Dans quelles mesures les décisions de Louis XVI ont conduit à la Révolution française ?
Question d'origine :
Dans quelle mesure les décisions de Louis XVI ont-elles conduit à la Révolution française au vingtième siècle?”.
Réponse du Guichet
Difficile de résumer tous les débats au sujet de ce roi qui a été aussi bien considéré comme victime que comme coupable des évènements. Roi martyr, traître, ou incapable ? Il est certain que la figure de ce roi a été instrumentalisée à des fins souvent politiques dans le cadre plus large des controverses autour de la Révolution française.
Bonjour,
Nous n’avons pas bien compris la mention «au vingtième siècle» dans votre question. Vous êtes-vous simplement trompé ou vous intéressez vous à la perception du rôle de Louis XVI au 20e siècle?
Les historiens ne sont de toute façon pas tous d’accord sur le rôle des décisions de Louis XVI dans le déclenchement de la Révolution. Frédéric Bluche résume les principales thèses dans le chapitre Louis XVI ou la fin du miracle dans Le miracle capétien :
«Traîtrise ou sainteté?
Si la première partie du règne, de 1774 à 1789, fut sans véritable mystère, sinon sans équivoques ni malentendus, l’attitude de Louis XVI durant la Révolution a fait l’objet d’interprétations pour le moins contradictoires.
Les historiens jacobins et leurs successeurs marxistes ou marxisants ont fait du Louis XVI des années 1789-1792 un «traître à la nation», traître plus ou moins borné qu’à longueur de livres et d’articles on a continué, un siècle, un siècle et demi et maintenant deux siècles après l’évènement, de guillotiner «dans la dignité» pour l’exemple et l’édification de maintes générations d’écoliers et d’étudiants. Les historiens contre-révolutionnaires, pour leur part, prisonniers des contradictions du personnage, étaient souvent contraints de choisir entre la thèse moralement gênante du double jeu de Louis XVI et celles, complémentaires et aussi peu satisfaisantes pour l’esprit, de la limite du monarque et de ses limites intellectuelles; seule au fond, la sainteté du roi-martyr permettait de ne pas l’accabler. Dans une retentissante Enquête sur le procès du roi Louis XVI, Paul et Pierrette Girault de Coursac ont choisi la troisième voie: celle de l’absolue sincérité politique de Louis XVI, vrai roi constitutionnel.
Aucune de ces trois thèses prise isolément – et surtout pas la troisième – ne rend compte de l’extrême complexité du dossier.»
L’auteur poursuit en proposant une explication qui donne plutôt l’image d’un roi pas très doué:
«La méconnaissance du droit royal se doublait, chez Louis XVI, d’une généreuse erreur psychologique».
C’est un peu la même image qui ressort de l’article de Patrice Gueniffey C’est la faute à Louis XVI, Le Point, 15/12/2011
Jean-Clément Martin dans Idées reçues sur la Révolution française, p. 27 «Le roi et la reine sont responsables de la Révolution» pointe lui l’importance de leur discrédit auprès de l’opinion :
«Il ne s’agit pas de faire des frasques réelles ou supposées de Marie-Antoinette ou de l’incapacité de Louis XVI les raisons de la Révolution. Cependant que l’on ait pu supposer et l’une et les autres a discrédité l’image du couple royal, pire même, habitué l’opinion au mépris. […] Les propres inconséquences du roi et de la reine –soutenir le tiers-état contre les prétentions des aristocrates jusqu’à la fin de 1788, en accordant notamment le doublement du nombre des députés roturiers dans les Etats généraux, avant de virer casaque à partir de Juin 1789, leur proximité avec les opposants les plus radicaux, en octobre 1789, enfin la fuite arrêtée à Varennes – ruinent toute autorité.»
Dans Histoire d’un non-objet historiographique : le cas Louis XVI, Aurore Chery offre un intéressant développement sur les différentes analyses du rôle de Louis XVI à travers les siècles, et notamment au XXe. L’article commence en montrant aussi la difficulté de répondre unilatéralement à votre questionnement :
«C’est toujours la confusion qui règne comme le traduisent ces propos de François Furet : «entre l’héritier du trône et le souverain martyr, les historiens ont de la peine à cerner la part qui revient au dernier monarque absolu de notre histoire dans la suite d’événements qui emporte l’Ancien Régime et la plus vieille monarchie de l’Europe»».
Jean-Christian Petit-fils se propose de faire une «révision historiographique», «loin de la vulgate officielle comme de l’hagiographie sans nuances, du dénigrement systématique comme de la dévotion exagérée» dans le texte en ligne Louis XVI, un portrait et dans le livre Louis XVI.
Mais sans convaincre Aurore Chéry comme vous pourrez le lire dans le texte cité :
«Ce qu’ajoute Petitfils à Hardman, c’est un tableau doucereux de la France de Louis XVI, que n’aurait pas renié la presse de l’époque, et qui s’inscrit dans la continuité de la formule de Talleyrand évoquée au début de cet article. En définitive, ce portrait de Louis XVI n’est donc ni si novateur ni dressé avec «autant de sérénité» que le prétend l’éditeur dans sa présentation de l’ouvrage. La supposée nouveauté, c’est que l’on est censé rompre avec Lavisse –ce qu’Évelyne Lever avait fait de la manière la plus nette– comme avec la tradition royaliste, ce qui est moins certain dans les faits. En effet, l’Action française exaltait déjà la France d’Ancien Régime à défaut de pouvoir dresser le portrait d’un roi tel qu’elle en rêvait. Chez Petitfils, la même représentation de la France prévaut mais le roi, cette fois, n’est plus en faute: c’est la résistance aux réformes voulues par le roi qui plonge le pays dans le marasme.»
Il faut dire qu’elle a elle-même écrit en 2020 une biographie assez "révolutionnaire" : L'intrigant : nouvelles révélations sur Louis XVI. (Voir la recension de Guillaume Debat et celle de Jean-Clément Martin en ligne).
Pour aller plus loin :
Articles Wikipédia, Louis XVI, Procès de Louis XVI et Causes de la Révolution française.
Louis XVI, Evelyne Lever
Louis XVI, Bernard Vincent
La Révolution française, Albert Soboul
Louis XVI ou la fin d'un monde, Bernard Faÿ
La Chute de la monarchie: 1787-1792, Michel Vovelle
La révolution francaise. 01 : la chute de la royauté, Albert Mathiez
Nous laisserons la conclusion à Joël Félix dans Louis XVI et Marie-Antoinette : un couple en politique :
«Par bien des aspects, l’histoire de Louis XVI et Marie-Antoinette est celle d’une illusion, le produit d’un incroyable décalage entre les principes du roi, les pratiques du gouvernement, les perceptions et les aspirations des Français. C’est assurément l’histoire d’un dialogue manqué entre les pesanteurs de la tradition et les forces de changement, le récit du fossé qui sépare l’imaginaire de la politique des contingences du quotidien».
Bonnes lectures !