurs, l’article de Gisèle Sapiro, “Droit et histoire de la littérature : la construction de la notion d’auteur” (Revue d'histoire du XIXe siècle, 48 | 2014) dont nous ne reproduisons que quelques extraits, revient, elle aussi sur la construction du droit d’auteur :
Il faudra cependant attendre l’entre-deux-guerres pour que la conception de l’activité littéraire comme « travail » s’impose véritablement face à la montée en puissance des éditeurs, désormais perçus comme « patrons » ou « employeurs », à l’instar des patrons de presse, et pour faire valoir les droits sociaux des écrivains. Cette conception est portée par la Confédération des travailleurs intellectuels, créée en 1920 pour faire face à cette menace de prolétarisation qui guette les professions intellectuelles, pour lesquels elle revendique un statut social particulier, entre les ouvriers et le patronat. Etant parvenue à se faire représenter auprès de la Société des nations, elle voit ensuite ses idées reconnues par les pouvoirs publics en France sous le Front populaire.
Le projet de loi déposé par Jean Zay le 13 août 1936 se fonde en effet sur cette conception du droit d’auteur comme rémunération d’un « travail », à une époque où le développement de nouveaux supports, notamment le cinéma, rendait nécessaire l’élaboration d’une législation d’ensemble sur le contrat d’exploitation. Se réclamant de la législation révolutionnaire et de la conception proudhonienne de l’œuvre, l’exposé des motifs stipulait que « l’auteur ne doit plus désormais être considéré comme un propriétaire, mais bien comme un travailleur, auquel la société reconnaît des modalités de rémunération exceptionnelles en raison de la qualité spéciale des créations issues de son labeur». Il entérinait le caractère personnel et inaliénable du droit d’auteur qui rendait la notion de propriété inadéquate, substituant à la notion de cession celle de concession. Les droits des auteurs et ceux du public étaient défendus par une série de mesures comme la restriction de l’exclusivité de l’exploitation à dix ans après la mort de l’auteur et la remise en cause du caractère automatique du droit héréditaire. Ce projet ne vit pas le jour, ayant soulevé une levée de bouclier de la part des éditeurs et des notables du monde des lettres, qui y percevaient une menace de déclassement social et spirituel. Il n’arriva à discussion à la Chambre des députés qu’en juin 1939, largement amendé, et le débat fut suspendu par la guerre. C’est un projet concurrent élaboré par la Société d’études législatives qui fut repris en août 1944 puis déposé en juin 1954, donnant lieu à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.
Anne Latournerie, avec l'article Petite histoire des batailles du droit d'auteur (Multitudes 2001/2 (n° 5) 2001/2 (n° 5), pages 37 à 62, présente également des renseignements sur cette période :
La question posée par la doctrine du droit d’auteur de Vichy est celle de la continuité (…) En 1942, un groupe de travail est constitué au sein du Comité d’Organisation des industries et commerces de la musique, c’est-à-dire au sien de l’organisme chargé de gérer la politique corporatiste de l’Etat français et de la révolution Nationale (…) il est clair cependant que ce nouveau droit d‘auteur n’est pas préparé par les auteurs, les éditeurs ou le Parlement, mais par l’organe corporatiste, cellule de base de l’Etat fasciste. Un décret du 12 septembre 1943 crée une commission de liaison interprofessionnelle des industries, métiers et commerces d’art et de création...
En outre, l’étude Cinéma et droit d'auteur. Réflexions historiques et juridiques sur la paternité du réalisateur (2022) revient sur un autre aspect du droit d’auteur, propre au cinéma :
On sait par exemple que les règles de titularité du droit d’auteur applicables en France et dans la plupart des pays d’Europe avant la seconde guerre mondiale étaient plutôt défavorables aux réalisateurs, et aboutissaient, aux travers de dispositions ou de doctrines diverses (par exemple liée à l '«œuvre collective ») à conférer ou à transférer les droits des réalisateurs aux producteurs.
Pour approfondir la question il vous faudra effectuer des recherches dans la presse de l’époque via la bibliothèque numérique Gallica ou des bases de données comme rétronews (disponibles dans les bibliothèques universitaires) et poursuivre les lectures :
Poems in Steel. National Socialism and the Politics of Inventing from Weimar to Bonn, 2022
The copyright wars. Three centuries of Trans-Atlantic Battle / Badlwin, 2014
La propriété littéraire et artistique / Bernard Edelman, 2008
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