Question d'origine :
Comment la laïcité s'est-elle imposée dans une ville à lourd passé catholique comme Lyon? Comment est né et a évolué le principe de laïcité à Lyon au regard du paysage sociologique élargi à la religion catholique?
Merci de votre réponse!
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 24/07/2014 à 14h06
Bonjour,
La question de la sécularisation a duré plus d’une trentaine d’années, à partir de 1879 :
« le contrôle de la Troisième république par les républicains en 1879 ouvre la période de la laïcisation avec la fête nationale du Quatorze juillet, les écoles sans Dieu de Jules Ferry (1832-1896) et la loi sur les associations de 1901 qui vise les congrégations religieuses. Il faut dire que l’Eglise s’est associée à l’Ordre moral, à l’antisémitisme, aux attaques contre la République, en étant du côté de tous les nostalgiques de la Monarchie. Certes, Léon XIII (1810-1903) dans son encyclique Au milieu des sollicitudes, a demandé aux catholiques de rallier la République, ce qui est entendu par les catholiques libéraux lecteurs du Salut public, mais il reste, au début du 20e siècle, de nombreux catholiques refusant ce ralliement et lisant Le Nouvelliste. » (« Séparation des églises et de l’état », Dictionnaire historique de Lyon).
Fourvière contre Préfecture
Le moment de crise le plus étudié est celui de la Séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, mais un évènement lyonnais, 9 ans auparavant, permet de prendre la température des antagonismes :
La consécration de la basilique de Fourvière arrive « au beau milieu du conflit entre la République et l’Eglise qui domina la vie française, en trouvant à Lyon un terrain particulièrement favorable. D’un côté la municipalité républicaine et radicale des maires Gailleton et Augagneur, soutenue par un réseau de Comités locaux, par les loges et par une active presse de gauche, multipliait les mesures résolument laïques voire anticléricales. De l’autre côté, la droite catholique se mobilisait sous la bannière mariale, s’appuyant elle aussi sur une presse pugnace. » (Marie face à Marianne).
L’exposition de la Bibliothèque municipale pour les cents ans de la Basilique, en 1996, recensait un certain nombre de pommes de discordes parmi les décisions communales :
1879 : interdiction des processions (Préfet)
1880 : laïcisation des écoles primaires (municipalité) ; expulsion des Capucins de leur couvent des Brotteaux
1885 : enlèvement des croix monumentales des cimetières (municipalité)
On peut ajouter la laïcisation du personnel féminin des hôpitaux, la création d’un des premiers lycées de jeunes filles de province, place Quinet, la création de Ecole normale inaugurée à la Croix-Rousse par Jules Ferry en personne et l’implantation de l’Ecole de Santé militaire, fixée à Lyon par le ministère de la Guerre.
Les monuments lyonnais témoignent d’une véritable « émulation créatrice » : « bien décidés à "occuper le terrain", les deux partis allaient se faire bâtisseurs, chacun enrôlant l’architecture sous sa bannière […] A la basilique de Fourvière aux allures de forteresse […] répondait l’imposante Préfecture et les Universités, édifiées dans la Guillotière républicaine ». De 1880 à 1905, 26 édifices scolaires sortent de terre, s’ajoutant aux 69 existants (Marie face à Marianne).
La Séparation
« Réclamée par les républicains depuis plus de trente ans, la séparation des Eglises et de l’Etat fut vraiment mise à l’ordre du jour durant l’été 1904. Un projet de loi fut mis au point, puis voté au Parlement en 1905. Enfin la mise en application, surtout durant l’année 1906, provocant des évènements et des prises de position importantes. Pendant trois ans la séparation fut au cœur de l’actualité française. » (La Séparation à Lyon, p. 108).
On ne peut détailler ici les luttes des Cercles de la libre pensée, fédérations d’enseignement laïc, loges maçonniques qui tiennent volontiers leurs congrès nationaux à Lyon dans la période, face à l’Université catholique, Association catholique des patrons de Lyon, Congrégation des Messieurs… « Examinant d’abord les positions respectives des catholiques et des anticléricaux, nous avons constaté l’existence d’une opposition irréductible entre deux groupes, ou plutôt entre les deux idéologies, car les hommes réussissent souvent à se rejoindre par-delà leurs idées. Catholiques et anticléricaux organisent chacun leurs œuvres, leurs institutions, leurs mouvements. L’école constitue un champ de lutte privilégié. Le journal est aussi une arme puissante : les 6 quotidiens de Lyon sont engagés dans le combat et mettent la question religieuse au cœur de leurs débats. » (Ibid.,p. 209)
Entre 1912 et 1914, la vie publique est encore très marquée par l’affrontement de deux fortes personnalités cléricales et anti-cléricales : le maire Edouard Herriot et Mgr Sevin. Le prélat interdit de lire Le Progrès ou Lyon républicain pendant le carême de 1913 et 1914, tandis que Le Progrès écrit que catholiques et républicains sont deux termes incompatibles (« Le Maire et l’archevêque », Ville et religion en Europe, p. 368).
La réconciliation
« Cité républicaine et radicale à la veille de la Grande guerre, Lyon offre pourtant une visage plus contrasté. La plupart de ses élites se sont en effet converties aux vertus de la république. Modérés et fédéralistes, elles ont fait le choix du compromis et de l’ouverture […] Leur vision du monde est celle du catholicisme libéral du XIXe siècle. La capitale lyonnaise qu’ils entendent construire, développer et représenter est celle d’une cité carrefour, d’une autre Babel où la foi n’est pas éradiquée mais reste de l’ordre de la sphère privée et de la liberté religieuse. La question laïque ne les effraie pas. Elle peut au contraire être le gage d’un agir chrétien au sein des lieux de la modernité comme la ville. Cette identité catholique et libérale a même été érigée en une « école lyonnaise » de la pensée mystique et spirituelle. » (« Lyon, "Rome de France" », Ville et religion en Europe, p. 847-848, l’article étudie un courant minoritaire plus radical de l’Eglise lyonnaise).
1914 semble être le moment de réconciliation ou au moins le « temps du rapprochement », du fait du patriotisme commun. Le 8 septembre 1914, invité pour les vœux des échevins : « Herriot répond qu’il serait préférable d’adresser une invitation individuelle à chacun des conseillers municipaux, ce qui permettrait à chacun d’eux de se déterminer selon sa conscience et son désir. Si Herriot ne s’y rend pas, six conseillers, certes d’opposition, se rendent à Fourvière ». C’est néanmoins un début de dialogue entre « Le Maire et l’archevêque ».
« Les années 1912-1916 éclairent comment la Grande Guerre a servi de ciment national à un pays divisé depuis la révolution française sur la question religieuse, en particulier en ramenant les catholiques dans la République, eux qui avaient été atteints dans leurs corps et leur cœur par la Constitution civile du clergé » (« Le Maire et l’archevêque », p. 376).
La question de la sécularisation a duré plus d’une trentaine d’années, à partir de 1879 :
« le contrôle de la Troisième république par les républicains en 1879 ouvre la période de la laïcisation avec la fête nationale du Quatorze juillet, les écoles sans Dieu de Jules Ferry (1832-1896) et la loi sur les associations de 1901 qui vise les congrégations religieuses. Il faut dire que l’Eglise s’est associée à l’Ordre moral, à l’antisémitisme, aux attaques contre la République, en étant du côté de tous les nostalgiques de la Monarchie. Certes, Léon XIII (1810-1903) dans son encyclique Au milieu des sollicitudes, a demandé aux catholiques de rallier la République, ce qui est entendu par les catholiques libéraux lecteurs du Salut public, mais il reste, au début du 20e siècle, de nombreux catholiques refusant ce ralliement et lisant Le Nouvelliste. » (« Séparation des églises et de l’état », Dictionnaire historique de Lyon).
Le moment de crise le plus étudié est celui de la Séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, mais un évènement lyonnais, 9 ans auparavant, permet de prendre la température des antagonismes :
La consécration de la basilique de Fourvière arrive « au beau milieu du conflit entre la République et l’Eglise qui domina la vie française, en trouvant à Lyon un terrain particulièrement favorable. D’un côté la municipalité républicaine et radicale des maires Gailleton et Augagneur, soutenue par un réseau de Comités locaux, par les loges et par une active presse de gauche, multipliait les mesures résolument laïques voire anticléricales. De l’autre côté, la droite catholique se mobilisait sous la bannière mariale, s’appuyant elle aussi sur une presse pugnace. » (Marie face à Marianne).
L’exposition de la Bibliothèque municipale pour les cents ans de la Basilique, en 1996, recensait un certain nombre de pommes de discordes parmi les décisions communales :
1879 : interdiction des processions (Préfet)
1880 : laïcisation des écoles primaires (municipalité) ; expulsion des Capucins de leur couvent des Brotteaux
1885 : enlèvement des croix monumentales des cimetières (municipalité)
On peut ajouter la laïcisation du personnel féminin des hôpitaux, la création d’un des premiers lycées de jeunes filles de province, place Quinet, la création de Ecole normale inaugurée à la Croix-Rousse par Jules Ferry en personne et l’implantation de l’Ecole de Santé militaire, fixée à Lyon par le ministère de la Guerre.
Les monuments lyonnais témoignent d’une véritable « émulation créatrice » : « bien décidés à "occuper le terrain", les deux partis allaient se faire bâtisseurs, chacun enrôlant l’architecture sous sa bannière […] A la basilique de Fourvière aux allures de forteresse […] répondait l’imposante Préfecture et les Universités, édifiées dans la Guillotière républicaine ». De 1880 à 1905, 26 édifices scolaires sortent de terre, s’ajoutant aux 69 existants (Marie face à Marianne).
« Réclamée par les républicains depuis plus de trente ans, la séparation des Eglises et de l’Etat fut vraiment mise à l’ordre du jour durant l’été 1904. Un projet de loi fut mis au point, puis voté au Parlement en 1905. Enfin la mise en application, surtout durant l’année 1906, provocant des évènements et des prises de position importantes. Pendant trois ans la séparation fut au cœur de l’actualité française. » (La Séparation à Lyon, p. 108).
On ne peut détailler ici les luttes des Cercles de la libre pensée, fédérations d’enseignement laïc, loges maçonniques qui tiennent volontiers leurs congrès nationaux à Lyon dans la période, face à l’Université catholique, Association catholique des patrons de Lyon, Congrégation des Messieurs… « Examinant d’abord les positions respectives des catholiques et des anticléricaux, nous avons constaté l’existence d’une opposition irréductible entre deux groupes, ou plutôt entre les deux idéologies, car les hommes réussissent souvent à se rejoindre par-delà leurs idées. Catholiques et anticléricaux organisent chacun leurs œuvres, leurs institutions, leurs mouvements. L’école constitue un champ de lutte privilégié. Le journal est aussi une arme puissante : les 6 quotidiens de Lyon sont engagés dans le combat et mettent la question religieuse au cœur de leurs débats. » (Ibid.,p. 209)
Entre 1912 et 1914, la vie publique est encore très marquée par l’affrontement de deux fortes personnalités cléricales et anti-cléricales : le maire Edouard Herriot et Mgr Sevin. Le prélat interdit de lire Le Progrès ou Lyon républicain pendant le carême de 1913 et 1914, tandis que Le Progrès écrit que catholiques et républicains sont deux termes incompatibles (« Le Maire et l’archevêque », Ville et religion en Europe, p. 368).
« Cité républicaine et radicale à la veille de la Grande guerre, Lyon offre pourtant une visage plus contrasté. La plupart de ses élites se sont en effet converties aux vertus de la république. Modérés et fédéralistes, elles ont fait le choix du compromis et de l’ouverture […] Leur vision du monde est celle du catholicisme libéral du XIXe siècle. La capitale lyonnaise qu’ils entendent construire, développer et représenter est celle d’une cité carrefour, d’une autre Babel où la foi n’est pas éradiquée mais reste de l’ordre de la sphère privée et de la liberté religieuse. La question laïque ne les effraie pas. Elle peut au contraire être le gage d’un agir chrétien au sein des lieux de la modernité comme la ville. Cette identité catholique et libérale a même été érigée en une « école lyonnaise » de la pensée mystique et spirituelle. » (« Lyon, "Rome de France" », Ville et religion en Europe, p. 847-848, l’article étudie un courant minoritaire plus radical de l’Eglise lyonnaise).
1914 semble être le moment de réconciliation ou au moins le « temps du rapprochement », du fait du patriotisme commun. Le 8 septembre 1914, invité pour les vœux des échevins : « Herriot répond qu’il serait préférable d’adresser une invitation individuelle à chacun des conseillers municipaux, ce qui permettrait à chacun d’eux de se déterminer selon sa conscience et son désir. Si Herriot ne s’y rend pas, six conseillers, certes d’opposition, se rendent à Fourvière ». C’est néanmoins un début de dialogue entre « Le Maire et l’archevêque ».
« Les années 1912-1916 éclairent comment la Grande Guerre a servi de ciment national à un pays divisé depuis la révolution française sur la question religieuse, en particulier en ramenant les catholiques dans la République, eux qui avaient été atteints dans leurs corps et leur cœur par la Constitution civile du clergé » (« Le Maire et l’archevêque », p. 376).
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