Question d'origine :
Bonjour,
Autrefois, les gens redoutaient tant d'être enterrés vivants qu'il était devenu habituel d'attacher un fil a leur doigt avant la mise en terre. Un fil passé par un trou percé dans le cercueil et remontant jusqu'à l'extérieur de la tombe. Un fil auquel était attaché une clochette.
Pendant sept jours un gardien faisait la ronde autour de la sépulture, à l'écoute du moindre tintement indiquant que la personne inhumée n'était pas morte…
Je souhaiterais connaître l'origine de cette pratique.
Merci de votre écoute et de votre aide.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 12/05/2010 à 11h05
Cette pratique, dont vous parlez, est évoquée par Michel Vovelle dans son livre La mort et l’occident de 1300 à nos jours .
Dans la cinquième partie de cet ouvrage, intitulée « La mort en question au siècle des Lumières », p 455 et 456, il évoque le développement du fantasme de l’enterré vif :
« L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert , à l’article « Mort » , détaille toute une série d’aventures d’enterrés vivants , les uns miraculeusement sauvés in extremis , les autres découverts trop tard, mais la main engagée sous le couvercle du cercueil, voire les bras dévorés par eux-mêmes dans l’excès de leur faim et de leur douleur…L’idée traîne partout.[…]
« L’idéal serait d’attendre les débuts de la décomposition, seul signe qui ne trompe pas : mais cela suppose qu’on puisse faire séjourner les cadavres le temps nécessaire dans un lieu approprié. Les Etats hésitent à s’engager dans l’onéreuse entreprise de ces charniers d’un nouveau genre ; mais des sociétés privées prennent l’inititiative de faire édifier des maisons des morts, préfiguration des morgues du siècle suivant : celle de Weimar, dit-on, est un modèle du genre avec circuit de chauffage, cordelettes attachées aux extrémités des défunts, déclenchant au moindre mouvement une clochette qui alerte un veilleur…Ces établissements sont restés des curiosités, à l’usage des élites. Mais il n’en reste pas moins que l’Allemagne s’est, plus que tout autre pays, hypnotisée sur le problème, peut-être en raison du nombre de communautés juives, dont l’importance sociale commence à être pris en considération. C’est par le biais des obsèques judaïques que l’affaire ici rebondit : elles sont dans la tradition extrêmement rapides, après trois heures de veille et une reconnaissance sommaire de la mort[…]
On retrouve aussi cette pratique évoquée très brièvement dans un article « les débuts de la crémation moderne en France", de Paul Pasteur, Le Mouvement social, N° 179, pp59-80.
Cette peur de « l’enterré vif » et les méthodes utilisées pour la combattre sont évoquées par de nombreux auteurs. On peut citer notamment :
Louis-Vincent Thomas « En hommage à Louis-Vincent Thomas », Etudes sur la mort 1/2006 (no 129), p. 11-22, article intégral accessible en ligne sur CAIRN, à la bibliothèque municipale ou accessible de chez vous si vous êtes abonné à la bibliothèque, en passant par le site, Lectura , dont voici un extrait :
Si la vie ne quitte que progressivement le cadavre, ne risque-t-il pas de se réveiller dans sa tombe ?
[…] Au cours des âges, certaines précautions furent prises pour être sûr du décès. La plus ancienne consistait à n’enterrer qu’au moment où la pourriture devenait manifeste : les Perses, s’il faut en croire Hérodote, ne mettaient les cadavres en terre que lorsque les oiseaux de proie étaient attirés par les odeurs pestilentielles. Ainsi s’imposèrent des réglementations concernant les délais de l’inhumation : Lycurgue (390-324 avant J.-C.) requérait 11 jours pour les Spartiates ; les Romains en exigeaient 7, Platon demandait que l’on garde les cadavres 3 jours « pour s’assurer de la réalité de la mort » ; il a fallu en France, attendre le code Napoléon pour qu’on s’en tienne aux 24 heures toujours en vigueur dans la législation actuelle. Citons encore l’interrogation du défunt : au Vatican, le cardinal intérimaire frappe trois fois le front du pape en l’interpellant par son nom de baptême ; les anciens Chinois se contentaient d’arrêter à plusieurs reprises le convoi funéraire afin de secouer rudement le mort. Des procédés de surveillance furent institués. Les Tatars inhumaient les cadavres trois jours après le décès dans une fosse peu profonde afin que la tête reste découverte ; c’est en 1545 que Calvin créa le corps des inspecteurs des morts dont la tâche était d’examiner soigneusement l’état des défunts ; de même, c’est en 1792 à Weimar, en 1797 à Berlin, en 1803 à Mayence, en 1818 à Munich que furent construites les Chambres mortuaires d’attente (Vitae dubiae azilia) ou obitoires : le gardien pouvait être alerté en cas de fausses morts grâce à un cordon enroulé autour de sa main et attaché au défunt. D’autres techniques furent proposées mais sans succès. A la fin du XVIIe siècle, Madame Necker épouse du ministre de Louis XIV, célèbre par son Traité des inhumations précipitées se fit construire un bassin de pierre rempli d’alcool afin qu’on l’y immergeât avant ses obsèques. En 1852, Bateson imagine un engin de ressuscitation économique pour déjouer la mort apparente ; mais peu confiant dans son invention, il s’arrosa d’huile de lin qu’il enflamma. En 1882, J.G. Krichbaum conçut un système pneumatique permettant d’observer ce qui se passait au fond des tombes. De même, en 1901, Karnice-Karnicky, traumatisé par les hurlements d’une jeune fille enterrée vive, proposa le dispositif que voici. Une petite boule de verre sur la poitrine de l’inhumé est reliée à un ressort communiquant avec une boîte métallique placée sur le cercueil, par le moyen d’un long tube. Si le mort vient à bouger, le mouvement de la boule fait se détendre le ressort : alors le couvercle de la boîte s’ouvre laissant filtrer air et lumière dans le caveau ; un drapeau s’élève à plus d’un mètre au-dessus du sol tandis qu’une sonnette retenti durant une demi-heure. (Jacques Delarue, Si vous vous réveillez dans votre cercueil … ; Crapouillot n° 69, juin-juillet 1966). Enfin, on commercialise aux USA un cercueil « de sécurité plus vaste (on peut s’y asseoir), plus confortable, pourvu en outre de bouteilles d’air comprimé, d’un ventilateur, d’une réserve d’eau et d’aliments et d’un appareil radio émetteur sur ondes courtes pouvant alerter les forces de police ou les radio-amateurs. Ce procédé rappelle la coutume instituée par les tyrans de Syracuse en Sicile qui déposaient des provisions dans leurs énormes tombes-baignoires posées sur le sol des nécropoles et soigneusement aérées latéralement ; les défunts qui se réveillaient pouvaient s’asseoir, se restaurer et appeler les gardiens astreints à des rondes régulières (exemple cité par le Dr Peron-Autret).
La crainte d’être enterré vif a donc toujours existé. N’oublions pas qu’en 1837 l’Académie des Sciences de Paris fonda le prix Manni qui récompenserait celui qui parviendrait à « remédier à des accidents si funestes » en rendant le diagnostic de la mort « aussi sûr que prompt et facile ». Cette hantise du réveil outre-tombe devient parfois une véritable névrose obsessionnelle : qu’on se souvienne des écrits angoissés d’Edgar Poe ou de la lettre pathétique d’Henri de Montherlant suppliant que l’on s’assurât bien de sa mort avant de l’incinérer. Il ne s’agit pas seulement d’une forme de claustrophobie, mais d’un fantasme universel, celui du cadavre sensible ou de la vie résiduelle. Pour l’imaginaire, la réalité du cadavre n’efface pas aisément l’image du corps vivant.
Cet extrait est issu aussi du livre , Le cadavre, de Louis-Vincent Thomas
Cette peur est aussi étudiée par Philippe Ariès dans son livre , L'homme devant la mort
Enfin, vous pouvez consulter, en complément sur les différents aspects de la Mort, un ouvrage récent, le Dictionnaire de la Mort, sous la direction de Philippe Di Folco.
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