Question d'origine :
Bonjour,
je souhaite savoir ce que signifie la phrase de M. HOBBES. « L'homme est un loup pour l'homme ».
Puis dans quel contexte il a écrit celle-ci ?
Cordialement.
Réponse du Guichet
Il s'agit en réalité d'une reprise d'un auteur romain. Pour saisir le sens de cette pensée, il faut relire le texte de Thomas Hobbes dont provient cette citation, c.a.d. l'épître dédicatoire de son traité "Du citoyen", rédigé en exil à Paris en 1641, et faire le lien avec ses autres traités de philosophie politique, dans le contexte d'une menace de guerre civile qui plane sur l'Angleterre.
La citation est d’origine romaine. C’est l’écrivain Plaute qui la formule. Hobbes la reprend en temps de turbulence politique, à un moment où l’Angleterre bascule dans la guerre civile. Redoutant ses conséquences, le philosophe s’exile à Paris et, en novembre 1641, il écrit son œuvre «Du citoyen», en latin «De cive». C’est justement la guerre civile que Thomas Hobbes souhaitait absolument éviter à son pays, désirant de toutes forces le maintien de la paix en tant qu’état de civilisation.
Plus précisément, nous trouvons cette fameuse formulation «homo homini lupus» dans l’épître dédicatoire du traité sur le citoyen.
Selon le spécialiste de la pensée hobbesienne, Luc Foisneau, il s’agit d’une formule qui concerne davantage les relations entre Etats que les relations interpersonnelles. Dans les «Elements de la loi» écrit en 1640, Hobbes définit l’Etat comme «une multitude d’hommes unis en une seule personne». A l’instar de l’image du corps, celle de la personne collective est appliquée à plusieurs reprises à l’Etat dans cet ouvrage. Tout en relevant les problèmes que soulève cette idée, le philosophe reprend et développe sa théorie de l’Etat-personne dans son traité «Du citoyen», ou bien, si l'on préfère, il personnifie l'Etat. Dans cette démarche, il puise en partie dans les concepts des juristes qui, à partie du XVIe siècle, considéraient les corporations comme personnes en vertu d’une fiction juridique, mais il s’inspire aussi plus directement de la pensée politique romaine. En effet, dans l’univers romain, la communauté politique était pensée comme une personne.
Par ailleurs, «l’homme est un loup pour l’homme» n’est qu’une partie de sa phrase. On oublie trop souvent que l’auteur commence par «homo homini Deus» :
«Et il est également vrai de dire que l’homme est un Dieu pour l’homme et que l’homme est un loup pour l’homme.
La première formule vaut si nous comparons les citoyens d’une même cité, la seconde si nous comparons les cités. Là, en pratiquant la justice et la charité, les vertus de la paix, on accède à la ressemblance de Dieu ; ici, à cause de la dépravation des méchants, même les gens de bien doivent recourir, s’ils veulent se protéger, aux vertus de la guerre, la force et la ruse, c’est-à-dire la rapacité des bêtes sauvages. Cette rapacité, les hommes se l’imputent mutuellement à outrage, à cause d’une coutume née avec eux qui leur fait se représenter leurs actions dans la personne des autres comme dans un miroir où ce qui est à gauche est estimé à droite et ce qui est à droite est estimé à gauche, mais pourtant le droit naturel qui dérive de cette nécessité de se préserver ne permet pas qu’elle soit un vice.»
On attribue les rapports d’hostilité entre les cités et entre les hommes au loup qui sommeille en chacun. Cependant, la bestialité n’est pas une cause, mais une conséquence; autant les armes utilisées par l’homme surpassent celles des bêtes, «autant l’homme surpasse en rapacité et en fureur les loups, les ours et les serpents (dont la rapacité ne va pas au-delà de la faim et qui ne s’abandonnent à la fureur que si l’on les irrite), lui qui a faim même de la faim future» («De l’homme», chap. 10,3). Dans le chapitre 13 du «Léviathan» (1651), Hobbes explique que la vie de l’homme est bestiale car les conflits et l’insécurité risquent de détruire la civilisation jusqu’à menacer l’humanité même de l’homme.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’épître dédicatoire s’ouvre précisément sur la guerre civile romaine, où les rois sont des prédateurs pour les peuples. Hobbes ne distingue pas les monarques justes des tyrans, il expose un point de vue général et pense que toute cité est un fauve pour ses ennemis. Les appétits sont présents partout et ceux qui veulent détruire le peuple romain sont aussi iniques que ceux qui dénoncent le despotisme.
Après avoir rétabli l’équilibre entre les rois et les peuples, une comparaison en équilibre une autre: l’homme est aussi un Dieu pour l’homme. Le penseur suggère ainsi que le citoyen dépasse l’homme. La cité sort l’homme de son état naturel par un artifice qui le rend semblable à un Dieu.
Dans le «Léviathan», cette vision est légèrement modifiée: toujours dans le chapitre 13, Hobbes évite de comparer les vertus de la guerre, comme la force et la ruse, à la rapacité des bêtes. La république n’est plus un loup pour ses ennemis, mais un monstre, Léviathan. Quant à la ressemblance avec Dieu, elle se réfère à ceux qui mettent en place la république, propos que l’on retrouve dans l’introduction, mais également au souverain qui établit la paix et la sécurité, un Dieu mortel. Ces derniers éléments sont exposés dans le chapitre 17 du «Léviathan», contenant la définition de l’Etat, à la suite d’un chapitre dédié notamment aux personnes, aux auteurs et aux choses.
« L’homme est un loup pour l’homme » a eu plusieurs interprétations et a vécu quelques vies. Parmi les plus célèbres, celle que lui a donnée Louis XIV en disant : «L’Etat, c’est moi».
Pour aller plus loin:
Luc Foisneau, «Hobbes. La vie inquiète», éd. Gallimard, 2016;
Un podcast de France Culture sur la question avec ce chercheur ;
Carl Schmitt, «Le Léviathan dans la doctrine de l’Etat de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique», éd. Seuil, 2002.
Faites de belles découvertes !