De quoi étaient composés les cônes de parfum des Egyptiens ?
Question d'origine :
Comment et de quoi étaient composés les cônes de parfum que les Egyptiens utilisaient pour se parfumer à l'époque pharaonique (aussi appelés cônes thébains?) ?
Réponse du Guichet
Les récentes découvertes d'Amarna semblent indiquer que ces cônes étaient façonnés avec de la cire d'abeille, la seule cire biologique connue pour être utilisée par les anciens Égyptiens. Elle enrobait une matière organique brun-noir qui pourrait être du tissu. La raison de leur existence reste encore un mystère et leur découverte dans ces tombes posent encore de nombreuses questions.
Bonjour,
Pendant longtemps, les archéologues et égyptologues étaient divisé.es sur la raison d'être de ces cônes représentés dans les fresques égyptiennes antiques. L'absence d'artefacts a même conduit certains égyptologues à supposer que les cônes étaient simplement symboliques, un équivalent des halos qui ornent diverses figures de l'iconographie chrétienne. Pour preuve, cet extrait d'un article de Thierry Morant, intitulé Parfums et cosmétiques dans l’Egypte ancienne :
Encore nombreux sont les « égyptologues » qui expliquent que ce cône était destiné à fondre progressivement sur la tête de ces belles, enduisant ainsi les perruques, et que le surplus coulait ensuite sur leur peau pour les parfumer. Un peu de connaissance du climat égyptien et surtout de bon sens détruisent irrémédiablement cette interprétation.
Penser que l’Egypte, dans l’antiquité, comme de nos jours d’ailleurs, était un pays dans lequel il faisait continuellement beau et chaud, n’est tout simplement pas conforme à la réalité. Plus encore, imaginer que l’inconfort d’une substance huileuse coulant dans les perruques et le long du corps aurait pu être aisément supporté par ces gens nous semble farfelu, sans évoquer le numéro d’équilibriste auquel ces femmes auraient dû se soumettre pour vaquer à leurs obligations journalières sans faire tomber cet accessoire.
Il s’agit ici bien évidemment d’une représentation symbolique qui, selon Philippe Walter, chercheur au C2RMF, pourrait être l’équivalent de l’auréole dans l’iconographie chrétienne. Je laisse à ce chercheur, qui n’est pas historien, la responsabilité d’une comparaison qui ne me semble pas opportune, mais il ne faut en effet pas attacher à cette image autre chose qu’une valeur religieuse. Il s’agissait d’une représentation iconographique de l’atmosphère enfumée et parfumée dans laquelle les Egyptiens évoluaient, pensaient-ils, dans leur seconde vie.
Mais de récentes découvertes laisseraient entendre que ces cônes ont réellement existé car on en a retrouvé des traces dans les cimetières d'Amarna, la ville d'Akhetaton créée vers 1350 avant JC par le souverain Akhenaton, spécifiquement pour célébrer le dieu solaire Aton. Nous traduisons :
«Des fouilles récentes dans les cimetières d'Amarna fournissent maintenant les premiers exemples matériels de cônes de tête», ont écrit les chercheuses.
"Les cônes d'Amarna étaient des symboles destinés à améliorer la renaissance ou la fertilité personnelle du défunt dans l'au-delà", ont-elles écrit.
Plus d'une décennie s'était écoulée depuis l'excavation des cônes capiteux, et l'équipe de recherche a travaillé minutieusement pour cerner les théories sur les objectifs des cônes. Comme le notent les chercheuses, des analyses spectroscopiques ont indiqué que les cônes étaient faits de cire naturelle, "et non de graisse ou d'encens, comme on le suppose parfois". Cela a démantelé une théorie précédemment proposée selon laquelle les anciens cônes auraient pu être un ancien produit coiffant où la graisse parfumée fondait sur la tête du porteur, agissant comme une sorte de gel capillaire parfumé antique. L'analyse chimique de la substance qui fabriquait les cônes indiquait l'utilisation de cire naturelle, qui dans le cas de l'Égypte ancienne serait de la cire d'abeille puisque c'était la seule cire connue pour avoir été utilisée par cette civilisation.
L'équipe de recherche a en outre suggéré que les cônes avaient quelque chose à voir avec la fertilité en raison à la fois des associations artistiques des objets avec l'accouchement et du fait qu'au moins un des spécimens découverts dans les tombes était une femme adulte. Ce qui complique l'interprétation, c'est que les preuves récupérées provenaient d'un cimetière non élitiste, alors que dans l'iconographie égyptienne, les personnes portant les cônes de tête étaient, la plupart du temps, des membres de la classe supérieure.
Les tombes d'Amarna contiennent moins d'œuvres d'art que d'autres sites funéraires, mais une poignée d'images montrent des personnes portant des cônes pointus alors qu'elles se préparent pour les enterrements et font des offrandes, a commenté Nicola Harrington, archéologue à l'Université de Sydney. Comme le dit Harrington, certains des personnages semblent avoir été des serviteurs. "Essentiellement, [les cônes] sont portés en présence du divin", a-t-elle déclaré au National Geographic. Harrington a également proposé des interprétations alternatives des cônes, selon lesquels ils étaient peut-être portés par des danseurs égyptiens anciens qui étaient des gens ordinaires. Deux spécimens de femmes portant des cônes avaient des fractures de la colonne vertébrale et un avait une maladie articulaire dégénérative. Peut-être que les cônes "marquaient [les danseurs] comme des membres d'une communauté qui servait les dieux", a-t-elle dit, expliquant que malgré les problèmes osseux qui peuvent être facilement liés au travail intense d'Égyptiens non élites, les fractures de stress et de compression sont courantes chez les danseurs professionnels. Cela pourrait expliquer pourquoi ces personnes ont été enterrées avec les cônes, a déclaré Harrington, malgré leurs «inhumations de base».
Plus de preuves archéologiques seront cependant nécessaires pour clarifier la fonction exacte des cônes et pour savoir s'ils ont été utilisés plus largement. Mais, selon les mots d'Anna Stevens de l'Université Monash et qui a participé aux fouilles d'Amarna, nous ne pourrons malheureusement jamais le savoir avec certitude.
source : Mystery solved of pointed ‘head cones’ gracing Ancient Egypt art
Un article de Forbes intitulé Symbolic Egyptian Head Cones Were A Reality, Archaeologists Find décrit plus longuement ces cônes (nous traduisons) :
En utilisant une analyse non destructive, y compris une fluoroscopie à rayons X portable sur le terrain, les chercheuses ont déterminé que "l'intérieur des deux cônes présentait des pics caractéristiques de la cire végétale ou animale". Elles concluent en outre que "la cire d'abeille étant la seule cire biologique actuellement connue pour avoir été utilisée par les anciens Égyptiens, elle peut être considérée comme la source de ce matériau".
Il semble que, pour créer le cône, une sorte de coque en cire ait été construite autour d'une liasse de textile. Bien que ces deux cônes d'Amarna n'étaient pas solides à l'intérieur, il est possible, notent les chercheuses, "que l'intérieur des cônes ait été autrefois rempli d'une substance distincte, telle qu'une pommade plus douce".
Le compte-rendu de ces chercheuses a été publié dans la revue Antiquity : From representation to reality: ancient Egyptian wax head cones from Amarna / Anna Stevens, Corina E. Rogge, Jolanda E.M.F. Bos, Gretchen R. Dabbs - Antiquity - Volume 93 Issue 372 - 10 December 2019
Vous trouverez quelques articles en français relayant ces travaux :
- Archéologie : le mystère des cônes sur les têtes d'Égyptiens enfin élucidé ? / Céline Deluzarche - Futurama - 13/12/2019
- Pourquoi les Egyptiens portaient-ils des cônes sur la tête ? / Jean-Paul Fritz - L'Obs - vendredi 20 décembre 2019. Quelques extraits :
C'est l'archéologie qui apporte aujourd'hui des réponses, grâce à la découverte en 2012 et 2015 de deux tombes sur le site archéologique d'Amarna. Le lieu est célèbre par son association à des figures peu ordinaires de l'histoire de l'Egypte antique. Lorsque Akhenaton, le « pharaon hérétique », décida de se débarrasser de tout le panthéon égyptien et du clergé qui allait avec, il fonda également une nouvelle capitale. Il la baptisa Akhetaton, l'Horizon d'Aton, en hommage à la divinité solaire unique qu'il adorait. La ville éphémère ne survécut pas au pharaon et fut abandonnée peu après sa mort, probablement au début du règne de son fils Toutankhamon. Redécouverte par les archéologues, la cité révèle aujourd'hui des milliers de tombes, des trésors de cette période antique, qui vont permettre d'élucider le mystère des cônes !
Les archéologues de l'Amarna Project, en collaboration avec le ministère des Antiquités égyptien, ont découvert deux tombes dont les occupants, une femme d'une vingtaine d'années et un individu de sexe encore indéterminé âgé de 15 à 20 ans, portaient des cônes. Après les avoir étudiés en détail, une équipe de chercheuses emmenée par la docteure Anna Stevens, du centre des cultures anciennes de l'université Monash (Australie), révèle les résultats de ses analyses sur ces cônes dans la revue « Antiquity ».
Les cônes sur la tête des défunts n'étaient plus que des fragments, mais les archéologues sont parvenues à reconstituer leur forme générale. Diverses analyses, y compris de la spectroscopie, ont permis d'en déterminer la nature : ils étaient creux et fabriqués en cire, probablement d'abeille. Des traces de tunnels perforés par des insectes rendaient les morceaux irréguliers, et dans l'un des deux cônes étudiés il restait des traces d'un possible coeur en tissu. En revanche, contrairement aux attentes, pas de trace d'onguents parfumés ni à l'intérieur ni sur la chevelure.
Rites funéraires et célébrations religieuses
Pour les autrices de l'étude, la partie restante des cônes se présente comme « une coquille de cire apparemment sans décorations, qui formait un dôme bas et assez petit. Les cônes étaient peut-être formés autour d'un tampon de tissu, ou possédaient un revêtement intérieur de tissu, pour renforcer leur structure ».
Les substances parfumées ? « Si la cire était imprégnée de parfum, ce matériau est en deçà des seuils de détection des techniques utilisées. » Cela n'exclut cependant pas sa présence : il se serait évaporé peu après les funérailles.
Mais la présence d'une sorte d'onguent qui s'écoulerait du cône pour se répandre sur les cheveux semble moins probable en l'absence de traces sur la chevelure des défunts, à moins qu'il ne s'agisse de cônes vides spécialement conçus pour faire partie du « mobilier funéraire » du défunt.
Nous vous invitons également à visionner cette vidéo de Benjamin Brillaud :
Bonne journée.