Question d'origine :
Bonjour,
La croyance est-elle forcément affaire d'ignorance ?
Merci !
Réponse du Guichet
Aristote aurait dit : « L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit. »
Bonjour,
Pour répondre à votre question, il faut revenir sur les notions de croyance et d'ignorance ainsi que leur rapport aux notions de savoir et de connaissance.
La croyance se définit comme le fait de croire, tenir quelque chose pour véritable et réel. Elle se caractérise par son absence de preuve et la non nécessité de celle-ci pour établir une vérité, le sujet étant persuadé de l’existence d’une certaine représentation ou d’une doctrine abstraite (croyance religieuse, existence de l’âme et de l’au-delà, théorie du complot, notion de progrès infini). De fait, elle s’oppose au savoir rationnel. Autre spécificité, subjective, la croyance se détermine par la conviction intime du sujet. Elle relève de l’opinion et donc se distingue de la certitude objective. Puisqu’elle ne repose sur aucune rationalité, elle ne peut être réfutée.
Quant à l’ignorance, elle se définit par le fait de ne pas savoir quelque chose, un défaut de connaissance.
Mais qu’est-ce que le savoir et qu’est-ce que savoir ?
Selon l'édition du Littré de 1877, le savoir désigne la « connaissance acquise par l'étude, par l'expérience ». Ainsi, le savoir implique un processus d’assimilation et d’organisation de connaissances vérifiables, justifiables par le sujet à travers une réelle volonté de sa part, dépendant souvent de son vécu. En ce sens, le savoir se distingue de la croyance qui, elle, ne s’acquiert que par la conviction personnelle.
On retrouve donc dans votre question une opposition classique en philosophie entre savoir et croyance : le savoir reposant sur une certitude vérifiable, objective, et la croyance sur une conviction non raisonnée ; elle peut donc être aussi bien vraie que fausse. Cette opposition est née de la philosophie de Platon (dans le Gorgias notamment) dans laquelle il associe le savoir à la vérité contrairement à la croyance qui peut se révéler être fausse : l’opposition est donc fondée sur le principe d’objectivité du savoir et de subjectivité de la croyance. De même, les philosophes ont longtemps associé le savoir à la science dite « dure » et aux vérités scientifiques.
Toutefois, cet argument semble être à nuancer. Si nous savons bien que 1+1 = 2, il faut néanmoins se questionner sur les limites de la science. Certaines théories ne peuvent être démontrées et les scientifiques s’accordent alors pour estimer que la science relève d'une vérité ou d’une exactitude jusqu’à la découverte d’un nouveau paramètre qui change la donne : l’évolution de l’astronomie de Copernic à Newton en est un très bon exemple.
De fait, puisque les théories ne peuvent être toutes démontrées, les scientifiques s’appuient, par définition, sur des croyances (thèse développée dans Le gai savoir du philosophe Nietzsche).
De même, les sciences dites « humaines » sont considérées comme des savoirs à part entière mais ne reposent pas forcément sur des savoirs objectifs ni vérifiables pour autant. Par exemple, les historiens qui s’appuient sur des témoignages et qui ne peuvent que jusqu’à un certain degré affirmer leur véracité ou non.
En ce sens, ne pouvons-nous pas considérer que le savoir englobe également en son sein la croyance ?
Dans cette même perspective, nous savons que la page web du Guichet du Savoir est verte car nous pouvons en faire l’observation tout comme vous le pouvez également. Cependant, il est impossible de prouver la réalité même de cette observation. Cela ne revient-il pas à admettre qu’il existe un ensemble de croyances communes que nous considérons alors comme savoir (et que l’on peut appeler plus communément "culture" !?) ?
Ainsi, la plupart philosophes contemporains s’accordent à dire que la connaissance est un type de croyance. C’est le cas du philosophe américain Edmund Gettier dont l’article, « Une croyance vraie et justifiée est-elle une connaissance ? » (voir document en pièce-jointe) paru dans la revue académique Analysis en 1963 démontre que la croyance qui est justifiable n’est en réalité qu’un type de connaissance.
Enfin, il convient de revenir un instant sur la croyance religieuse et sa présupposée incompatibilité avec le savoir. La foi ne faisant appel qu’à une conviction personnelle et subjective, est-elle pour autant un signe d’ignorance ?
Si tel est le cas, comment expliquer l’existence de grands savants étant à la fois croyants, tels qu’Isaac Newton, Charles Darwin ou encore Albert Einstein ?
Darwin, souvent interrogé sur sa foi, disait à ce propos :
« Jamais je n’ai nié l’existence de Dieu. Je crois la théorie de l’évolution parfaitement conciliable avec la foi en Dieu. Il est impossible de concevoir et de prouver que le splendide et infiniment merveilleux univers, de même que l’homme, soit le résultat du hasard ; et cette impossibilité me semble la meilleure preuve de l’existence de Dieu.»
A méditer donc !
Voici quelques pistes pour aiguiser votre pensée sur ce thème :
- Philosophie de la connaissance : croyance, connaissance, justification. Textes réunis par Julien Dutant et Pascal Engel, Vrin, 2005.
- Gorgias de Platon suivi de l'Éloge d'Hélène de Gorgias, Les Belles Lettres, 2016.
- Le gai savoir, Nietzsche, Flammarion, 2020.
- La religion dans les limites de la simple raison, Kant, Classiques Garnier, 2015.
- Cet article qui résume la pensée d'Edmund Gettier sur la croyance
Bonnes lectures !