Question d'origine :
Adolf Hitler avait-il des côtés humains? Quels étaient les côtés humains de Adolf Hitler?
Réponse du Guichet
Hitler, comme tout homme, malgré l'inhumanité de ses crimes, avait des "côtés humains", dans le sens où il avait des comportements mais aussi des émotions propres à la personne humaine.
Bonjour,
Votre question pointe le fait qu’il est difficile d’attribuer l’adjectif «humain» à la personne qui a imaginé et orchestré les pires crimes contre l’humanité dans l’histoire, qui a provoqué selon les termes de Ian Kershaw, les «abîmes d’inhumanité sans fond atteints par le régime nazi». Ainsi la tentation est grande de rejeter Hitler en dehors de l’humanité, d’en faire un monstre. Cette question de la possibilité même d’une telle cruauté de la part d’une personne humaine, a alimenté de nombreux écrits sur la personnalité d’Hitler ainsi que sur la question du mal et sur son «impensable banalité» comme le nomme Myriam Revault D’Allones dans son article synthétique sur cette notion utilisée par Hannah Arendt (L'impensable banalité du mal). Ces débats sont complexes, l’historiographie sur Hitler (on compterait pas moins de 120000 ouvrages sur lui) ne fait pas consensus et a évolué dans le temps.
Volker Ullrich dans sa biographie d’Hitler (parue en 2013 en Allemagne et en 2016 en France) propose dans son introduction une bonne synthèse sur les différents ouvrages portant sur Adolf Hitler et les visions qu’ils en ont données. Il explique en quoi son livre s’inscrit dans leur continuité, tout en ayant pour objectif de «replacer au centre la personnalité de Hitler, qui reste remarquablement pâle dans la présentation qu’en donne Kershaw, sans négliger pour autant les conditions sociales qui, seules, ont permis à sa carrière de décrire sa trajectoire fulgurante.Nous mettrons pour ce faire à l’épreuve quelques hypothèses qui courent à travers la quasi-totalité des ouvrages consacrés à Hitler.». Ainsi il dit vouloir reprendre les «théories» selon lesquelles Hitler était un personnage ordinaire à «l’horizon intellectuel limité», dont l’unique talent était «d’éveiller les basses émotions des masses» ; un artiste contrarié ; ou encore la conception selon laquelle «l’existence personnelle de Hitler en dehors de la politique serait totalement inintéressante». «On tentera, dans ce livre, de corriger cette image. Il s’efforce d’apporter la preuve que le prétendu vide de l’existence de Hitler au-delà de ses activités politiques est un leurre»
Il continue ainsi : «A-t-on le doit de montrer Hitler comme un être humain? ont demandé les médias à l’occasion de la sortir du film de Bernd Eichinger la Chute en 2004… A cette question, il ne peut y avoir qu’une seule réponse et elle est brève: on n’en a pas seulement le droit, mais l’obligation. On commet une grave erreur en croyant qu’un criminel du siècle comme l’était Hitler était forcément un monstre, y compris sur le plan personnel. Il serait bien entendu plus simple de pouvoir le cantonner au statut d’un psychopathe qui aurait méthodiquement concrétisé ses impulsions meurtrières dans l’action politique. Cette tendance diabolisante a de fait longtemps dominé la recherche – et empêché de voir la personne réelle. Depuis sa cellule à la prison de Spandau, Albert Speer observait en février 1947 la tendance croissante qu’avait la société allemande post-nationale-socialiste à considérer Hitler comme un homme qui, «pour des motifs futiles, perdait tout contrôle, s’adonnait à la rage et mordait le tapis». Il jugeait cela «inexact et dangereux» et notait: «dépouiller son image de ses traits humains, faire abstraction de sa force de persuasion, de l’attirance qu’exerçaient ses qualités et même du charme autrichien dont il pouvait faire montre, risquerait de fausser sa vérité». Plus loin encore: «Faire le portrait de Hitler en créature humaine ne revient pas, bien entendu, à éveiller des sympathies pour lui ou a fortiori à banaliser ses crimes.»
«L’image de Hitler devient ainsi plus complexe et plus multiple. Il n’était pas un homme sans qualité, mais un homme doté de nombreuses qualités et de nombreux visages. Derrière le personnage public qui se composait aussi bien des mises en scène du «Führer» par lui-même que des traits que lui prêtaient ses fervents partisans, transparait l’homme –avec ses traits conquérants et repoussants, ses dons et talents indiscutablement considérables, tout autant qu’avec ses complexes et affects aussi évidents que profondément ancrés, ses énergies destructives et ses mobiles meurtriers. L’objectif est de déconstruire le mythe de Hitler, qui a continué en bonne partie à agir après 1945 dans la littérature et le débat public sous forme de «fascination pour le monstre». D’une certaine manière, Hitler est ici «normalisé, ce qui ne le rend toutefois pas plus «normal», mais au contraire plus abyssal.»
Dans son chapitre L’homme Hitler (p. 454-493), il tente de dresser un portrait physique et psychologique à partir de différents témoignages. L’une des caractéristiques majeures de la personnalité d’Hitler que beaucoup d’observateurs ont relevée c’est «l’inquiétante double nature de son caractère». L’un d’eux disait : «il pouvait être enchanteur et, un peu plus tard, exprimer des points de vue qui vous donnaient froid dans le dos.». Il revient notamment sur ces talents d’orateur et même de comédien et d’imitateur, mais aussi sur sa «mémoire stupéfiante», son profil autodidacte arrogant, les relations avec ses proches, son rapport au travail, son intérêt pour l’architecture, et plus globalement les beaux-arts et la peinture, sa passion pour Richard Wagner, mais aussi pour le cinéma. Il parle de son humour comme de ses peurs. Il évoque encore l’automobiliste passionné, le fait qu’il ne mangeait pas de viande, ne fumait pas et buvait rarement de l’alcool, mais qu’il avait un irrépressible besoin de manger des gâteaux et sucreries, qu’il se souciait extraordinairement de sa santé et accordait une grande attention à l’hygiène, qu’il se couchait tard et se levait tout aussi tard… Vous trouverez plus d’éléments en lisant le chapitre dans sa globalité.
L’ouvrage de Peter Longerich, bien qu’un peu différent, se place aussi dans cette perspective, comme indiqué sur la 4e de couverture: «En dépit de sa cruauté, voire de sa folie, Adolf Hitler n’était qu’un homme, avec toutes ses faiblesses et ses lâchetés, et c’est bien ce qu’il y a de plus effroyable dans ce constat implacable». Il dit aussi dans son introduction: «L’expression de Joachim Fest, selon laquelle Hitler était fondamentalement une «Unperson», une «non-personne», est caractéristique de la tendance de l’historien à ne pas placer Hitler sur le plan de l’ «humain». La présente biographie, au contraire, part du principe que, comme tout homme, Hitler possédait une personnalité, qu’elle présentait certaines constantes, certains axes d’évolution et certaines failles que l’on peut décrire et analyser, et que l’analyse de la personnalité du dictateur peut être mise à profit pour expliquer sa carrière politique… Il ajoute plus loin : «La psyché de Hitler, sa vie affective, son existence physique, son mode de vie, son comportement avec autrui, etc, -tous ces aspects ne peuvent remplacer l’analyse de faits historiques complexes, ni être rassemblés non sans voyeurisme dans un chapitre qui serait intitulé: «la vie privée de Hitler»; il convient de les considérer comme partie intégrante de sa personnalité et, lorsque cela s’avère utile, de les intégrer au tableau d’ensemble.»
Voir aussi ces deux précédentes réponses du Guichet :