deuil
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 04/06/2014 à 10h23
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Question d'origine :
bonjour
j'aimerai savoir quel est la signification et d'où vent l'ancienne coutume de voiler les miroirs et d'arrêter les horloges lors d'un décès dans une maison
Est-ce commun à plusieurs régions ou même pays ?
merci pour vos recherches et vos réponses
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 05/06/2014 à 09h41
Bonjour,
Dans la tradition judaïque notamment, on couvre effectivement les miroirs quand survient un décès :
Cet usage vient du souci d’épargner aux membres de la famille endeuillée la pénible vision de plusieurs dépouilles mortelles ou encore celle de visages défaits et livides, semblables à celui d’un mort.
D’après le Pné Baroukh, le miroir pourrait distraire du deuil. Il en est de même des photos, des portraits, des tableaux. Lorsqu’on se met en prière au moment de la Amida, on doit éviter de se tenir devant le reflet de sa propre image dans un miroir ou une porte vitrée.
Source : L’âme immortelle, Jacques Ouaknin
Mais cette coutume fut pratiquée en France et en Europe, indépendamment de la religion :
en Europe, jusqu’à une période relativement récente, paysans et citadins se pliaient à une vieille coutume voulant que les miroirs soient voilés aussitôt qu’un décès survenait dans la demeure. Beaucoup avaient même oublié le sens de cette tradition qu’ils perpétuaient : éviter que l’âme, errant entre ces murs familiers, ne soit terrifiée en rencontrant son reflet. Reflet de la mort tout aussi redoutable pour les vivants… Et si le défunt refusait de s’en aller ? Dans les campagnes françaises, les enfants devaient annoncer le décès à tous les animaux familiers pour qu’ils se méfient de cette âme, autrefois amie. Les récipients d’eau étaient vidés ou, à défaut, soigneusement recouverts : le défunt pouvait être tenté de s’y plonger pour se purifier de ses péchés, et il contaminerait ainsi le liquide. On évitait aussi, pendant quelques jours, de balayer : l’âme, secouée en même temps que la poussière, pourrait en être vexée et chercher vengeance. A Madagascar, ce sont toutes les activités domestiques qui s’arrêtent : l’âme, apeurée par son nouveau statut, risque de prendre refuge dans le plat que l’on cuisine ou le tissu que l’on coud.
On pourrait rapporter quantité d’autres coutumes semblables. Ainsi, les Tziganes transportent le moribond hors de la caravane et le déposent à même la terre pour qu’il rende son dernier souffle. Dès lors, son nom ne doit plus être prononcé : celui qui est devenu un mulo, un revenant, dont il faut se méfier, pourrait croire, à tort, qu’on le rappelle… Des ethnies africaines arrachent quelques cheveux du sommet du crâne de celui qui rend l’âme, histoire d’indiquer à celle-ci le meilleur chemin pour sortir du corps.
Source : La mort et l’immortalité : encyclopédie des savoirs et des croyances, Frédéric Lenoir et Jean-Philippe de Tonnac
Arrêter les pendules à l’heure du décès fait aussi partie de ces traditions :
En Corse et en Provence, on ouvrait parfois la porte, ou la fenêtre, de la maison du défunt afin que l’âme puisse prendre son envol vers le ciel, on ne la refermait qu’après l’enterrement. C’est à la même tradition qu’il faut rattacher l’habitude de voiler les miroirs dans les régions françaises. Jean Markale dans Les Contes de la mort des pays de France décrit cette pratique : « On devait recouvrir tous les miroirs et tous les objets brillants, susceptibles d’empêcher l’âme du défunt de prendre son envol ou de s’égarer. Et surtout, il était nécessaire de retourner, face au mur, les assiettes, récipients, casseroles et chaudrons, qui eux aussi auraient pu retenir l’âme. Il fallait également recouvrir soigneusement les vases contenant du lait ou de l’eau, ou bien les vider, tant était grande la croyance que l’âme pouvait s’y noyer. Dans certaines régions, surtout méditerranéennes, on expliquait ce geste par la crainte qu’on avait de voir les liquides souillés par la mort. »
Van Gennep, dans son Manuel de folklore français contemporain publié en 1946, a largement montré à quel point, dans toutes les régions de France, on prend des précautions pour éviter le retour de l’âme du défunt, celle-ci refusant parfois de partir si elle a été mal accompagnée. En Bretagne, il existait un monde intermédiaire dans lequel les âmes des défunts étaient encore liées à l’univers qu’elles venaient de quitter, il fallait alors les soutenir dans ce passage vers l’autre monde.
C’était le premier rôle de la veillée funéraire. Prières, chants, contes, parfois, jouent ce rôle d’accompagner l’âme errante, avec la force psychologique apportée par tout le village présent. Mais quand quitte-t-elle le corps ? Combien de temps reste-t-elle à tournoyer près de lui ? Les traditions sont indécises et laissent des marges, par sécurité : souvent, elle part avec l’enterrement – lorsque le corps est à sa place, la vie peut reprendre son cours. Ne pas laisser le corps du défunt seul, l’accompagner par des prières du groupe, c’est une manière de « l’avoir à l’œil », de s’assurer qu’il n’est pas un danger pour le village, que son deuxième principe, son âme, s’inscrit bien dans ce chemin du passage qui l’entraîne dans son univers à elle, dans « l’autre monde », celui auquel nous n’avons pas accès.
D’autres sens ont pu s’ajouter à celui-ci : le sens de l’hommage, saluer bien sûr une dernière fois l’ami, le voisin, le parent. Il s’agit également de soutenir la famille tant sur le plan moral que concret en lui évitant les tâches quotidiennes, ce qui était la norme autrefois (notamment pour la préparation des repas), pour la laisser tout entière à l’accompagnement du défunt vers son au-delà.
Là encore, Jean Markale dresse l’inventaire des pratiques régionales : «Après la mort d’un de ses membres, la famille cessait toute activité, les voisins se chargeant d’accomplir les tâches les plus urgentes, notamment le soin à apporter aux animaux et la traite des vaches. Il fallait changer de costume, revêtir des habits de deuil, et cela jusqu’au repas des funérailles. Il était défendu de balayer la chambre et de faire du bruit dans la maison. On devait arrêter les horloges et toutes les sonneries, cela jusqu’au retour du cimetière. […] Enfin, en Corse, les femmes se réunissaient pour crier et hurler des lamentations funèbres, mais la coutume existait également en Saintonge, en Aunis, au Pays basque et dans toute la Gascogne. Il arrivait aussi qu’on mît le deuil aux ruches, en y accrochant des morceaux d’étoffe noire. Quelquefois, c’étaient les animaux, et même les végétaux, qui étaient mis en deuil. »
Source : Le grand livre de la mort à l’usage des vivants, sous la direction de Dr Michel Hanus, Jean-Paul Guetny, Joseph Berchoud...
Jusqu’à la première guerre mondiale, la mort d’un homme touchait la communauté et des rituels permettaient de la prévenir du décès d’une personne : fermeture des volets de la maison, on voilait les miroirs, on arrêtait les pendules et on allumait des cierges. Un à un les membres de la communauté venaient rendre un dernier hommage au défunt puis petit à petit, la vie reprenait son cours normal. La mort faisait partie de la vie et était acceptée comme un aboutissement.
Source : La toilette mortuaire : fin d’une histoire ?, Société de Gérontologie Centre Auvergne
Nous vous quittons avec le poème de W. H. Auden, Funeral blues :
Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.
Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.
He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.
The stars are not wanted now: put out every one;
Pack up the moon and dismantle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood.
For nothing now can ever come to any good.
Traduction:
Arrêtez les pendules, coupez le téléphone
Empêchez le chien d’aboyer pour l’os que je lui donne
Faites taire les pianos et sans roulement de tambour
Sortez le cercueil avant la fin du jour.
Que les avions qui hurlent au-dehors
Dessinent ces trois mots : Il Est Mort.
Nouez des voiles noirs aux colonnes des édifices
Gantez de noir les mains des agents de police.
Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest
Ma semaine de travail, mon dimanche de sieste
Mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson
Je croyais que l’Amour jamais ne finirait : j’avais tort.
Que les étoiles se retirent, qu’on les balaie !
Démontez la lune et le soleil,
Videz l’océan et arrachez les forêts ;
Car rien de bon ne peut advenir désormais.
Source : Quand les étoiles deviennent noires: Des rues d'Abidjian aux podiums d'Yves Saint Laurent, Rebecca AYOKO, Carol MANN
Dans la tradition judaïque notamment, on couvre effectivement les miroirs quand survient un décès :
Cet usage vient du souci d’épargner aux membres de la famille endeuillée la pénible vision de plusieurs dépouilles mortelles ou encore celle de visages défaits et livides, semblables à celui d’un mort.
D’après le Pné Baroukh, le miroir pourrait distraire du deuil. Il en est de même des photos, des portraits, des tableaux. Lorsqu’on se met en prière au moment de la Amida, on doit éviter de se tenir devant le reflet de sa propre image dans un miroir ou une porte vitrée.
Source : L’âme immortelle, Jacques Ouaknin
Mais cette coutume fut pratiquée en France et en Europe, indépendamment de la religion :
en Europe, jusqu’à une période relativement récente, paysans et citadins se pliaient à une vieille coutume voulant que les miroirs soient voilés aussitôt qu’un décès survenait dans la demeure. Beaucoup avaient même oublié le sens de cette tradition qu’ils perpétuaient : éviter que l’âme, errant entre ces murs familiers, ne soit terrifiée en rencontrant son reflet. Reflet de la mort tout aussi redoutable pour les vivants… Et si le défunt refusait de s’en aller ? Dans les campagnes françaises, les enfants devaient annoncer le décès à tous les animaux familiers pour qu’ils se méfient de cette âme, autrefois amie. Les récipients d’eau étaient vidés ou, à défaut, soigneusement recouverts : le défunt pouvait être tenté de s’y plonger pour se purifier de ses péchés, et il contaminerait ainsi le liquide. On évitait aussi, pendant quelques jours, de balayer : l’âme, secouée en même temps que la poussière, pourrait en être vexée et chercher vengeance. A Madagascar, ce sont toutes les activités domestiques qui s’arrêtent : l’âme, apeurée par son nouveau statut, risque de prendre refuge dans le plat que l’on cuisine ou le tissu que l’on coud.
On pourrait rapporter quantité d’autres coutumes semblables. Ainsi, les Tziganes transportent le moribond hors de la caravane et le déposent à même la terre pour qu’il rende son dernier souffle. Dès lors, son nom ne doit plus être prononcé : celui qui est devenu un mulo, un revenant, dont il faut se méfier, pourrait croire, à tort, qu’on le rappelle… Des ethnies africaines arrachent quelques cheveux du sommet du crâne de celui qui rend l’âme, histoire d’indiquer à celle-ci le meilleur chemin pour sortir du corps.
Source : La mort et l’immortalité : encyclopédie des savoirs et des croyances, Frédéric Lenoir et Jean-Philippe de Tonnac
Arrêter les pendules à l’heure du décès fait aussi partie de ces traditions :
En Corse et en Provence, on ouvrait parfois la porte, ou la fenêtre, de la maison du défunt afin que l’âme puisse prendre son envol vers le ciel, on ne la refermait qu’après l’enterrement. C’est à la même tradition qu’il faut rattacher l’habitude de voiler les miroirs dans les régions françaises. Jean Markale dans Les Contes de la mort des pays de France décrit cette pratique : « On devait recouvrir tous les miroirs et tous les objets brillants, susceptibles d’empêcher l’âme du défunt de prendre son envol ou de s’égarer. Et surtout, il était nécessaire de retourner, face au mur, les assiettes, récipients, casseroles et chaudrons, qui eux aussi auraient pu retenir l’âme. Il fallait également recouvrir soigneusement les vases contenant du lait ou de l’eau, ou bien les vider, tant était grande la croyance que l’âme pouvait s’y noyer. Dans certaines régions, surtout méditerranéennes, on expliquait ce geste par la crainte qu’on avait de voir les liquides souillés par la mort. »
Van Gennep, dans son Manuel de folklore français contemporain publié en 1946, a largement montré à quel point, dans toutes les régions de France, on prend des précautions pour éviter le retour de l’âme du défunt, celle-ci refusant parfois de partir si elle a été mal accompagnée. En Bretagne, il existait un monde intermédiaire dans lequel les âmes des défunts étaient encore liées à l’univers qu’elles venaient de quitter, il fallait alors les soutenir dans ce passage vers l’autre monde.
C’était le premier rôle de la veillée funéraire. Prières, chants, contes, parfois, jouent ce rôle d’accompagner l’âme errante, avec la force psychologique apportée par tout le village présent. Mais quand quitte-t-elle le corps ? Combien de temps reste-t-elle à tournoyer près de lui ? Les traditions sont indécises et laissent des marges, par sécurité : souvent, elle part avec l’enterrement – lorsque le corps est à sa place, la vie peut reprendre son cours. Ne pas laisser le corps du défunt seul, l’accompagner par des prières du groupe, c’est une manière de « l’avoir à l’œil », de s’assurer qu’il n’est pas un danger pour le village, que son deuxième principe, son âme, s’inscrit bien dans ce chemin du passage qui l’entraîne dans son univers à elle, dans « l’autre monde », celui auquel nous n’avons pas accès.
D’autres sens ont pu s’ajouter à celui-ci : le sens de l’hommage, saluer bien sûr une dernière fois l’ami, le voisin, le parent. Il s’agit également de soutenir la famille tant sur le plan moral que concret en lui évitant les tâches quotidiennes, ce qui était la norme autrefois (notamment pour la préparation des repas), pour la laisser tout entière à l’accompagnement du défunt vers son au-delà.
Là encore, Jean Markale dresse l’inventaire des pratiques régionales : «
Source : Le grand livre de la mort à l’usage des vivants, sous la direction de Dr Michel Hanus, Jean-Paul Guetny, Joseph Berchoud...
Jusqu’à la première guerre mondiale, la mort d’un homme touchait la communauté et des rituels permettaient de la prévenir du décès d’une personne : fermeture des volets de la maison, on voilait les miroirs, on arrêtait les pendules et on allumait des cierges. Un à un les membres de la communauté venaient rendre un dernier hommage au défunt puis petit à petit, la vie reprenait son cours normal. La mort faisait partie de la vie et était acceptée comme un aboutissement.
Source : La toilette mortuaire : fin d’une histoire ?, Société de Gérontologie Centre Auvergne
Nous vous quittons avec le poème de W. H. Auden, Funeral blues :
Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.
Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.
He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.
The stars are not wanted now: put out every one;
Pack up the moon and dismantle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood.
For nothing now can ever come to any good.
Traduction:
Arrêtez les pendules, coupez le téléphone
Empêchez le chien d’aboyer pour l’os que je lui donne
Faites taire les pianos et sans roulement de tambour
Sortez le cercueil avant la fin du jour.
Que les avions qui hurlent au-dehors
Dessinent ces trois mots : Il Est Mort.
Nouez des voiles noirs aux colonnes des édifices
Gantez de noir les mains des agents de police.
Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest
Ma semaine de travail, mon dimanche de sieste
Mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson
Je croyais que l’Amour jamais ne finirait : j’avais tort.
Que les étoiles se retirent, qu’on les balaie !
Démontez la lune et le soleil,
Videz l’océan et arrachez les forêts ;
Car rien de bon ne peut advenir désormais.
Source : Quand les étoiles deviennent noires: Des rues d'Abidjian aux podiums d'Yves Saint Laurent, Rebecca AYOKO, Carol MANN
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