Question d'origine :
Cher Guichet,
Bonjour,
Ma question porte sur l'oeuvre orientaliste de Flaubert, Salammbô. J'espère que vous l'avez déjà lue, de crainte de vous en gâcher la surprise.
Car en effet, ma question porte plus précisément sur la toute fin du livre : la mort de Salammbô, elle-même.
En réalité, j'ai du mal à savoir précisément la cause de sa mort : tombe t-elle, malade d'amour pour Mathô déchu en partie par sa faute ? Est-elle empoisonnée, comme cela est fortement sous-entendu ?
Si c'est le cas, est-ce l'ancien grand prêtre de Tanit, le Schahabarim, qui l'assassine ? Ou... Son propre père Hamilcar ?
J'imagine qu'il n'y a pas qu'une seule réponse à cette question. Mais... Votre avis d'expert m'est précieux !
Je vous remercie donc, Guichet, et vous souhaite une bonne continuation.
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 16/09/2013 à 10h09
Tout d’abord, relisons le texte de Flaubert :
La mort de Mâtho :
Il [Mâtho agonisant] arriva juste au pied de la terrasse. Salammbô était penchée sur la balustrade ; ces effroyables prunelles la contemplaient, et la conscience lui surgit de tout ce qu’il avait souffert pour elle. (…) A ce moment-là, Mâtho eut un grand tressaillement ; elle allait crier. Il s’abattit à la renverse et ne bougea plus.
Salammbô, presque évanouie, fut rapportée sur son trône par les prêtres s’empressant autour d’elle (…)
La mort de Salammbô (quelques lignes plus loin, après le bref épisode décrivant l’arrachement du cœur de Mâtho par un prêtre de Moloch et la liesse des Carthaginois) :
Narr’Havas, enivré d’orgueil, passa son bras gauche sous la taille de Salammbô, en signe de possession ; et, de la droite, prenant une patère d’or, il but au génie de Carthage.
Salammbô se leva comme son époux, avec une coupe à la main, afin de boire aussi. Elle retomba, la tête en arrière, par-dessus le dossier du trône, - blême, raidie, les lèvres ouvertes, - et ses cheveux dénoués pendaient jusqu’à terre.
Ainsi mourut la fille d’Hamilcar pour avoir touché au manteau de Tanit.
Il est vrai que toutes les interprétations sont ici possibles, y compris l’hypothèse (surnaturelle) de la vengeance divine, comme peut le laisser entendre l’ultime phrase.
C’est ce que rappelle Christiane Makward (dans le passionnant texte « V(i)oler le voile de la DS : Salammbô, Flaubert et le genre », sur le site Peuples monde). Tout en laissant entendre que Salammbô se serait empoisonnée, elle écrit néanmoins que Flaubert laisse la porte ouverte à un faisceau de possibilités :
Salammbô, maudite deux fois (à sa naissance et à sa jouissance), sera peut-être bien empoisonnée par son propre père.
Quant à la coupe, il est à remarquer qu’à aucun moment le texte ne précise que Salammbô y trempe les lèvres…, si ellipse il y a, elle renforce magnifiquement l’incertitude !
En tout cas, comme le souligne A. Schweiger, dans l’Encyclopedia Universalis, cette coupe revêt, semble-t-il, une importance particulière par sa portée symbolique :
Les liens qui se tissent entre les deux personnages [cf. Salammbô et Mâtho] confèrent au roman sa portée tragique (…) Dès le début, un geste rituel les unit : « Elle lui versa dans une coupe d’or un long jet pour se réconcilier avec l’armée ». Un Gaulois [présent dans l’assistance], le choix de cette nationalité correspond sans doute à une volonté de mettre l’épisode en relation avec le mythe occidental de Tristan et Iseut par le biais du philtre magique, interprète ainsi le geste de Salammbô : « Chez nous, dit le Gaulois, lorsqu’une femme fait boire un soldat, c’est qu’elle lui offre sa couche ». A partir de là, le destin s’accomplit jusqu’à cette scène finale dans laquelle, le cœur de Mâtho ayant cessé de battre à l’instant même ou le soleil a disparu dans la mer, Salammbô meurt avec en main une autre coupe, symbole de son mariage avec Narr’Havas (…). Unie à Mâtho jusque dans la mort, Salammbô ne saurait appartenir à un autre.
Une seule chose est certaine, pour répondre à l’intitulé de votre question : c’est bien Flaubert qui tue Salammbô, et qui s’ingénie à brouiller les pistes. D’ailleurs, n’écrit-il pas aux frères Goncourt, en mai 1861 : « Ca ne va pas ! Ca ne va pas ! Il me semble que Salammbô est embêtante à crever » (lettre citée dans le Dictionnaire Flaubert de Jean-Benoît Guinot).
N’est-ce pas un aveu ? Quel écrivain !
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