Depuis quand la dématérialisation de la justice est effective ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourriez-vous me dire depuis quand la dématérialisation de la justice est effective et dans quels pays on trouve une justice numérique (Europe et hors de l'Europe).
Je vous remercie d'avance pour votre réponse.
Bien cordialement
Réponse du Guichet
Vous trouverez dans la réponse ci-dessous des liens vers différentes ressources sur la dématérialisation de la justice, principalement en France, mais aussi dans plusieurs autres pays, en Europe et hors de l'Union Européenne.
Bonjour,
En France, la dématérialisation de la justice est un processus toujours en cours. En février dernier, un article d'Archimag rapportait ainsi que le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti annonçait un second plan de transformation numérique du ministère de la Justice, avec notamment l'ambition du zéro papier à l'horizon 2027, et l'annonce de la signature électronique, au civil comme au pénal, possible dès la fin de l’année pour les juridictions qui le souhaitent.
Pour avoir une vision d'ensemble de l'historique de ce processus de dématérialisation, nous vous invitons à consulter l'étude réalisée par le magistrat Yannick Meneceur : La transformation numérique de la justice : Ambitions, réalités et perspectives - État 2022-2023. Nous citons ci-dessous l'introduction de l'étude :
En France, l’emploi de l’informatique comme levier d’amélioration de l’efficacité de la justice s’inscrit dans une stratégie de modernisation datant de l’apparition des premiers calculateurs. Après avoir permis de centraliser la mémoire de la justice pénale, d’industrialiser la production de documents dans les tribunaux et de gérer électroniquement les affaires, de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et les blockchains contribuent désormais à recomposer en profondeur l’offre de justice en rendant possible une dématérialisation totale des processus, la résolution de litiges en ligne et des analyses statistiques avancées de la jurisprudence. Les legaltechs se présentent comme les principaux artisans de ces innovations, en s’appropriant avec pragmatisme et enthousiasme, les outils d’une justice numérique du XXIe siècle. Cette effervescence semble toutefois bien abstraite pour les acteurs de terrain dans les juridictions, qui dénoncent régulièrement, de leur côté, l’obsolescence de leurs propres systèmes d’informations et les difficultés à capitaliser les bonnes pratiques.La présente étude, qui recevra une mise à jour annuelle avec le concours des étudiants du M2 du Master Cyberjustice de la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de l’Université de Strasbourg, vise à objectiver les discours et les représentations de la transformation numérique de la justice, notamment au travers d’interventions de professionnels et d’une exploitation de la littérature disponible.
L'intervention de Karine Lemercier dans le cadre du colloque « La simplification de la justice, Quel bilan depuis la loi « Belloubet » ? » qui s'est tenu le 26 mars 2021 porte sur la dématérialisation de la justice et nous apporte les précisions suivantes :
Au cours des vingt dernières années, les méthodes de travail et le traitement des procédures ont été profondément transformés. Plusieurs étapes ont marqué la dématérialisation de la justice telles que la dématérialisation des échanges avec la mise en place d’une communication électronique entre les avocats et les tribunaux de grande instance, la dématérialisation devant la cour d’appel dans les procédures avec représentation obligatoire ou encore la procédure du pourvoi en cassation. Toutefois, en 2018, un rapport met en lumière que la transformation numérique reste un véritable chantier. Les mesures de mise en œuvre technique et d’accompagnement prennent un retard très conséquent. Les professionnels se plaignent des outils et des dispositifs en place, d’une importante attente en termes d’équipements, de formation, de renforcement des fonctions support et de soutien, et d’amélioration de la qualité des applicatifs existants. Ce rapport ouvre alors la voie à un programme ambitieux de dématérialisation totale des procédures civiles et pénales. La loi « Belloubet » s’inscrit précisément dans cette ambition : « Bâtir avant 2022, un véritable service numérique, qui permette à l’ensemble des usagers de gérer en ligne leurs procédures et leurs démarches, et aux magistrats et agents du ministère de bénéficier d’applicatifs et d’outils de travail adaptés, réduisant les tâches répétitives et de faible valeur ajoutée. » Mais la réalité rattrape la fiction numérique. Les obstacles techniques à la dématérialisation apparaissent au grand jour pendant la période de confinement de l’année 2020. La justice confrontée au numérique fait figure de « crash test » : sous-équipement des greffiers en ultraportables, limitation du débit du réseau pour accéder à distance aux applications utilisées par les services judiciaires, manque de micros ou utilisation d’applications privées pour les visioconférences. Les ambitions affichées par la loi « Belloubet » pour un accès à la justice entièrement dématérialisé avant 2022 apparaissent alors compromises. [...]
La transformation numérique est un véritable chantier qui se construit progressivement, étape par étape. Il dépend de la technique, des applicatifs et de l’évolution des logiciels métiers, mais aussi de l’humain dans sa mise en œuvre. Il requiert également des points de vigilance sur la sécurité juridique et sur le risque de fracture numérique. Les justiciables ne sont en effet pas tous égaux face à l’outil informatique, que ce soit au niveau des connaissances pratiques ou de l’accès à l’Internet ; certains justiciables pouvant être désorientés voire perdus, et être tentés de recourir à des services payants d’aide à la saisie en ligne. L’ambition de faciliter l’accès à la justice par l’outil numérique ne doit pas mettre à mal un autre de ses grands principes, celui de sa gratuité.
Source : La dématérialisation progressive de l’accès à la justice, Karine Lemercier
Toujours dans la même intervention, Karine Lemercier fait un bilan de la dématérialisation effective en matière civile et pénale, ainsi que de la dématérialisation reportée. Dans la dématérialisation effective, elle liste ainsi :
En matière civile :
- La dématérialisation de la procédure de recouvrement des petites créances
- La dématérialisation des actes de saisie attribution et de saisie conservatoire lorsque le tiers saisi est un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts
En matière pénale :
- La dématérialisation du dossier pénal
- La dématérialisation de l’audience
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter directement l'acte de colloque disponible sur Lexbase.
En complément, vous pouvez aussi consulter l'interview de Flavien Fouquet, magistrat au ministère de la Justice, qui revient sur la dématérialisation de la procédure pénale par la loi de programmation et de réforme pour la Justice (LPJ) du 23 mars 2019.
Par ailleurs, vous trouverez sur le site de la cour d'appel de Nancy une page sur la transformation numérique du Ministère de la Justice, qui fournit une liste des différents dispositifs mis en place dans ce cadre :
- l'application justice.fr ou portalis
- la procédure pénale nativement numérique (PPN)
- ASTREA (casier judiciaire national dématérialisé)
- le DOT (dossier d'orientation de transfert de la personne détenue)
- le NED (numérique en détention)
- PARCOURS (refonte des applications du système d'information de la protection judiciaire de la jeunesse)
- le SIVAC ( système d'information interministériel des victimes d'attentats et de catastrophes)
- le SIAJ ( système d'information de l'aide juridictionnelle )
Quelques autres ressources à consulter :
Cinq ans pour sauver la justice ! , senat.fr
« On parle de la dématérialisation de la justice, mais la réalité est qu’on travaille sur Word perfect, un logiciel créé en 1996 ! », actu-juridique.fr
Ailleurs qu'en France, où en est la dématérialisation de la justice ?
Dans un article publié le 4 octobre 2018, Le Figaro met en avant les pays du nord et de l'est de l'Europe, "champions de la justice numérisée" :
Ils ont massivement investi le champ du numérique pour sortir leur système judiciaire de l'opacité et pour proposer aux justiciables une information continue sur l'évolution de leur dossier. L'Estonie a ainsi été le premier pays, en Europe, à mettre en place «E-File, support non seulement des actes de gestion des tribunaux, mais aussi de leur dématérialisation complète». En Norvège, «Lovisa, pour sa part, a contribué à alimenter des bases statistiques et des modèles mathématiques pour évaluer la charge de travail des juridictions et la distribution des moyens, tant financiers qu'humains». Pour les rédacteurs de la Cepej, cette transparence et cette information sont l'un des facteurs clés de «la perception de l'efficacité des systèmes judiciaires». De quoi mener ensuite les justiciables «à une meilleure coopération avec les autorités judiciaires, à une meilleure acceptation des décisions judiciaires en général».
La Lettonie mais aussi Israël sont des pays qui «utilisent un dispositif avancé de gestion des affaires permettant d'obtenir des informations détaillées sur l'état d'avancement des procédures, qui peuvent être communiquées aux usagers des tribunaux de manière automatique par le système ou sur demande», rappelle la Cepej. En France se met progressivement en place, tribunal par tribunal, le service d'accueil unique du justiciable permettant d'obtenir des informations sur les procédures en général et bientôt d'accéder aux informations d'une affaire le concernant en particulier.
Beaucoup d'États ont des sites Internet permettant de télécharger des formulaires types et des documents que les usagers peuvent télécharger. «Les types de demandes, note la Cepej, peuvent varier, allant de l'aide judiciaire, comme en Finlande et en Suède, aux formulaires de demande, de plainte ou d'appel, comme en Serbie, en Espagne ou en Suisse.» La France est encore loin de ce type de service, même si le projet de loi de Nicole Belloubet prévoit la mise en place de préplaintes en ligne. Mieux encore, une quinzaine de pays s'obligent à fournir des informations sur les délais de procédure. Certains ont même «introduit des échéances dans la loi pour certaines procédures ou étapes dans la procédure», comme la Norvège ou la Roumanie. La Lettonie a également mis en place des outils pour pouvoir suivre la procédure en ligne. Un «must» dont la France rêve.
Source : Les pays du nord et de l'est de l'Europe champions de la justice numérisée, Le Figaro, jeudi 4 octobre 2018
(consulté via Europresse)
Sur la dématérialisation de la justice en Europe, vous pouvez aussi consulter :
- Le dernier rapport d'évaluation de la CEPEJ sur les systèmes judiciaires européens (analyse 2022 sur les données de 2020).
Le rapport porte sur 44 pays de l'Union Européenne (sauf le Liechtenstein et Saint-Marin, qui n’ont pas été en mesure de fournir des données) ainsi que sur 3 pays témoins hors UE : Israël, le Maroc et le Kazakhstan.
- Piana, Daniela. « La justice numérique : un panorama européen », Les Cahiers de la Justice, vol. 2, no. 2, 2019, pp. 257-268.
Pour les pays hors UE, cette page du LexTech Institute rédigée en 2021 dresse un état des lieux de la dématérialisation en Suisse, comprenant quelques références à la Chine, aux États-Unis et au Canada :
La dématérialisation de la justice concerne tant les écrits que l’oralité en procédure. La première étape du processus de dématérialisation des écrits (actes, documents, moyens de preuve, etc.) consiste à passer d’une boîte aux lettres postale à une boîte aux lettres électronique et du dossier papier au dossier électronique consultable sur une plateforme numérique. L’utilisation de la communication électronique et de plateformes en ligne par les tribunaux n’a pas fait son apparition en même temps partout sur le globe. Certains pays ne disposent d’ailleurs toujours d’aucune de ces formes de dématérialisation de la justice ou n’ont accès qu’à la communication électronique. En Suisse, depuis 2007, il est possible de déposer des recours par voie électronique auprès du Tribunal fédéral (art. 42 al. 4, 48 al. 2 et 60 al. 3 de la Loi sur le Tribunal Fédéral (LTF) ; Règlement du Tribunal fédéral du 5 décembre 2006 sur la communication électronique avec les parties et les autorités précédentes en vigueur jusqu’au 1er avril 2017 [RCETF ; RS 173.110.29] abrogé et remplacé en 2017 par le Règlement du Tribunal fédéral du 20 février 2017 sur la communication électronique avec les parties et les autorités précédentes [RCETF ; RS 173.110.29]). Depuis 2011, avec l’entrée en vigueur du Code de procédure civile (CPC), il est également possible de déposer des recours par voie électronique en procédure civile au niveau cantonal. Tant au niveau fédéral qu’au niveau cantonal, le dépôt électronique demeure toutefois anecdotique (https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal-faq/federal-faq-9.htm ; Fischer Sylvie, L’information de la justice ne séduit pas les avocats, Plaidoyer 6/2015).
La Suisse ne connait pour l’heure pas encore le dossier électronique dans le domaine judiciaire. Cela ne saurait tarder, car le projet Justitia 4.0 a spécifiquement pour dessein la mise en place dès 2026 d’une plateforme numérique unique en Suisse. Celle-ci permettra le dépôt informatique d’actes judiciaires, la consultation en ligne des dossiers ainsi que la communication électronique entre les acteurs du procès que ce soit au niveau cantonal ou fédéral, en procédure civile, pénale ou administrative (https ://www.justitia40.ch/fr/ ; https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/gericht-elektronischer-verkehr-1.htm). Afin justement de poser les jalons de la communication électronique dans le domaine judiciaire, le Conseil fédéral a envoyé en consultation, le 11 novembre 2020, la nouvelle loi fédérale sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire (LPCJ) (communiqué du 11 novembre 2020 du Conseil Fédéral sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire).
Tout comme les écrits, l’oralité peut être dématérialisée en procédure. La vidéoconférence permet cette dématérialisation soit par une transmission simultanée du son et de l’image aux seuls intervenants à la procédure, avec ou sans enregistrement, soit par une diffusion en direct ou en différé du son et de l’image sur un canal public tel qu’internet. Le Code de procédure pénale (CPP) contient, depuis son entrée en vigueur en 2011, une base légale prévoyant la possibilité de recourir, à certaines conditions, à un système de vidéoconférence selon le premier sens de ce terme cité ci-avant (art. 144 CPP). En revanche, le Code de procédure civile ne connait pas de base légale permettant d’utiliser la vidéoconférence. Seule l’Ordonnance du 16 avril 2020 instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural (Ordonnance COVID-19 justice et droit procédural) permet, à certaines conditions et dans des cas spécifiques, de recourir à un tel système dans le cadre de la procédure civile. Le Conseil fédéral prévoit dans son Message du 26 février 2020 relatif à la modification du Code de procédure civile suisse (Amélioration de la praticabilité et de l’application du droit) (FF 2020 p. 2658 et 2660) d’introduire des dispositions relatives à la vidéoconférence au sein du CPC. Il propose l’introduction d’un art. 170a et la modification des art. 187 et 193 CPC pour permettre l’audition des témoins, des experts et des parties par vidéoconférence (FF 2020 p. 2658 et 2660). Le but de ces nouvelles dispositions est de « faire de la Suisse un haut lieu de la justice internationale » (FF 2020 p. 2658).
Les Etats-Unis (https://lawandcrime.com/live-trials/), la Chine (http://tingshen.court.gov.cn/), le Canada (https://www.scc-csc.ca/home-accueil/index-fra.aspx et https://www.scc-csc.ca/case-dossier/info/webcasts-webdiffusions-fra.aspx) ou encore l’Italie (http://www.ungiornoinpretura.rai.it/dl/portali/site/puntata/list/ContentSet-6bf4a76c-fa25-4b9d-8eb6-299d38b1333e.html), pour ne citer que quelques exemples, autorisent quant à eux et contrairement à la Suisse la retransmission en direct ou en différé des images et du son d’une audience sur un canal public, sous certaines conditions. La Cour européenne des droits de l’homme (https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=hearings&c=fre) le permet aussi pour les audiences publiques, tout comme la Cour pénale internationale (https://www.icc-cpi.int/?ln=fr).
Lorsque tant les écrits que l’oralité sont dématérialisés, nous sommes face à un tribunal en ligne. A ce titre, le premier tribunal au monde opérant entièrement en ligne a été mis en place en 2017 dans la ville d’Hangzhou située dans la province du Zhejiang en République populaire de Chine (Gianna Abegg / Felix Engelhardt, China Takes Online Dispute Resolution to the Next Level, Jusletter weblaw 4 mars 2019).
Pour davantage d’informations, vous trouverez nos recherches détaillées sur la dématérialisation de la justice dans les publications suivantes :
- Bohnet François / Mariot Sandra, COVID-19 et oralité en procédure civile : Approche critique de l’Ordonnance du 16 avril 2020 instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural, richterzeitung.weblaw.ch, 2020, p. 4-21.
- Bohnet François / Mariot Sandra, E-Procès civil en Suisse, Revue de droit suisse (RDS), Vol. 139, 2020, p. 199-222.
- Bohnet François / Mariot Sandra, La vidéoconférence et le projet de révision du CPC, Revue suisse de procédure civile (RSPC), 2/2020, p. 179-194.
Bonne journée.