Question d'origine :
Bonjour,
J'ai entendu parlé d'un "fait divers" au Mexique il me semble dans la ville de Juarez (je ne suis pas sûre de l'orthographe) à propos de disparitions de femmes et je cherche des sources sures, en français et en espagnol pour comprendre ce qu'il s'est passé là-bas, il y a environ un an et demi je crois. Pouvez-vous m'aider?
Merci d'avance pour votre travaille.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 03/12/2014 à 12h16
Bonjour,
Les disparitions de centaines femmes à Ciudad Juarez au Mexique durent depuis 1993.
Le Monde diplomatique écrivait en 2003 :
« C’est peut-être l’affaire la plus abominable de l’histoire criminelle de tous les temps. A Ciudad Juárez, ville frontière du nord du Mexique, jumelle d’El Paso (Texas), plus de 300 femmes ont été assassinées selon un rituel immuable : enlèvement, torture, sévices sexuels, mutilations, strangulation. Depuis dix ans, au rythme moyen de deux cadavres par mois, des corps de femmes, d’adolescentes et de fillettes, nus, meurtris, défigurés, sont découverts dans les faubourgs de la ville maudite. Les enquêteurs les plus sérieux pensent qu’il s’agit de l’œuvre de deux « tueurs en série » psychopathes. Mais qui demeurent introuvables... »
(Sergio Gonzalo Rodriguez, « Tueurs de femmes à Ciudad Juárez »)
Nous vous laissons prendre connaissance de cet article très détaillé qui mentionne les interventions de profilers, les réclamations de la Ligue des Droits de l’Homme mexicaine pour que les autorités prennent au sérieux ces 300 meurtres et 200 autres disparitions de femmes, les suspects au fil des années, les intimidations des professionnels s’intéressant à l’affaire…
« Les meurtres en série de Ciudad Juárez mêlent l’atmosphère trouble de la frontière et ses milliers de migrants, ses industries de sous-traitance, la faillite des institutions et aussi la violence patriarcale, l’inégalité, les négligences du gouvernement fédéral, etc. Mais, par-dessus tout, cette ténébreuse affaire révèle la toute-puissance des narcotrafiquants et la solidité de leurs réseaux d’influence. Les liens entre le milieu criminel et les pouvoirs économique et politique constituent une menace pour l’ensemble du Mexique. »
« Selon des sources fédérales, six gros entrepreneurs d’El Paso, du Texas, de Ciudad Juárez et de Tijuana commanditeraient des sicaires chargés d’enlever des femmes et de les leur amener pour les violer, les mutiler et les tuer. Le profil criminologique de ces meurtres s’approcherait de ce que Robert K. Ressler a appelé des « meurtres pour s’amuser » (spree murders). Les autorités mexicaines connaîtraient ces activités depuis longtemps, et refuseraient d’intervenir. Il aura fallu attendre le 22 juillet 2003 pour que le gouvernement fédéral s’implique dans la ténébreuse affaire de Ciudad Juárez et lance un plan de coordination policière entre les enquêteurs nationaux, départementaux et municipaux. »
Le journal Clarin en 2002 classe cette affaire dans les « drames de l’immigration », en rappelant que Ciudad Juarez est situé au plein milieu des 3200 km de frontière qui séparent le Mexique des Etats-Unis. L’article fait remonter le début des assassinats à 1993 (« La frontera México-EE.UU. oculta el crimen de más de 300 mujeres ») :
« A Juárez llegan a diario unas 1.000 personas con la idea de cruzar la frontera hacia EE.UU. La mayoría fracasa y el desierto pareciera tragarlos. Fruto del reclamo de los organismos humanitarios nacidos por los asesinatos, y que a su vez movilizaron a legisladoras federales, los crímenes son hoy tema de debate internacional, de ensayos periodísticos, novelas, documentales y programas especiales. »
[1000 personnes par jour tentent de passer la frontière à Juarez pour entrer aux EU. La majorité échoue et le désert semble les avaler. Objets d’alertes de la part des organisations humanitaires créées pour dénoncer ces meurtres, qui à leur tour ont mobilisé les législateurs fédéraux, les crimes sont aujourd’hui au cœur d’un débat international, d’enquêtes journalistiques, de romans, de documentaires et d’émissions spéciales.]
L’auteur rappelle le mauvais accueil fait au FBI dénonçant la corruption publique et rapporte la synthèse faite pour l’ONU qui caractérisaient les victimes comme :
« jovencitas desgarbadas, morenas y de origen pobre. Muchas trabajan en empresas de capital extranjero que fabrican o ensamblan productos con mano de obra barata.» [jeunes filles disgrâcieuses, de peau sombre et d’origine pauvre. Beaucoup travaillaient dans les entreprises étrangères qui emploient de la main d’œuvre à bas coût].
Au cour des années, certains gouverneurs ont stigmatisé les victimes, sous prétexte de mœurs légères ou de vies déréglées (jeunesse migrante, familles désintégrées, aimant trop danser et ayant trop d’amants).
Les sources américaines parlent des « Female homicides in Ciudad Juarez », voire des « Feminicides in Juarez », ou avec plus d’empathie des « Daughters of Juarez ». Ce sont des sources récentes, puisque les meurtres ont continué depuis 2002-2003, au moment de leur dénonciation par des associations.
EN 2010, le Houston Chronicle parle de 500 meurtres et 100 disparues. Des mères de victimes adolescentes de 14 et 15 ans, particulièrement visées, ont saisi la Cour de Justice Inter-Américaine au Costa Rica, pour que le Mexique réponde à ses obligations de protection de la population contre la violence. Pour le premier semestre 2012, le New York Times fait état de 60 meurtres de femmes à Ciudad Juarez et encore une centaine de disparitions depuis 2 ans.
Certains corps sont retrouvés dans des tombes communes, d’autres dans les mêmes champs de coton, d’autres abandonnés au petit bonheur. L’article du New York Times ne parle plus de crimes en série mais plutôt d’autorisation à tuer les femmes, pour des raisons domestiques ou « passionnelles » :
« He and two investigators in his office said they did not have any specific information about the women found in the mass grave, but they warned against seeing their deaths as the product of a single cause. “In Juárez, there’s everything,” Mr. Hawley said. “There are jealous husbands, jealous fathers-in-law, there are women killing women.”
A government committee found a similar array of causes for the earlier wave of killings. After surveying 155 killings out of 340 documented between 1993 and 2003, the committee found that roughly half were prompted by motives like domestic violence, robbery and gang wars, while a little more than a third involved sexual assault. »
[Lui et deux autres inspecteurs de son bureau ont affirmé qu’ils n’avaient aucune information spécifique à propos des femmes trouvées enterrées ensemble, mais ils mettent en garde contre le fait de vouloir trouver une seule cause [de la mort]. « A Juarez, il y a de tout », dit M. Hawley. « Il y a des maris jaloux, des beaux-pères jaloux, des femmes tuant des femmes. »
Une commission gouvernementale a trouvé une même diversité des causes pour la première vague de crimes. Après avoir examiné 155 meurtres sur les 340 enquêtes entre 1993 et 2003, la commission a estimé qu’à peu près la moitié avait été perpétrée dans le cadre de violences domestiques, vols et guerres des gangs, tandis qu’un peu plus d’un tiers comprenait une agression sexuelle. »
La principale enquête publiée en espagnol (González Rodríguez, Huesos en el Desierto) est traduite en français : Des os dans le désert
Deux enquêtes françaises sont disponibles :
- La ville qui tue les femmes : Enquête à Ciudad Juarez (2005)
- Féminicides et impunité : Le cas de Ciudad Juarez (2012)
Voir aussi :
- Les disparues de Juarez [roman policier]
- Les oubliées de Juarez [film]
- La cité des mortes [webdocumentaire]
[Visages disparus] MISSING FACES, ©Shaul Schwarz for The New York Times, 2012.
Posters showed women who have disappeared in Ciudad Juárez.
Les disparitions de centaines femmes à Ciudad Juarez au Mexique durent depuis 1993.
Le Monde diplomatique écrivait en 2003 :
« C’est peut-être l’affaire la plus abominable de l’histoire criminelle de tous les temps. A Ciudad Juárez, ville frontière du nord du Mexique, jumelle d’El Paso (Texas), plus de 300 femmes ont été assassinées selon un rituel immuable : enlèvement, torture, sévices sexuels, mutilations, strangulation. Depuis dix ans, au rythme moyen de deux cadavres par mois, des corps de femmes, d’adolescentes et de fillettes, nus, meurtris, défigurés, sont découverts dans les faubourgs de la ville maudite. Les enquêteurs les plus sérieux pensent qu’il s’agit de l’œuvre de deux « tueurs en série » psychopathes. Mais qui demeurent introuvables... »
(Sergio Gonzalo Rodriguez, « Tueurs de femmes à Ciudad Juárez »)
Nous vous laissons prendre connaissance de cet article très détaillé qui mentionne les interventions de profilers, les réclamations de la Ligue des Droits de l’Homme mexicaine pour que les autorités prennent au sérieux ces 300 meurtres et 200 autres disparitions de femmes, les suspects au fil des années, les intimidations des professionnels s’intéressant à l’affaire…
« Les meurtres en série de Ciudad Juárez mêlent l’atmosphère trouble de la frontière et ses milliers de migrants, ses industries de sous-traitance, la faillite des institutions et aussi la violence patriarcale, l’inégalité, les négligences du gouvernement fédéral, etc. Mais, par-dessus tout, cette ténébreuse affaire révèle la toute-puissance des narcotrafiquants et la solidité de leurs réseaux d’influence. Les liens entre le milieu criminel et les pouvoirs économique et politique constituent une menace pour l’ensemble du Mexique. »
« Selon des sources fédérales, six gros entrepreneurs d’El Paso, du Texas, de Ciudad Juárez et de Tijuana commanditeraient des sicaires chargés d’enlever des femmes et de les leur amener pour les violer, les mutiler et les tuer. Le profil criminologique de ces meurtres s’approcherait de ce que Robert K. Ressler a appelé des « meurtres pour s’amuser » (spree murders). Les autorités mexicaines connaîtraient ces activités depuis longtemps, et refuseraient d’intervenir. Il aura fallu attendre le 22 juillet 2003 pour que le gouvernement fédéral s’implique dans la ténébreuse affaire de Ciudad Juárez et lance un plan de coordination policière entre les enquêteurs nationaux, départementaux et municipaux. »
Le journal Clarin en 2002 classe cette affaire dans les « drames de l’immigration », en rappelant que Ciudad Juarez est situé au plein milieu des 3200 km de frontière qui séparent le Mexique des Etats-Unis. L’article fait remonter le début des assassinats à 1993 (« La frontera México-EE.UU. oculta el crimen de más de 300 mujeres ») :
« A Juárez llegan a diario unas 1.000 personas con la idea de cruzar la frontera hacia EE.UU. La mayoría fracasa y el desierto pareciera tragarlos. Fruto del reclamo de los organismos humanitarios nacidos por los asesinatos, y que a su vez movilizaron a legisladoras federales, los crímenes son hoy tema de debate internacional, de ensayos periodísticos, novelas, documentales y programas especiales. »
[1000 personnes par jour tentent de passer la frontière à Juarez pour entrer aux EU. La majorité échoue et le désert semble les avaler. Objets d’alertes de la part des organisations humanitaires créées pour dénoncer ces meurtres, qui à leur tour ont mobilisé les législateurs fédéraux, les crimes sont aujourd’hui au cœur d’un débat international, d’enquêtes journalistiques, de romans, de documentaires et d’émissions spéciales.]
L’auteur rappelle le mauvais accueil fait au FBI dénonçant la corruption publique et rapporte la synthèse faite pour l’ONU qui caractérisaient les victimes comme :
« jovencitas desgarbadas, morenas y de origen pobre. Muchas trabajan en empresas de capital extranjero que fabrican o ensamblan productos con mano de obra barata.» [jeunes filles disgrâcieuses, de peau sombre et d’origine pauvre. Beaucoup travaillaient dans les entreprises étrangères qui emploient de la main d’œuvre à bas coût].
Au cour des années, certains gouverneurs ont stigmatisé les victimes, sous prétexte de mœurs légères ou de vies déréglées (jeunesse migrante, familles désintégrées, aimant trop danser et ayant trop d’amants).
Les sources américaines parlent des « Female homicides in Ciudad Juarez », voire des « Feminicides in Juarez », ou avec plus d’empathie des « Daughters of Juarez ». Ce sont des sources récentes, puisque les meurtres ont continué depuis 2002-2003, au moment de leur dénonciation par des associations.
EN 2010, le Houston Chronicle parle de 500 meurtres et 100 disparues. Des mères de victimes adolescentes de 14 et 15 ans, particulièrement visées, ont saisi la Cour de Justice Inter-Américaine au Costa Rica, pour que le Mexique réponde à ses obligations de protection de la population contre la violence. Pour le premier semestre 2012, le New York Times fait état de 60 meurtres de femmes à Ciudad Juarez et encore une centaine de disparitions depuis 2 ans.
Certains corps sont retrouvés dans des tombes communes, d’autres dans les mêmes champs de coton, d’autres abandonnés au petit bonheur. L’article du New York Times ne parle plus de crimes en série mais plutôt d’autorisation à tuer les femmes, pour des raisons domestiques ou « passionnelles » :
« He and two investigators in his office said they did not have any specific information about the women found in the mass grave, but they warned against seeing their deaths as the product of a single cause. “In Juárez, there’s everything,” Mr. Hawley said. “There are jealous husbands, jealous fathers-in-law, there are women killing women.”
A government committee found a similar array of causes for the earlier wave of killings. After surveying 155 killings out of 340 documented between 1993 and 2003, the committee found that roughly half were prompted by motives like domestic violence, robbery and gang wars, while a little more than a third involved sexual assault. »
[Lui et deux autres inspecteurs de son bureau ont affirmé qu’ils n’avaient aucune information spécifique à propos des femmes trouvées enterrées ensemble, mais ils mettent en garde contre le fait de vouloir trouver une seule cause [de la mort]. « A Juarez, il y a de tout », dit M. Hawley. « Il y a des maris jaloux, des beaux-pères jaloux, des femmes tuant des femmes. »
Une commission gouvernementale a trouvé une même diversité des causes pour la première vague de crimes. Après avoir examiné 155 meurtres sur les 340 enquêtes entre 1993 et 2003, la commission a estimé qu’à peu près la moitié avait été perpétrée dans le cadre de violences domestiques, vols et guerres des gangs, tandis qu’un peu plus d’un tiers comprenait une agression sexuelle. »
La principale enquête publiée en espagnol (González Rodríguez, Huesos en el Desierto) est traduite en français : Des os dans le désert
Deux enquêtes françaises sont disponibles :
- La ville qui tue les femmes : Enquête à Ciudad Juarez (2005)
- Féminicides et impunité : Le cas de Ciudad Juarez (2012)
- Les disparues de Juarez [roman policier]
- Les oubliées de Juarez [film]
- La cité des mortes [webdocumentaire]
[Visages disparus] MISSING FACES, ©Shaul Schwarz for The New York Times, 2012.
Posters showed women who have disappeared in Ciudad Juárez.
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