Question d'origine :
Dans la première Chronique de la haine ordinaire, intitulée "Bonne année mon cul", Pierre Desproges décide de "retenir les glauques et mornes soubresauts de l'actualité" du mois de janvier 1986.
Hors, pourriez-vous éclairer sa première allusion : "C'est un avocat très mûr qui tombe, sa veuve qui descend de son petit cheval pour monter sur ses grands chevaux." ?
En vous remerciant
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 14/04/2014 à 09h52
Bonjour,
Après un brainstorming dans nos bureaux et grâce à la mémoire de nos collègues (que nous remercions), nous avons pu retrouver l’affaire cachée derrière cette énigme. Il s’agit de l’affaire Darie Boutboul, elle était jockey et son mari Jacques Perrot a été assassiné le 27 décembre 1985.
Le journal France soir relate ce fait divers :
«Les grands crimes du XXe siècle : Marie-Elisabeth Cons-Boutboul :
Marie-Elisabeth Cons-Boutboul n’est pas un personnage très recommandable mais, cependant, une femme exceptionnelle. A 85 ans, la dame est retirée des affaires et s’offre une paisible retraite en région parisienne après neuf ans de détention.
Lundi 28 décembre 1998, jour de sa libération, elle a retrouvé sa fille Darie, ancienne star des champs de course dont elle a fait assassiner le mari. C’est la justice qui l’a dit, car l’élégante avocate radiée du barreau de Paris a toujours nié sa participation à l’élimination de Jacques Perrot, le père de son petit-fils. Et la police n’a jamais mis la main sur le tueur. Mme Cons-Boutboul aurait pu être acquittée faute de preuves si son existence n’était apparue trop tumultueuse, bâtie sur une série de mensonges pathologiques. Son procès, en 1994, prit des aspects de jeu de rôles, au grand dam des jurés ne sachant plus trop qui comparaissait : une donneuse d’ordres criminels, un magistral escroc ayant roulé de bons pères missionnaires, une passeuse de fonds au profit du Vatican, une fausse veuve, une malade qui s’est inventé des cancers pour amadouer le fisc ? La vie inventée de Marie-Elisabeth Cons est un roman. En voici quelques chapitres, extraits des archives de France-Soir.
« Le soir du meurtre, Me Perrot devait aller voir sa belle-mère »
Vendredi 27 décembre 1985, à 20 h 20, l’avocat Jacques Perrot quitte son appartement sis 29, avenue Georges-Mandel à Paris. Elisabeth Cons-Boutboul vient de décommander le dîner. Avec sa belle-mère, il devait aborder la question de la garde d’Adrien, le fils qu’il a eu avec Darie. Elisabeth refuse catégoriquement que son petit-fils soit confié à Jacques Perrot. C’est la guerre. Il a des armes : sa soi-disant consœur, Me Cons, est un escroc et une menteuse radiée du barreau en 1981. Elle sait que le scandale peut éclater. La police pense qu’elle a donné rendez-vous à Jacques Perrot pour « le fixer » chez lui et ainsi permettre au tueur d’agir. L’ami d’enfance de Laurent Fabius, alors Premier ministre, est abattu de trois balles, dans l’escalier. Elles ont atteint la nuque, l’orbite gauche et le cœur.
« Les quatre vérités des Boutboul »
Lorsque Marie-Elisabeth vient au monde le 10 juin 1924, à Orléans, premier enfant d’un père clerc de notaire et d’une fervente catholique, son destin semble tout tracé : elle sera magistrate. Brillante étudiante, la jeune Elisabeth – elle choisit qu’on la prénomme ainsi, cela fait moins « Marie-Chantal » – préfère être avocate, défendre la veuve et l’orphelin. Ses confrères ne se souviennent pas l’avoir un jour entendue plaider. En fait, Me Cons a intégré le cabinet au parfum d’officine d’un sulfureux ami et découvre l’argent facilement gagné. Les pauvres attendront. Son premier gros client, l’ordre des Missions étrangères, la mandate pour régler un contentieux. Dix ans – et dix millions de francs d’honoraires – plus tard, les bons pères, qui paient rubis sur ongle en Suisse, découvrent l’escroquerie. Me Cons n’a rien fait ou si peu, plainte est déposée, elle est radiée du barreau. Ce qui ne l’empêchera pas de toujours se prétendre avocate internationale au barreau de Genève. En 1958, amoureuse et enceinte, Elisabeth épouse Robert Boutboul, stomatologue dans le XVIIe arrondissement parisien. Darie naît de cette union. M. Boutboul oublie souvent de rentrer à la maison, le couple explose. A « Darinette chérie », Elisabeth annonce que son père s’est tué dans un accident d’avion. Elle a aussi un frère, mort noyé, dont sa mère n’a pourtant jamais accouché. Pour amadouer le fisc qui lui demande de payer ses impôts sur le revenu, « Me » Cons-Boutboul s’invente trois cancers – poursuit-on une femme en sursis ? Lorsque Darie s’illustre sur les hippodromes, première femme jockey à gagner le tiercé, sa mère lui imagine un passé universitaire. Jacques Perrot, le mari et gendre abreuvé lui aussi de sornettes, avait découvert l’échafaudage de mensonges.
Jacques Perrot, brillant et bel homme issu de la bourgeoisie parisienne, sportif accompli, courait en steeple-chase. Il a rencontré Darie Boutboul sur un hippodrome. Elle vient de recevoir la Cravache d’or. Coup de foudre. Jacques a 36 ans, il est célibataire sans enfant, et voici que la jeune cavalière attend un bébé, un garçon ! C’est le temps de l’amour. La noce est célébrée en grande pompe, le témoin du marié est Laurent Fabius. Quelques années plus tard, du bonheur, il ne restera que les photos. Dans l’enfer de la séparation, Me Perrot apprend que sa belle-mère a escroqué des catholiques. La congrégation des Missions étrangères, puissante société religieuse chargée « d’évangéliser les peuples », est accusée de captation d’héritage. Elisabeth Cons est saisie du dossier, intente mille et une procédures, plaide à La Haye, à Copenhague. En fait, elle n’a jamais quitté Paris et a « bidouillé » de faux documents destinés aux pères. Aux policiers, elle expliquera que sa démarche visait à couvrir des transferts de fonds à destination de la loge maçonnique P2 en Italie et des comptes occultes du Vatican. C’est tout cela qu’apprend Jacques Perrot avant de mourir. Il consulte son bâtonnier, qui témoignera au procès : « Il m’a dit : “Je suis en train de découvrir des choses très graves, j’ai mis les pieds dans une affaire à laquelle il valait mieux que je ne sois pas mêlé…” » Il voulait en parler à sa belle-mère. Elle a annulé le dîner car son frère venait de faire un infarctus. Elisabeth Cons-Boutboul n’a jamais eu de frère.
« Darie Boutboul avait le téléphone de son père mort »
Elisabeth ne s’est pas seulement inventé des hérédités – le duc de Norfolk par exemple –, elle s’est aussi créé des tragédies. Ainsi, de son pauvre mari cruellement arraché à la vie lorsque Darie était une toute petite fille. Robert Boutboul habite l’arrondissement voisin et se porte comme un charme. Jacques Perrot vient d’ailleurs de faire sa connaissance – il le croyait décédé, lui aussi. En janvier 1986, après l’assassinat du gendre curieux, Mme Cons-Boutboul organise des « retrouvailles » télévisuelles qui font pleurer la ménagère. La chroniqueuse hippique Pierrette Brès, filme Darie qui tombe dans les bras de son père « mort » depuis vingt-cinq ans. Les larmes coulent abondamment. Ce que ne précise pas le roman-photo, c’est que Darie et son fils voyaient régulièrement Robert Boutboul…
Elisabeth Cons-Boutboul a été jugée et condamnée en mars 1994. Je n’ai pas assisté aux audiences car j’étais citée comme témoin. Journaliste à la barre pour avoir révélé, six ans auparavant, que l’accusée entretenait des liens avec Bruno Dassac, représentant évoluant dans les milieux interlopes du Havre. Dassac, avant de mourir assassiné, avait indiqué avoir « fait une énorme connerie dans l’affaire Boutboul », c’est-à-dire l’affaire Perrot. La dame lui avait donné beaucoup d’argent – officiellement des fonds à passer en Suisse. Ce scoop me valut une retentissante garde à vue, une perquisition pour identifier ma source, et une déposition à la cour d’assises de Paris. Il n’a jamais été prouvé que Mme Cons avait fait abattre Bruno Dassac (elle a obtenu un non-lieu) parce que lui-même avait éliminé Me Perrot. »
Pour aller plus loin: Cons-Boutboul: une affabulatrice de génie sur Le point; L'incroyable Mme Cons-Boutboul sur L'Express.
Vous pouvez consulter la chronique du 3 février 1986 sur le blog Celerii.
Bonne journée.
Après un brainstorming dans nos bureaux et grâce à la mémoire de nos collègues (que nous remercions), nous avons pu retrouver l’affaire cachée derrière cette énigme. Il s’agit de l’affaire Darie Boutboul, elle était jockey et son mari Jacques Perrot a été assassiné le 27 décembre 1985.
Le journal France soir relate ce fait divers :
«
Marie-Elisabeth Cons-Boutboul n’est pas un personnage très recommandable mais, cependant, une femme exceptionnelle. A 85 ans, la dame est retirée des affaires et s’offre une paisible retraite en région parisienne après neuf ans de détention.
Lundi 28 décembre 1998, jour de sa libération, elle a retrouvé sa fille Darie, ancienne star des champs de course dont elle a fait assassiner le mari. C’est la justice qui l’a dit, car l’élégante avocate radiée du barreau de Paris a toujours nié sa participation à l’élimination de Jacques Perrot, le père de son petit-fils. Et la police n’a jamais mis la main sur le tueur. Mme Cons-Boutboul aurait pu être acquittée faute de preuves si son existence n’était apparue trop tumultueuse, bâtie sur une série de mensonges pathologiques. Son procès, en 1994, prit des aspects de jeu de rôles, au grand dam des jurés ne sachant plus trop qui comparaissait : une donneuse d’ordres criminels, un magistral escroc ayant roulé de bons pères missionnaires, une passeuse de fonds au profit du Vatican, une fausse veuve, une malade qui s’est inventé des cancers pour amadouer le fisc ? La vie inventée de Marie-Elisabeth Cons est un roman. En voici quelques chapitres, extraits des archives de France-Soir.
Vendredi 27 décembre 1985, à 20 h 20, l’avocat Jacques Perrot quitte son appartement sis 29, avenue Georges-Mandel à Paris. Elisabeth Cons-Boutboul vient de décommander le dîner. Avec sa belle-mère, il devait aborder la question de la garde d’Adrien, le fils qu’il a eu avec Darie. Elisabeth refuse catégoriquement que son petit-fils soit confié à Jacques Perrot. C’est la guerre. Il a des armes : sa soi-disant consœur, Me Cons, est un escroc et une menteuse radiée du barreau en 1981. Elle sait que le scandale peut éclater. La police pense qu’elle a donné rendez-vous à Jacques Perrot pour « le fixer » chez lui et ainsi permettre au tueur d’agir. L’ami d’enfance de Laurent Fabius, alors Premier ministre, est abattu de trois balles, dans l’escalier. Elles ont atteint la nuque, l’orbite gauche et le cœur.
Lorsque Marie-Elisabeth vient au monde le 10 juin 1924, à Orléans, premier enfant d’un père clerc de notaire et d’une fervente catholique, son destin semble tout tracé : elle sera magistrate. Brillante étudiante, la jeune Elisabeth – elle choisit qu’on la prénomme ainsi, cela fait moins « Marie-Chantal » – préfère être avocate, défendre la veuve et l’orphelin. Ses confrères ne se souviennent pas l’avoir un jour entendue plaider. En fait, Me Cons a intégré le cabinet au parfum d’officine d’un sulfureux ami et découvre l’argent facilement gagné. Les pauvres attendront. Son premier gros client, l’ordre des Missions étrangères, la mandate pour régler un contentieux. Dix ans – et dix millions de francs d’honoraires – plus tard, les bons pères, qui paient rubis sur ongle en Suisse, découvrent l’escroquerie. Me Cons n’a rien fait ou si peu, plainte est déposée, elle est radiée du barreau. Ce qui ne l’empêchera pas de toujours se prétendre avocate internationale au barreau de Genève. En 1958, amoureuse et enceinte, Elisabeth épouse Robert Boutboul, stomatologue dans le XVIIe arrondissement parisien. Darie naît de cette union. M. Boutboul oublie souvent de rentrer à la maison, le couple explose. A « Darinette chérie », Elisabeth annonce que son père s’est tué dans un accident d’avion. Elle a aussi un frère, mort noyé, dont sa mère n’a pourtant jamais accouché. Pour amadouer le fisc qui lui demande de payer ses impôts sur le revenu, « Me » Cons-Boutboul s’invente trois cancers – poursuit-on une femme en sursis ? Lorsque Darie s’illustre sur les hippodromes, première femme jockey à gagner le tiercé, sa mère lui imagine un passé universitaire. Jacques Perrot, le mari et gendre abreuvé lui aussi de sornettes, avait découvert l’échafaudage de mensonges.
Jacques Perrot, brillant et bel homme issu de la bourgeoisie parisienne, sportif accompli, courait en steeple-chase. Il a rencontré Darie Boutboul sur un hippodrome. Elle vient de recevoir la Cravache d’or. Coup de foudre. Jacques a 36 ans, il est célibataire sans enfant, et voici que la jeune cavalière attend un bébé, un garçon ! C’est le temps de l’amour. La noce est célébrée en grande pompe, le témoin du marié est Laurent Fabius. Quelques années plus tard, du bonheur, il ne restera que les photos. Dans l’enfer de la séparation, Me Perrot apprend que sa belle-mère a escroqué des catholiques. La congrégation des Missions étrangères, puissante société religieuse chargée « d’évangéliser les peuples », est accusée de captation d’héritage. Elisabeth Cons est saisie du dossier, intente mille et une procédures, plaide à La Haye, à Copenhague. En fait, elle n’a jamais quitté Paris et a « bidouillé » de faux documents destinés aux pères. Aux policiers, elle expliquera que sa démarche visait à couvrir des transferts de fonds à destination de la loge maçonnique P2 en Italie et des comptes occultes du Vatican. C’est tout cela qu’apprend Jacques Perrot avant de mourir. Il consulte son bâtonnier, qui témoignera au procès : « Il m’a dit : “Je suis en train de découvrir des choses très graves, j’ai mis les pieds dans une affaire à laquelle il valait mieux que je ne sois pas mêlé…” » Il voulait en parler à sa belle-mère. Elle a annulé le dîner car son frère venait de faire un infarctus. Elisabeth Cons-Boutboul n’a jamais eu de frère.
Elisabeth ne s’est pas seulement inventé des hérédités – le duc de Norfolk par exemple –, elle s’est aussi créé des tragédies. Ainsi, de son pauvre mari cruellement arraché à la vie lorsque Darie était une toute petite fille. Robert Boutboul habite l’arrondissement voisin et se porte comme un charme. Jacques Perrot vient d’ailleurs de faire sa connaissance – il le croyait décédé, lui aussi. En janvier 1986, après l’assassinat du gendre curieux, Mme Cons-Boutboul organise des « retrouvailles » télévisuelles qui font pleurer la ménagère. La chroniqueuse hippique Pierrette Brès, filme Darie qui tombe dans les bras de son père « mort » depuis vingt-cinq ans. Les larmes coulent abondamment. Ce que ne précise pas le roman-photo, c’est que Darie et son fils voyaient régulièrement Robert Boutboul…
Elisabeth Cons-Boutboul a été jugée et condamnée en mars 1994. Je n’ai pas assisté aux audiences car j’étais citée comme témoin. Journaliste à la barre pour avoir révélé, six ans auparavant, que l’accusée entretenait des liens avec Bruno Dassac, représentant évoluant dans les milieux interlopes du Havre. Dassac, avant de mourir assassiné, avait indiqué avoir « fait une énorme connerie dans l’affaire Boutboul », c’est-à-dire l’affaire Perrot. La dame lui avait donné beaucoup d’argent – officiellement des fonds à passer en Suisse. Ce scoop me valut une retentissante garde à vue, une perquisition pour identifier ma source, et une déposition à la cour d’assises de Paris. Il n’a jamais été prouvé que Mme Cons avait fait abattre Bruno Dassac (elle a obtenu un non-lieu) parce que lui-même avait éliminé Me Perrot. »
Pour aller plus loin: Cons-Boutboul: une affabulatrice de génie sur Le point; L'incroyable Mme Cons-Boutboul sur L'Express.
Vous pouvez consulter la chronique du 3 février 1986 sur le blog Celerii.
Bonne journée.
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