Question d'origine :
A la fin de son dernier film, Alain Resnais laisse le spectateur sur une fin indéterminée. Il y a plusieurs écrans noirs, avec le mot "fin" de plus en plus gros. L'un d'eux, qui n'est pas le dernier, cite la phrase de "l'éducation sentimentale" (avec le nom de Flaubert) : "N'importe, nous nous serons aimés". Frédéric répond : "Sans nous appartenir pourtant".
la phrase de ME Arnoux est-elle grammaticalement "répertoriable" ? De quel temps s'agirait-il en ce cas ?
Quelle signification peut-on lui donner ?
quelle différence avec "nous nous sommes aimés ? Y-a-t-il des commentaires ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 05/09/2013 à 14h50
Bonjour,
Le temps de la phrase « N’importe, nous nous serons bien aimés » est le futur antérieur.
Le futur antérieur exprime un fait futur considéré comme accompli, soit par rapport à un autre fait futur, soit par rapport à un repère appartenant au futur et explicité par un complément de temps. On peut également l’employer pour donner plus d’ampleur au fait en prenant un point de repère dans le futur.
« Nous nous sommes aimés » est au passé composé qui exprime un fait passé par rapport au moment où l’on parle et considéré comme achevé
Source : Le bon usage / Maurice Grévisse, André Goose
Le futur antérieur peut exprimer différentes nuances affectives, en particulier l'indignation, mais aussi la surprise, le regret, l'ironie.
Source : Office québécois de la langue française
Sylvie Triaire décrypte cette tournure spécifique dans un article consacré au désir dans l’ Education sentimentale :
Le conditionnel évidant le « bonheur » n’est pas la seule entrave à l’actualisation de la passion. Car le futur antérieur génère une temporalité étrange née de la collusion du futur et du passé depuis le présent de l’énonciateur : je dis maintenant que le futur constituera définitivement le passé dans sa vérité ; car nous nous sommes aimés, mais pas encore… curieuse distorsion de la catégorie du temps.[…]
Le futur antérieur porte dans la rencontre ultime de Frédéric et Mme Arnoux l’inquiétante étrangeté d’une recomposition du connu (l’amour passé construit laborieusement et par bribes) qui suppose une décomposition préalable. Marie Arnoux parle donc depuis l’au-delà du futur antérieur ; pour en arriver là, le récit a procédé à son lent retirement, puis à sa mort symbolique lors de la vente aux enchères de ses biens. Disséminée dans les objets bradés d’un quotidien disparu, elle est littéralement décomposée
Luce Czyba revient, elle aussi, sur l’emploi de ce futur antérieur dans son article Une longue mèche de cheveux blancs ou l’ambiguïté du sens dans l’avant-dernier chapitre de l’ Education sentimentale :
Mme Arnoux parachève le processus en postulant la permanence de cet amour idéalisé, devenu mythe, objet de récit romanesque, dans l'avenir de cette dernière rencontre, grâce à l'emploi du futur antérieur dont c'est ici le sens premier : « nous nous serons bien aimés ».
L'effet de contraste avec la scène qui suit le retour des deux personnages dans l'appartement de Frédéric est dans ces conditions d'autant plus fort. L'emploi du futur antérieur « nous nous serons bien aimés » l'annonçait au reste, en révélant comme une fêlure dans ce qui peut s'interpréter comme une profession de foi de Mme Arnoux. Car l'antériorité qu'il implique signifie aussi que dans l'avenir de cette dernière rencontre, cet amour continuera à appartenir au passé, à un temps révolu, la seule permanence que l'emploi de ce temps verbal puisse donc postuler étant celle du souvenir, et non celle de l'amour lui-même. L'art du romancier consiste dans le fait d'avoir su exprimer l'usure du temps en se bornant à voir la découverte brutale et bouleversante, par Frédéric, des cheveux blancs de Mme Arnoux.
En 1919, on s’interroge déjà sur le style et la maitrise de la grammaire de Gustave Flaubert. L’ouvrage Flaubert savait-il écrire ? une querelle grammaticale (1919-1921) recense tous les articles parus en 1919 et 1921 à ce sujet et vous pourrez voir la bataille des uns et des autres pour savoir si Flaubert sait écrire ou pas !
Le temps de la phrase « N’importe, nous nous serons bien aimés » est le futur antérieur.
Le futur antérieur exprime un fait futur considéré comme accompli, soit par rapport à un autre fait futur, soit par rapport à un repère appartenant au futur et explicité par un complément de temps. On peut également l’employer pour donner plus d’ampleur au fait en prenant un point de repère dans le futur.
« Nous nous sommes aimés » est au passé composé qui exprime un fait passé par rapport au moment où l’on parle et considéré comme achevé
Source : Le bon usage / Maurice Grévisse, André Goose
Le futur antérieur peut exprimer différentes nuances affectives, en particulier l'indignation, mais aussi la surprise, le regret, l'ironie.
Source : Office québécois de la langue française
Sylvie Triaire décrypte cette tournure spécifique dans un article consacré au désir dans l’ Education sentimentale :
Le conditionnel évidant le « bonheur » n’est pas la seule entrave à l’actualisation de la passion. Car le futur antérieur génère une temporalité étrange née de la collusion du futur et du passé depuis le présent de l’énonciateur : je dis maintenant que le futur constituera définitivement le passé dans sa vérité ; car nous nous sommes aimés, mais pas encore… curieuse distorsion de la catégorie du temps.[…]
Le futur antérieur porte dans la rencontre ultime de Frédéric et Mme Arnoux l’inquiétante étrangeté d’une recomposition du connu (l’amour passé construit laborieusement et par bribes) qui suppose une décomposition préalable. Marie Arnoux parle donc depuis l’au-delà du futur antérieur ; pour en arriver là, le récit a procédé à son lent retirement, puis à sa mort symbolique lors de la vente aux enchères de ses biens. Disséminée dans les objets bradés d’un quotidien disparu, elle est littéralement décomposée
Luce Czyba revient, elle aussi, sur l’emploi de ce futur antérieur dans son article Une longue mèche de cheveux blancs ou l’ambiguïté du sens dans l’avant-dernier chapitre de l’ Education sentimentale :
Mme Arnoux parachève le processus en postulant la permanence de cet amour idéalisé, devenu mythe, objet de récit romanesque, dans l'avenir de cette dernière rencontre, grâce à l'emploi du futur antérieur dont c'est ici le sens premier : « nous nous serons bien aimés ».
L'effet de contraste avec la scène qui suit le retour des deux personnages dans l'appartement de Frédéric est dans ces conditions d'autant plus fort. L'emploi du futur antérieur « nous nous serons bien aimés » l'annonçait au reste, en révélant comme une fêlure dans ce qui peut s'interpréter comme une profession de foi de Mme Arnoux. Car l'antériorité qu'il implique signifie aussi que dans l'avenir de cette dernière rencontre, cet amour continuera à appartenir au passé, à un temps révolu, la seule permanence que l'emploi de ce temps verbal puisse donc postuler étant celle du souvenir, et non celle de l'amour lui-même. L'art du romancier consiste dans le fait d'avoir su exprimer l'usure du temps en se bornant à voir la découverte brutale et bouleversante, par Frédéric, des cheveux blancs de Mme Arnoux.
En 1919, on s’interroge déjà sur le style et la maitrise de la grammaire de Gustave Flaubert. L’ouvrage Flaubert savait-il écrire ? une querelle grammaticale (1919-1921) recense tous les articles parus en 1919 et 1921 à ce sujet et vous pourrez voir la bataille des uns et des autres pour savoir si Flaubert sait écrire ou pas !
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