Question d'origine :
Bonjour,
Je me demandais quelle était la différence substantielle entre le Conatus de Spinoza et la Volonté de puissance de Nietzsche.
Merci.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 24/08/2015 à 13h40
Bonjour,
Nietzsche, admirateur de Spinoza (voir la Lettre à Franz Overbeck, Sils-Maria, le 30 juillet 1881), ne s’est pourtant pas privé de le critiquer, notamment pour asseoir son concept de « volonté de puissance » en le démarquant du « conatus » spinoziste.
Quelques extraits et références pour vous permettre de mieux cerner la « différence substantielle » entre ces deux notions :
« La Volonté de puissance: un principe ontologique fondamental :
Le 349ème paragraphe du Gai savoir permet de comprendre dans quelle mesure Nietzsche se distingue de Spinoza et de Schopenhauer en les intégrant puis en les dépassant dans un seul et même mouvement de pensée. Ce dépassement, comme il l'a été dit précédemment, se confond avec l'acte de naissance du concept de Volonté de puissance. Dès lors, Nietzsche s'oppose à Spinoza dans la réponse qu'il apporte à cette question incontournable en philosophie: quel principe préside à l'accomplissement de toute chose?
Le fondement ontologique proposé par Spinoza est celui du Conatus, c'est-à-dire de la persévérance dans l'être, tel qu'exposé dans les propositions VI, VII et VIII de la troisième partie de L'Éthique. Nietzsche va refuser cette hypothèse tout en esquissant en creux la substance même du concept de Volonté de puissance: « Vouloir se conserver soi-même est l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi. Que l'on prenne ainsi pour un trait symptomatique chez certains philosophes tels que le phtisique Spinoza, s'ils voient dans l'instinct de conservation un principe décisif: – ce sont justement des hommes en détresse. » (Le Gai savoir, §349: Encore au sujet de l'origine des savants)
Ainsi, Nietzsche subordonne la conservation de soi-même à l'existence première de « l'impulsion vitale »: le Conatus n'est plus un principe ontologique fondamental mais seulement « l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale ». Nietzsche ne va pourtant pas jusqu'à rejeter l'existence même du Conatus: il se contente de le déclasser afin de l'intégrer dans un plus grand ensemble dont il n'est qu'une des modalités. Ce plus grand ensemble est celui de « l'impulsion vitale » qui, pour être appréhendée, trouvera son assise théorique dans la Volonté de puissance. En effet, Nietzsche considère que c'est « l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi »: l'impulsion vitale est donc, en son essence même, Volonté de puissance. »
Extrait de : La volonté de puissance chez Nietzsche, blog Philosopher autrement.
« Spinoza appelle l’instinct le plus général du vivant le conatus, c’est -à-dire la tendance à persévérer dans son être. Pourquoi Nietzsche estime -t-il qu’il s’agit d’un principe téléologique ? Parce que cet instinct suppose une visée de la conservation, il a pour but de persévérer. Il faut comprendre, du coup, que la volonté de puissance n’a pas la puissance pour but mais plutôt pour moteur : il s’agit du désir de déployer une force déjà présente. Le principe spinoziste de conservation de soi devrait avoir pour effet d’arrêter le changement, de fixer l’être vivant dans son état présent ; or c’est plutôt la tendance à s’accroître que l’on observe dans tous les phénomènes de la nature »
Extrait de : La philosophie de Nietzsche, cours 8 : La volonté de puissance, Annick Stevens sur le site de l'Université populaire de Marseille.
L’article Nietzsche, lecteur de Spinoza : réinterpréter la conservation ?, Blaise Benoit explicite cette notion de conservation et permet de voir que c’est aussi l’interprétation nietzschéenne du conatus qui accentue les différences entre les deux concepts :
« La relation que Nietzsche entretient avec un Spinoza quelque peu violenté est particulièrement féconde, dans la mesure où elle établit la plasticité du champ sémantique de la conservation, de la stricte identité à soi à la sélection comme problème. Plus précisément : la volonté de puissance est un « vouloir croître quantitativement » et un « vouloir s’intensifier qualitativement ». Ce vouloir se veut lui-même en une conservation polysémique qui se nomme alors « éternel retour » en deux significations opposées : d’une part, la conservation stricte de tout ce qui advient, dans l’ordre de l’interprétation de l’« éternel retour » comme « éternel retour de l’identique » ; d’autre part, la conservation ouverte à l’altérité et à l’élévation dans une interprétation de l’« éternel retour » comme le propre d’un vouloir soucieux d’intensification de la vie et donc de sélection. L’interpellation de « Spinoza » par Nietzsche au sujet de la pulsion de conservation renvoie donc au cœur des principales difficultés d’interprétation impliquées par la pensée de Nietzsche. »
L’article entier est consultable en ligne à la BML sur la base Cairn.
La page Spinoza et Nietzsche, Jean-Pierre Vandeuren sur le site Vivre Spinoza met en perspective plus largement la pensée des deux auteurs.
Voir aussi :
- L’article « La grande identité Nietzsche-Spinoza », Pierre Zaoui, Philosophie n° 47 consacré à Gilles Deleuze dont vous pouvez lire un extrait en ligne.
Pour poursuivre :
- Conatus, définition du Conatus sur le site Spinoza et nous.
- Spinoza entre Lumière et romantisme, article Spinoza et Nietzsche, Danièle Perussel
- Spinoza et autres hérétiques, Yirmiyahu Yovel, 5. Spinoza et Nietzsche. Les pages Conatus contre volonté de puissance se concluent ainsi :
« En fin de compte, l’insistance spinozienne sur la conservation de soi s’accorde avec sa métaphysique de l’identité à soi et de la permanence, tandis que la volonté de puissance nietzschéenne, attribuant l’autodépassement à toutes les réalités immanentes, convient à sa théorie du flux qui refuse toute identité à soi. Ainsi, les différences entre conatus et volonté de puissance relèvent bien de la confrontation plus large sur la nature du monde immanent. »
Bonnes lectures !
Nietzsche, admirateur de Spinoza (voir la Lettre à Franz Overbeck, Sils-Maria, le 30 juillet 1881), ne s’est pourtant pas privé de le critiquer, notamment pour asseoir son concept de « volonté de puissance » en le démarquant du « conatus » spinoziste.
Quelques extraits et références pour vous permettre de mieux cerner la « différence substantielle » entre ces deux notions :
« La Volonté de puissance: un principe ontologique fondamental :
Le 349ème paragraphe du Gai savoir permet de comprendre dans quelle mesure Nietzsche se distingue de Spinoza et de Schopenhauer en les intégrant puis en les dépassant dans un seul et même mouvement de pensée. Ce dépassement, comme il l'a été dit précédemment, se confond avec l'acte de naissance du concept de Volonté de puissance. Dès lors, Nietzsche s'oppose à Spinoza dans la réponse qu'il apporte à cette question incontournable en philosophie: quel principe préside à l'accomplissement de toute chose?
Le fondement ontologique proposé par Spinoza est celui du Conatus, c'est-à-dire de la persévérance dans l'être, tel qu'exposé dans les propositions VI, VII et VIII de la troisième partie de L'Éthique. Nietzsche va refuser cette hypothèse tout en esquissant en creux la substance même du concept de Volonté de puissance: « Vouloir se conserver soi-même est l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi. Que l'on prenne ainsi pour un trait symptomatique chez certains philosophes tels que le phtisique Spinoza, s'ils voient dans l'instinct de conservation un principe décisif: – ce sont justement des hommes en détresse. » (Le Gai savoir, §349: Encore au sujet de l'origine des savants)
Ainsi, Nietzsche subordonne la conservation de soi-même à l'existence première de « l'impulsion vitale »: le Conatus n'est plus un principe ontologique fondamental mais seulement « l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale ». Nietzsche ne va pourtant pas jusqu'à rejeter l'existence même du Conatus: il se contente de le déclasser afin de l'intégrer dans un plus grand ensemble dont il n'est qu'une des modalités. Ce plus grand ensemble est celui de « l'impulsion vitale » qui, pour être appréhendée, trouvera son assise théorique dans la Volonté de puissance. En effet, Nietzsche considère que c'est « l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi »: l'impulsion vitale est donc, en son essence même, Volonté de puissance. »
Extrait de : La volonté de puissance chez Nietzsche, blog Philosopher autrement.
« Spinoza appelle l’instinct le plus général du vivant le conatus, c’est -à-dire la tendance à persévérer dans son être. Pourquoi Nietzsche estime -t-il qu’il s’agit d’un principe téléologique ? Parce que cet instinct suppose une visée de la conservation, il a pour but de persévérer. Il faut comprendre, du coup, que la volonté de puissance n’a pas la puissance pour but mais plutôt pour moteur : il s’agit du désir de déployer une force déjà présente. Le principe spinoziste de conservation de soi devrait avoir pour effet d’arrêter le changement, de fixer l’être vivant dans son état présent ; or c’est plutôt la tendance à s’accroître que l’on observe dans tous les phénomènes de la nature »
Extrait de : La philosophie de Nietzsche, cours 8 : La volonté de puissance, Annick Stevens sur le site de l'Université populaire de Marseille.
L’article Nietzsche, lecteur de Spinoza : réinterpréter la conservation ?, Blaise Benoit explicite cette notion de conservation et permet de voir que c’est aussi l’interprétation nietzschéenne du conatus qui accentue les différences entre les deux concepts :
« La relation que Nietzsche entretient avec un Spinoza quelque peu violenté est particulièrement féconde, dans la mesure où elle établit la plasticité du champ sémantique de la conservation, de la stricte identité à soi à la sélection comme problème. Plus précisément : la volonté de puissance est un « vouloir croître quantitativement » et un « vouloir s’intensifier qualitativement ». Ce vouloir se veut lui-même en une conservation polysémique qui se nomme alors « éternel retour » en deux significations opposées : d’une part, la conservation stricte de tout ce qui advient, dans l’ordre de l’interprétation de l’« éternel retour » comme « éternel retour de l’identique » ; d’autre part, la conservation ouverte à l’altérité et à l’élévation dans une interprétation de l’« éternel retour » comme le propre d’un vouloir soucieux d’intensification de la vie et donc de sélection. L’interpellation de « Spinoza » par Nietzsche au sujet de la pulsion de conservation renvoie donc au cœur des principales difficultés d’interprétation impliquées par la pensée de Nietzsche. »
L’article entier est consultable en ligne à la BML sur la base Cairn.
La page Spinoza et Nietzsche, Jean-Pierre Vandeuren sur le site Vivre Spinoza met en perspective plus largement la pensée des deux auteurs.
Voir aussi :
- L’article « La grande identité Nietzsche-Spinoza », Pierre Zaoui, Philosophie n° 47 consacré à Gilles Deleuze dont vous pouvez lire un extrait en ligne.
Pour poursuivre :
- Conatus, définition du Conatus sur le site Spinoza et nous.
- Spinoza entre Lumière et romantisme, article Spinoza et Nietzsche, Danièle Perussel
- Spinoza et autres hérétiques, Yirmiyahu Yovel, 5. Spinoza et Nietzsche. Les pages Conatus contre volonté de puissance se concluent ainsi :
« En fin de compte, l’insistance spinozienne sur la conservation de soi s’accorde avec sa métaphysique de l’identité à soi et de la permanence, tandis que la volonté de puissance nietzschéenne, attribuant l’autodépassement à toutes les réalités immanentes, convient à sa théorie du flux qui refuse toute identité à soi. Ainsi, les différences entre conatus et volonté de puissance relèvent bien de la confrontation plus large sur la nature du monde immanent. »
Bonnes lectures !
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