Comment fonctionnait la justice sous le 1er Empire en France ?
Question d'origine :
bonjour,
Sous le 1er Empire en France, quel était le temps dont disposait un jury d'assise pour déterminer un verdict ?Obtenait-il des prolongations en cas de difficultés à obtenir un consensus ? Si le jury n'arrivait pas à se déterminer, le président du tribunal, au nom de l'Empereur, ne déterminait-il pas lui-même la sanction ? Merci.
Réponse du Guichet
Il nous semble bien difficile de pouvoir vous donner une réponse précise et satisfaisante car nous n’avons pas trouvé de « limite » temporelle pour que les jurys délibèrent de leur verdict.
Pour comprendre le système judiciaire sous le Ier Empire ainsi que le fonctionnement des jurys à cette période, il faut rappeler que cette justice même naît de la Révolution française. Inspirée par la philosophie des Lumières et notamment certains grands auteurs (comme Montesquieu, Beccaria, Voltaire par exemple) qui remirent en question les dures sentences prononcées par les juges d’Ancien Régime (peines de mort, travaux forcés, bannissements, châtiments corporels, …), la Révolution française se veut en rupture directe avec la justice d’Ancien Régime qui était bien souvent payante (donc inégale) et soumise à la bonne volonté des juges et magistrats qui obtenaient leur charge judiciaire en achetant cet office : ce sont eux qui rassemblent aussi bien les preuves matérielles, les témoignages et qui rendent également verdict. Leur pouvoir est donc considérable mais restreint aux classes hautes et enrichies de la société.
Avec la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), la Révolution française souhaite aussi remettre au sein de la justice les idéaux de 1789 : liberté, égalité, fraternité et donc créer une justice participative citoyenne car la loi doit émaner du peuple. Pour se faire, plusieurs changements eurent lieu : l’élection des magistrats par le peuple, l’établissement d’un processus judiciaire unique pour tous quelle que soit la naissance ou le statut social ainsi que le droit pour tout accusé de paraître devant un jury. Mais la nouveauté pour le système judiciaire fut bien celle de la constitution de ces jurys où les jurés sont concitoyens, l’idée étant que la loi émane toujours du peuple : ce sont bien les citoyens qui jugent un autre citoyen et sont chargés de décider de son innocence ou de sa culpabilité.
Mais comment se déroule un procès à cette période ?
Tout d’abord, le tribunal est mobilisé lorsque l’accusé arrive à la maison de justice. Le président du tribunal devait alors interroger l’accusé dans les 48h suivant son incarcération. Une fois chose faite, le procès pouvait réellement commencer en débutant par le serment que le président faisait prêter aux jurés :
« Citoyen, vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse, les charges portées contre tel… ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous décider d’après les charges et moyens de défense, et suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre. » (selon les lois des 16 et 29 septembre 1791, 2ème partie, Titre VI, article 24).
L’accusé était ensuite appelé à la barre et devait se présenter puis écoutait les délibérations à son encontre attentivement. S’en suivait alors une véritable bataille judiciaire : l'affrontement entre la défense et l’accusation. Chaque témoin à charge était présenté ce à quoi l’accusé devait répondre. Il pouvait aussi contester le témoignage ou l'intégrité du témoin. Avec son défenseur, il est dans le droit de demander à éclaircir certains points ou à les réfuter et réciprocité du côté de l’autre partie. De même, le président du tribunal et les jurés possèdent ce même droit pendant toute la confrontation auprès des deux parties.
Une fois toutes les preuves matérielles présentées et les témoins entendus, l’accusateur public donnait sa conclusion. Le plaignant pouvait également demander à être entendu. L’accusé et son défenseur devaient répondre aux accusations. L’examen des faits était rendu avec des remarques des deux parties ce qui avait pour but d’influencer les jurés. Le dernier mot revient au président qui résumait l’affaire en présentant son point de vue aux jurés ce qui lui permettait d’orienter ceux-ci vers le verdict qui lui semblait le plus approprié. A la fin de sa prise de parole, il posait alors des questions nécessaire à la délibération des jurés : le crime a-t-il vraiment eu lieu, l’accusé l’a-t-il vraiment commis, avait-il l’intention de commettre ce crime ?
Ces questions ont pour but de définir s’il s’agissait d’un crime ou d’un délit mais aussi de pouvoir déterminer les circonstances de ceux-ci afin de prévoir les peines encourues par l’accusé.
Vient alors la délibération des jurés, ils devaient débattre de leur verdict. Si le système des jurys était déjà connu en Angleterre, par exemple, la France se distingue cependant dans son système judiciaire en formant des jurys composés de 12 membres dont le verdict ne se doit pas d’être unilatéral. En effet, le verdict n’a pas besoin d’être unanime. C’est d’ailleurs pour cela que la délibération du jury avait lieue à huit clos dans une salle à part qui ne donne pas sur rue pour éviter tout élément extérieur qui pourrait influer sur le jugement d’un juré, le but étant que s’exprime sa conviction personnelle.
Ainsi, il suffisait de 10 voix sur 12 pour entraîner la condamnation de l’accusé. En ce même sens, un accusé était acquitté si trois voix décidaient que le crime n’avait pas eu lieu, que l’accusé n’était pas responsable ou que l’acte commis n’avait pas d’intention criminelle (contre une voix dans une système judiciaire anglais). De fait, on pourrait considérer que la justice française était plus « dure ». Avec cette conception du scrutin, il semble donc impossible que les jurés aient besoin de temps supplémentaire pour donner leur verdict puisque le consensus n’est pas nécessaire.
Une fois le débat terminé, chaque juré se retrouvait un à un dans la chambre du conseil où il répondait alors aux questions du juge, une à une : le crime a-t-il bien eu lieu, l’accusé est-il coupable et ainsi de suite. Ce vote était symbolisé par des boules consignées dans des boîtes : elles étaient blanches pour un vote négatif donc en faveur de l’accusé et noires pour un vote positif donc contre l’accusé. Ainsi, s’il y avait 3 boules blanches dans la première boîte l’accusé était alors acquitté.
Malgré ces informations, nous ne pouvons vous répondre en termes de quantité temporelle quant à l’élaboration du verdict. Nous n’avons hélas pas trouvé de données ou de sources précises à ce sujet. Comme il en est toujours le cas aujourd’hui, le temps des procès pouvaient varier. Néanmoins, la nature et l’élaboration même de jurys non-unanimes nous pousse cependant à vous soumettre l’hypothèse que la possibilité de « non consensus » au sein d’un jury ne soit pas un problème du tout pour l’issue d’un procès.
De même, force est de constater que les acquittements étaient en réalité nombreux à un tel point que le décret du 19 fructidor an V (5 septembre 1797) modifia le scrutin du jury : il devait à présent être unanime afin de réduire le nombre d’acquittements. La même loi stipule également qu’au-delà de 24h, si la délibération n’était pas unanime, la majorité suffisait à condamner l’accusé. On passait alors de 3 voix en faveur de l’accusé pour provoquer l’acquittement contre 6 voix depuis la loi. Paradoxalement, la loi ne changea que très peu le nombre des acquittements, il y en eût toujours autant. Le cas de la majorité simple nous permet de vous dresser la même hypothèse que précédemment : cela ne posait pas plus de complications que cela et donc par conséquent, le président du tribunal n’eût probablement jamais dû à intervenir.
Il faut attendre la période napoléonienne pour que les institutions se durcissent à cet égard : Napoléon forma des tribunaux spéciaux sans jury pour certains crimes comme les vols commis sur les routes, les meurtres avec préméditation, les incendies volontaires et la fausse monnaie, par exemple. L’autre mesure qui permit de durcir les verdicts fut l’accession au statut du juré qui se rigidifia sous Napoléon. Avec la remise en vigueur des conditions censitaires en 1795 qui étaient nécessaires pour apparaître sur les registres de recensement des jurés, il y eût certes beaucoup plus de notables et élites administratives et économiques dans les jurys napoléoniens.
Enfin, pour répondre à votre dernière question et compléter d’avantage, nous pouvons estimer que le président du tribunal n’eût pas le besoin d’intervenir dans la décision du verdict. Cela s’explique à la fois par le système du scrutin spécifique des jurys ainsi que la nature du rôle du président du tribunal et des juges. Leur rôle était bien plus de décider des sanctions et des peines adéquates à mettre en place en accord avec le Code civil et le Code pénal en fonction du verdict que de décider du verdict même.
Si vous voulez approfondir le sujet, nous vous conseillons cette biographie utilisée pour formuler cette réponse à vos questions :
- Les tribunaux criminels sous la Révolution et l'Empire (1792-1811) de Robert Allen, 2005.
- Les institutions de la France sous la Révolution et l'Empire de Jacques Godechot, 1985.
- La France de la Révolution et de l'Empire de Jean Tulard, 2004.
- Le grand consulat (1799-1804) de Thierry Lentz, 1999.
- Napoléon et le droit : droit et justice sous le Consulat et l'Empire. Actes du colloque de La Roche-sur-Yon 14-16 mars 2017.
En vous souhaitant une agréable lecture ! :)