Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir ce que signifie le terme "peuples naturels" ? Quelles sont les caractéristiques de ces peuples ? Et pourquoi on parle de certains peuples amérindiens de peuples naturels ? ou sociétés naturelles ?
Est-ce que c'est unsynonyme de peuples traditionnels en anthropologie ?
Je vous remercie,
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 30/12/2010 à 15h04
Bonjour,
Peuples premiers, peuples autochtones, indigènes, sociétés primitives ou traditionnelles ..., nombreux sont les termes utilisés pour désigner les populations qui ne vivent pas exactement au rythme de la société de consommation.
« Lorsqu’on pose la question « Qu’est-ce qu’un peuple premier ? », nous n’avons pas d’idées ni de définitions, mais deux visions du monde, un espoir, un remords, de puissants sentiments contradictoires. L’espoir ? Les peuples premiers seraient porteurs de valeurs précieuses liées à la Nature, des valeurs que nous avons perdues. Le remords ? En voulant extirper leurs coutumes barbares, nous les avons détruits entièrement. […] Le mot « premier » ne convient pas. Autant le dire d’emblée, aucun mot ne convient..
Qu’est-ce qu’un peuple premier ?, Catherine Clément.
Une définition « officielle », vous est proposée sur le site autochtones.org : Peuples autochtones : le jeu des définitions
L’expression « peuples naturels », moins usitée, est une autre dénomination possible, porteuse elle aussi d’ambiguïtés.
Elle a pu avoir une connotation négative, opposant les civilisés aux sauvages, comme tendent à le montrer les extraits ci-dessous.
« L’empire allemand est puissance coloniale. La pensée coloniale, et l’intérêt que portent aussi bien la science que la population la plus large, aux pays étrangers, aux sujets « exotiques » et à ceux que l’on appelle les « barbares » connaît un boom sans précédent. Le « barbare » est un élément important dans la conception du monde occidental à la fin du XIXème siècle. L’occident est dominé par des conceptions évolutionnistes, c’est à dire par la supposition que la population mondiale se partage entre « peuples naturels » (c’est à dire des populations livrées à la nature, sans écriture et sans histoire), et « peuples de culture » (peuples ayant l’écriture, l’historiographie et l’industrie, c’est à dire les Européens et les Américains du nord). Les « peuples naturels » représentent quelque chose comme le stade antérieur à la civilisation. C’est pourquoi il est de bon droit que les peuples « civilisés » dominent les non civilisés. Les scientifiques espèrent qu’à travers l’étude des « peuples naturels », ils en sauront davantage sur les stades préliminaires de l’humanité civilisée : sur l’évolution et surtout, point non négligeable, sur leur propre histoire. »
The Halfmoon Files
« Ratzel veut trouver des lois qui expliquent les régions grâce à l’étude de l'environnement. Il crée un courant à cheval sur l'environnement et la présentation des régions. Il tente d’expliquer l'implantation des hommes par des régularités liées à l'environnement. L'implantation humaine et sa forme sont liées, pour lui, aux influences du milieu naturel que représente le sol, le climat, la végétation, etc. Il donne dès lors la priorité au milieu physique et crée ainsi un mouvement déterministe. Les hommes sont déterminés dans leurs implantations par des rapports avec la nature. “Tout être vivant est le produit du milieu dans lequel il vit” écrit-il.
Dans ses diverses publications, il va mettre l'accent sur le fait que toutes les implantations humaines sont médiatisées par le milieu physique et sur la distinction entre les peuples naturels, Naturvolkes, et les peuples plus culturels, Kulturvolkes, qui ayant progressé sur le plan technique peuvent se détacher un peu du milieu naturel. Ratzel passe ainsi en revue les peuples qui vivent dans le milieu naturel en montrant les différences physiologiques entre les personnes de différents milieux et en imputant la cause à la détermination naturelle. De ce déterminisme naturel va naître une géographie politique, dont Ratzel est un des pères. La géographie politique recherche l'aboutissement de la relation entre l'homme et la nature et se pose la question de la place qui revient à chaque peuple dans le milieu écologique. La géographie politique ne peut être fondée que sur une donnée, le sol. Un Etat quel qu’il soit ne peut exister que sur un sol précis sur lequel un peuple a fondé sa vie. »
Histoire des pensées sociales. Géographie
«La civilisation d’un peuple n’est rien d’autre que l’ensemble de ses phénomènes sociaux, et parler des peuples incultes, sans civilisation, des peuples naturels, c’est parler de quelque chose qui n’existe pas. », Marcel Mauss (1873-1950), sociologue et anthropologue français, cité dans
Le point de vue du nombre, 1936.
Mais aujourd’hui, à l’heure où le monde occidental s’affole de la destruction des ressources naturelles, la connotation redevient positive et plus proche de la conception rousseauiste du bon sauvage et de son « état de nature ».
« Cet état de nature est présenté comme une vie libre, innocente, pacifique et même suffisante.[…] L’histoire est alors pensée comme une dénaturation de l’homme primitif […] »
Article Rousseau de l’Encyclopédie philosophique universelle Les Œuvres philosophiques. Dictionnaire 1.
L’expression est employée notamment sur des sites de développement écologico-spirituel, mais aussi revendiquée par certains amérindiens, selon l’anthropologue Eric Navet :
«Les Indiens Mohawk du Canada et des Etats-Unis, et d'autres ethnies, se définissent eux-mêmes comme "peuples naturels", marquant le caractère écologique et spirituel dominant de leur philosophie »
Source : Note 6 dans Le rôle des truchements dans les relations franco-amérindiennes sur la côte du Brésil au XVIe siècle
Voir aussi : L’occident barbare et la philosophie sauvage, du même auteur.
A lire :
Au plus proche de votre questionnement le déjà cité : Qu’est-ce qu’un peuple premier ?, Catherine Clément, qui revisite l’histoire des diverses dénominations et donnent de nombreux exemples
L’explorateur et l’indigène : regards croisés de l'Antiquité à la décolonisation, Alain Boulaire
Par delà nature et culture, Philippe Descola
Et puis, pour envisager la complexité du sujet et l’illusion des classifications, le regard décapant de Marshall Sahlins dans La découverte du vrai Sauvage et autres essais
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