Question d'origine :
Bonjour
Je m'interroge sur les ressorts de la prospérité suisse. Le pays semble connaître une économie florissante sans discontinuer depuis plus de 50 ans. Les commentateurs évoquent sommairement un tissus industriel diversifié, un excellent système éducatif et des infrastructures fiables. Tout cela est certainement vrai mais pas réellement spécifique par rapport à d'autres pays industrialisés : sans même verser dans le chauvinisme, on peut évoquer les pays scandinaves, l'Allemagne ou le Japon dont on peut dire la même chose mais qui n'ont pas eu la même dynamique (en termes d'évolution du PIB par habitant par exemple).
Avez vous connaissance d'études plus approfondies du modèle suisse par des économistes (ou des sociologues ?) ?
Merci par avance.
Réponse du Guichet
Des raisons historiques, géographiques, politiques et des choix stratégiques performants se combinent depuis plusieurs décennies pour éclairer la situation économique confortable de la Suisse.
Bonjour,
Malgré sa petite taille, l’absence d’un accès à la mer, des terres se prêtant assez peu à des cultures productives et son manque de matières premières, la Suisse a connu un vif succès économique tout au long du XXe siècle.
Quelles sont les raisons de ce succès ? Qu'est-ce qui différencie son économie de celle de ses voisins occidentaux ?
Il n'existe pas d’explication unique à la richesse de la Suisse. Une industrie florissante basée sur l'exportation d’articles manufacturés en constante adaptation aux marchés, une main d’œuvre de qualité, abondante (grâce à une forte immigration) et peu couteuse, des investissements à l’étranger, une activité touristique prospère, un dynamisme bancaire et financier (le secret bancaire a attiré durant de nombreuses années les capitaux européens), une stabilité politique confortée par la paix permanente...
Des raisons historiques, géographiques, politiques et des choix stratégiques performants se combinent depuis plusieurs décennies pour éclairer sa situation économique confortable.
Paul Bairoch, professeur d'histoire économique, propose quelques explications :
Les fondements de cette richesse reposent d’abord sur une industrialisation précoce qui place rapidement la Suisse en tête des pays européens. Pendant la première moitié du XIXe siècle, la Suisse fut même le pays le plus industrialisé d’Europe après le Royaume-Uni, pays berceau de la révolution industrielle. Mais ce démarrage se ralentit par la suite. [...]
C’est dire que, pour Paul Bairoch, la Suisse se singularise assez rapidement des trajectoires connues pour les pays de petite taille : sa vive industrialisation (textile, machines, horlogerie) dont la production est écoulée, pour une très grande partie, sur les marchés mondiaux, s’accompagne néanmoins du maintien d’un important secteur agricole qui se spécialise de plus en plus dans la production laitière et, par ailleurs, d’une multinationalisation de son économie, synonyme d’investissements importants à l’étranger. On voit finalement se développer, sous la plume de Bairoch, un des paradoxes qui, en ce qui concerne le XIXe siècle, se présente sous la forme d’un mouvement en ciseaux : la tension entre l’ouverture de l’industrie et des services et les résistances de l’agriculture aboutit d’une part à la nécessité de recourir à une main-d’œuvre étrangère pour combler la demande industrielle et, d’autre part, à une forte dépendance envers les cultures céréalières. [...]
Jusqu’en 1914, l’histoire économique de la Suisse reste indissociable de l’histoire économique européenne et mondiale, autant par les choix opérés que par les effets qu’ils entraînent.
Dans cette perspective, la première moitié du XXe siècle, et particulièrement l’entre-deux-guerres, amène une transformation sensible de son visage économique, notamment en ce qui concerne la structure par produit manufacturier et un mouvement de fond qui voit le secteur agricole refluer. [...]
La période d’entre-les-deux guerres, sans bouleverser la structure et les spécificités de la Suisse, les modifie pourtant sensiblement. Mais cette restructuration s’opère dans des conditions difficiles, débouchant sur des pertes d’emplois dans les secteurs traditionnels, mais sur des créations ailleurs, le tout dans des proportions moindres. « La Suisse des montres devient de moins en moins le pays du tourisme, du chocolat, du textile de luxe, pour devenir celui des banques, de la chimie et des machines de précision. » Au travers de ces changements et certainement grâce à eux, elle demeure un pays « riche ». Cette faculté d’adaptation n’est pas sans lien avec les transformations structurelles de l’économie internationale. Dans cette perspective, une stratégie de concurrence aux économies dominantes, telle que la Suisse l’a envisagée, requiert des outils performants et appropriés, notamment en matière d’instruction et de formation.
La deuxième moitié du XXe siècle confirme cette appréciation qui se nuance pourtant sur la fin. Le succès est patent pour les années 1953-1970 qui sont synonymes d’une croissance sans précédent. Les actifs perdus dans l’agriculture ne compensent pas la demande quasi-exponentielle de l’industrie en main-d’œuvre. L’immigration supplée aux pénuries internes. Son taux atteint des proportions qui se situent très au-dessus des moyennes européennes et accentue encore sa dépendance. Paul Bairoch qualifie la période 1970-1990 aussi positivement mais tout en ajoutant des bémols lorsqu’il parle « des quelques déboires de l’industrie suisse ».
source : TISSOT Laurent, « Introduction. Des mythes et paradoxes de l’histoire économique à ceux de la Suisse », dans : Le miracle suisse selon Paul Bairoch. Recueil d'articles édité par ETEMAD Bouda, BATOU Jean. Genève, Librairie Droz, « Publications d'histoire économique et sociale internationale », 2020, p. 9-20.
Nous vous proposons quelques références afin d'approfondir le sujet :
Quelques articles :
- Pourquoi la Suisse est-elle riche? L’histoire économique nous répond
Trois facteurs exogènes ont eu un effet particulièrement favorable dans cette réussite : une paix permanente, la croissance de nos grands voisins à partir de 1945 et la structure économique héritée du XIXe siècle. L’histoire nous montre aussi que pour réussir il faut savoir saisir la balle au bond. Parmi les atouts suisses, on trouve l’excellente qualité de son capital humain et une politique économique axée sur la stabilité. En d’autres termes, la chance et l’intelligence sont à l’origine de la réussite de l’économie suisse des 90 dernières années.
- Économie suisse – Vue d'ensemble
L’économie suisse est l’une des plus compétitives au monde, principalement en raison de son secteur tertiaire. En comparaison internationale, la Suisse est relativement peu endettée et dispose d’un système fiscal concurrentiel. Composée essentiellement de petites et moyennes entreprises, l’économie suisse est axée sur l’exportation.
- un documentaire ARTE : Pourquoi la Suisse est-elle si riche ?
Pourquoi la Suisse, pays pourtant pauvre en matières premières, est-elle plus prospère que tout autre pays au monde ? Le documentaire, qui examine la question de manière analytique, met ainsi en lumière plus de 500 ans d'histoire économique suisse.
- Quand les travailleurs suisses étaient les moins bien payés d'Europe / Le Temps - Opinions/Chroniques, samedi 19 octobre 2013 (article à consulter sur Europresse)
Trois lignes d'explications courent en parallèle. La plus populaire, vaguement inspirée du sociologue allemand Max Weber, attribue le succès suisse à une éthique du travail de type protestant, jointe à un bon niveau d'éducation et d'initiative individuelle. Une mentalité collective aurait ainsi sorti un pays sans débouché et sans ressource de son destin de pauvre.
Une deuxième explication met en exergue les choix politiques et institutionnels de l'Etat fédéral à partir de 1848, qui allaient fonder une économie ouverte, apte à contourner la concurrence anglaise et à tirer tous les avantages de la première globalisation sans avoir à en partager les frais (guerres, flotte maritime, administration coloniale). Pour les partisans de ce raisonnement, l'absence de loi sur les brevets jusqu'en 1907 a permis aux entreprises suisses de profiter de technologies dont elles n'ont pas eu à supporter les coûts de recherche. Ainsi sont apparues à la fin du XIXe siècle les industries alimentaire, chimique ou mécanique.
Une troisième explication voit la richesse suisse comme un dividende, plus tardif, de la stabilité politique et de la neutralité pendant le XXe siècle. Tandis que dans la plupart des pays européens banques et assurances étaient aux prises avec les effets de la guerre et de l'hyperinflation, la Suisse neutre pouvait garder des taux de change constants et un franc convertible. Ajoutés au secret bancaire, ces avantages ont attiré une quantité de capitaux dans ce qui allait devenir une importante place financière et en permettre les retombées sur l'ensemble de la société.
- Voici pourquoi l’économie suisse est un «cas particulier»
- Coface : principaux Indicateurs économiques de la Suisse
Voici une bibliographie :
Economie suisse / Cyril Jost, Vincent Kucholl
Un panorama de l'économie suisse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : l'offre et la demande, la monnaie, les finances publiques, les impôts, la Bourse, la crise financière, etc.
Histoire économique de la Suisse au XXe siècle / sous la direction de Patrick Halbeisen, Margrit Müller, Béatrice Veyrassat
Un état des lieux de la situation économique de la Suisse dans le contexte du XXe siècle, période durant laquelle elle s'affirme durablement comme un pays prospère, notamment en adaptant ses règles institutionnelles aux nombreux effets de la croissance et à la mondialisation.
Le modèle suisse : pourquoi ils s'en sortent beaucoup mieux que les autres / François Garçon
Cette enquête analyse les réalités du modèle politique et économique suisse. F. Garçon explore les mécanismes institutionnels, le niveau de vie des Suisses, le système scolaire et universitaire, l'intégration des immigrés, l'industrie et le commerce, etc. La mise en exergue des qualités, pour l'auteur, fait souvent défaut à la France.
La Suisse : pays le plus heureux du monde / François Garçon
Une défense du modèle politique suisse. L'auteur souligne l'implication de la société civile, les faibles dépenses de l'Etat, la puissance industrielle du pays et le niveau élevé de la formation des habitants. Il répond aux critiques quant au refus de l'immigration massive et la tradition du secret bancaire, dorénavant mise à mal.
La Suisse n'existe plus ! / Nicolas Jutzet
Une étude de la Suisse en tant qu'acteur économique et politique, mais dont le développement peine à émerger depuis le début du XXIe siècle.
Le miracle suisse selon Paul Bairoch / Recueil d'articles édité par Bouda Etemad, Jean Batou
Recueil de huit études publiées entre 1978 et 1996 par Paul Bairoch traitant du développement économique de la Suisse, de son commerce ainsi que de son industrie. Deux de ces articles sont consacrés au rayonnement international de Genève à travers l'histoire.
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Quelle était la composition du CA des librairies indépendantes...