Question d'origine :
Bonjour
De quelle époque datent les premières représentations d'un Christ sur la croix ?
Ce mode de représentation est-elle postérieure ou antérieure au christ en Gloire ?
Le christ en gloire est-il plus fréquent dans l'église d'Orient ?
Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 14/11/2006 à 18h12
Représentations du Christ, Christ crucifié-Christ en gloire
La réponse à votre question se trouve dans l’ouvrage de Louis Réau : Iconographie de l’art chrétien, en 6 vol. paru aux PUF, 1955-1959, et notamment dans le vol. 2 du Tome second consacré à l’iconographie de la Bible et, plus précisément, du Nouveau Testament (cote BML : FA est 09 C) . La lecture de Jérôme Cottin.-Jésus-Christ en écriture d’images : premières représentations chrétiennes.-Labor et Fides, 1990.-(Essais bibliques ; 17), cote BML : K 50270, en est un bon complément. En puisant nos informations dans l’un et l’autre livres, nous vous proposons la synthèse suivante :
Contexte historique :
Avant l’empereur Constantin (280 ?-337), c'est-à-dire avant le début du 4e siècle, le christianisme est encore minoritaire et clandestin. L’art chrétien du 3e siècle est un art souterrain car il n’existe encore aucun bâtiment ou monument chrétien en dehors d’anonymes « églises de maisons ». De cette première période, il ne reste que les fresques des Catacombes romaines, les sculptures des plus anciens sarcophages, ainsi que les fresques de Doura-Europos en Syrie.
Avec Constantin qui décrète la fin des persécutions (par l’Edit de Milan, en 313), le christianisme acquiert droit de cité. Après Constantin, à partir du milieu du 4e siècle, le christianisme jouit d’une visibilité nouvelle et deviendra religion d’état en 380 par un édit de l’empereur Théodose. L’art chrétien émerge à la lumière et devient plus officiel, plus grandiose, plus riche. Il emprunte à l’art impérial ses modèles et trouve une fonction sociale nouvelle, celle de s’adresser aux peuples récemment christianisés.
Premières représentations du Christ en croix :
Le 4e siècle a vu l’apparition de la croix dans l’image, mais d’une croix impériale, liée d’abord au triomphe de l’empereur, reprise ensuite par l’Eglise pour exprimer la victoire de Jésus-Christ sur le péché et sur la mort. Mais toujours sans représenter sa mort sur cette croix. Ce n’est qu’un siècle plus tard, au 5e siècle, qu’apparaissent les premières représentations du Christ en croix.
On s’est souvent interrogé sur les raisons d’une absence totale de représentations du crucifié sur les toutes premières images chrétiennes. Peut-être est-ce parce-que le supplice de la croix qui n’a été aboli qu’en 315 par Constantin, était tellement atroce qu’on refusait de le représenter et l’art chrétien primitif répugnait à mettre sous les yeux des fidèles la mort ignominieuse du Messie, cloué comme un esclave rebelle entre deux malfaiteurs. Cette image est écartée à la fois par l’art idyllique des Catacombes qui ne s’inspire que de l’espoir du Salut éternel et par l’art triomphal de l’époque constantinienne qui ne vise qu’à glorifier le Sauveur. Dans les fresques des Catacombes, le sacrifice du Christ est toujours symbolisé par le motif pastoral de l’Agneau mystique. Mais il y a une autre raison sans doute plus fondamentale : dans les représentations païennes contemporaines, on montrait des scènes de supplice pour glorifier, non la victime mais le bourreau. Dans les représentations de la mort de Jésus, c’est au contraire la victime qui est mise en valeur. Ainsi ces nouvelles images impliquaient un renversement conceptuel : c’était moins l’image qu’il fallait modifier que le sens de l’image et la façon dont on la percevait. Cette insistance sur la crucifixion réelle était d’autant plus importante qu’il s’agissait aussi, pour l’Eglise, d’affirmer l’Incarnation du Christ pour combattre certaines hérésies comme le docétisme monophysite qui absorbait la nature humaine du Christ dans sa nature divine et n’attachait à ses souffrances sur la croix qu’une valeur symbolique. C’est pourquoi le Concile de Trullo ou Quinisexte, tenu à Constantinople en 692, recommande aux artistes de représenter dorénavant le Christ non plus sous le symbole de l’Agneau, mais « sous sa forme humaine ». Il confirmait ainsi une transformation de l’iconographie qui s’opérait depuis le 5e siècle à partir duquel les monuments représentant la crucifixion deviennent tout d’un coup très nombreux. Les plus connus, dont quelques-uns sont exactement datés, sont :
- une plaque en ivoire du British Museum : il s’agit de la plus ancienne crucifixion occidentale, que l’on date des années 420-430. Elle a été faite en Italie du Nord mais comme elle se trouve au British Museum, on l’appelle souvent la « crucifixion de Londres ». La scène fait partie d’un ensemble de quatre panneaux qui formaient les quatre côtés d’un coffret en ivoire.
- le bas-relief en bois de la porte de la basilique Sainte-Sabine, à Rome, sur l’Aventin, daté au plus tard de 432, est l’une des plus anciennes crucifixions. Mais la croix est tellement discrètement représentée qu’on la peut dire absente.
- une miniature de l’Evangéliaire syriaque de Rabula : cette représentation, datant de 586, est tirée d’un manuscrit dit de « Rabula », du nom du scribe et moine qui a copié le texte. Le manuscrit se trouve actuellement à la bibliothèque Medicea Laurenziana à Florence.
- une ampoule palestinienne du trésor de Monza : il s’agit d’images très schématiques de la crucifixion, représentées sur des ampoules ou gourdes en terre cuite, de petites dimensions et rapportées par des pélerins de Terre Sainte. On appelle ces objets miniatures des « ampoules de Monza » du nom du lieu où elles sont conservées. Ces images portées par ceux qui étaient venus en Palestine s’approcher de la « vraie croix », traduisent un certain goût pour un réalisme appelé « syro-palestinien ».
- une fresque du 8e siècle dans l’église romaine de S. Maria Antica au pied du Palatin.
Outre les représentations du Christ en croix parvenues jusqu’à nous, d’autres sont signalées par les textes. Grégoire de Tours rapporte vers 590 (In Gloria Martyrum, 22) qu’une peinture représentant le Christ en croix existait de son temps dans l’église Saint-Genès de Narbonne et que sa nudité fit scandale.
Représentations du Christ en gloire :
Elles font l’objet du livre du jésuite Jean-Marie Tézé : Théophanies du Christ.-Desclée, 1988.-(Jésus et Jésus-Christ) d’où nous tirons également nos informations et que vous pourrez consulter au fonds jésuite de la BML (cote SJ TH 509/154).
« Que le Christ ait pu être représenté au 4e siècle sous la forme de la « Majestas Domini » -Christ en majesté -, cela tenait, bien sûr, au fait que le christianisme était devenu religion de l’Empire. L’iconographie chrétienne reprenait d’autant plus naturellement l’iconographie impériale que la religion et le pouvoir se confirmaient et se reflétaient selon de multiples correspondances.
Le parallélisme entre le Roi de l’univers et le roi de l’Empire, qu’Eusèbe de Césarée prenait plaisir à souligner dans son panégyrique de Constantin, se retrouvait à tous les niveaux : entre le monothéisme et le monarchisme, entre l’unité de la foi et l’unité de l’Etat, entre la « Pax christiana » et la « Pax romana »…entre l’Eglise et l’Empire. » A partir du 4e siècle nous sommes en régime de chrétienté et l’image de la « Majestas Domini » est le reflet de ce régime où pouvoir politique et pouvoir de l’Eglise sont étroitement liés.
Quelques exemples de Christ en majesté :
- mosaïque, fin du 4e siècle, Rome, abside de Sainte-Pudentienne
- Christ trônant au milieu des 12 apôtres, fin du 4e siècle, Rome, Cimetière de Domitille
- Christ en majesté entouré des apôtres et des martyrs, fin du 4e siècle, Rome, Cimetière des Saints-Pierre-et-Marcellin
Les images de la « Majestas Domini » recouraient à une analogie des plus universelles : la fonction royale symbolisée par le trône faisait du souverain le centre du monde, le médiateur par excellence qui unissait la terre et le ciel, le visible et l’invisible, l’humain et le divin.
Au 5e siècle, l’image de la « Majestas Domini » disparaît presque complètement : on ne voit plus le Christ sur son trône (cf. Buste du Christ, 5e siècle, San Prisco, chapelle Sainte-Matrona) : c’est l’époque du démantèlement de l’Empire. Rome tombe aux mains des barbares en 410 puis en 476 : il n’y aura plus d’empereur en Occident mais seulement en Orient, à Byzance.
Au 6e siècle, la « Majestas Domini » réapparaît mais autrement : le contexte n’est plus le même (cf. Christ en majesté entre quatre anges, 6e siècle, Ravenne, Saint-Apollinaire-le-Neuf). Des anges escortent maintenant le Christ modifiant le sens de l’image de la « Majestas Domini » au profit d’une vision intemporelle de la cour céleste s’inspirant du cérémonial de la cour de Byzance et de la liturgie.
Après le 7e siècle, « le temps des invasions » en Occident, et la crise iconoclaste du début du 8e siècle à Byzance, il fallut attendre la fin du 9e siècle pour revoir à Constantinople, dans le narthex de Sainte-Sophie, une représentation de la « Majestas Domini ».
Est-ce un hasard si les images de la « Majestas Domini » encadrée du tétramorphe (nom qu’on donne depuis St Irénée, au groupe des 4 évangélistes ou de leurs symboles) et s’inscrivant dans une gloire en amande appelée mandorle se multiplent à partir de l’époque carolingienne, c'est-à-dire au moment où le mythe royal revenait en force, où le roi se faisait consacrer par le pape et où Charlemagne concevait de restaurer la chrétienté et l’empire ? L’image de la « Majestas Domini » au tétramorphe où le Christ en gloire est entouré par la mandorle symbolisant le rayonnement de la gloire divine, résume au mieux la vision religieuse et cosmique des hommes du Moyen âge. Pendant 5 siècles cette image fut un véritable standard (cf. tympans de l’abbatiale de Moissac et de Vézelay, 12e siècle, et des cathédrales de Chartres, Portail Royal, 12e siècle et de Paris et de Bourges, 13e siècle, « Jugement dernier »).
Le Christ en gloire de l’art d’Occident est issu du Pantocrator byzantin. Il lui emprunte le double geste de la main droite bénissante et de la main gauche appuyée sur le Livre ouvert. Mais le Pantocrator est toujours représenté en buste au sommet des coupoles alors que le Christ en Majesté est assis sur un trône. Le mot grec, pantocrator, signifiant tout-puissant ou souverain des souverains, fut à l’origine appliqué à Dieu. Par la suite, on l’appliqua au Christ, le seigneur qui tient le monde dans l’être et qui donne à la vie son sens profond. Le premier Christ Pantocrator retrouvé date du VIe siècle et est conservé au monastère Sainte-Catherine du Sinaï en Égypte. Le réalisme de la figuration surprend par rapport aux œuvres datant du Moyen Âge. Le modèle du Christ Pantocrator se répand à partir du IXe siècle, et reste surtout utilisé dans l'art byzantin, que ce soit dans les architectures ou sur des icônes.
Pour approfondir votre recherche vous pourrez consulter les sites suivants sur :
- Christ Pantocrator sur Wikipédia et Christ Pantocrator sur Spiritualité chrétienne,
- Représentation du Christ en croix,
- Représentation artistique de Jésus-Christ.
et ajouter aux trois livres cités plus haut les deux ouvrages d’André Grabar : Le premier art chrétien (200-395) et L’âge d’or de Justinien : de la mort de Théodose à l’Islam.-Gallimard, 1966.-(L’univers des formes), cotes BML, SJ AK 104/120-121).
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