Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir où sont envoyées les âmes/ombres des femmes et surtout des enfants, dans la mythologique grecque, à leur mort.
Suivent-elles celles des hommes, selon la répartition géographique suivante :
-Une vie vertueuse mènerait aux Champs Élysées ;
-Une vie "passive", absurde, mènerait au Pré d'Asphodèles ;
-Une vie criminelle mènerait au Tartare ;
-Éventuellement, une vie héroïque mènerait à Leuce ;
-Une mort sans honneurs funèbres mènerait à l'Erèbe, pendant un certain laps de temps.
Plus précisément, où erreraient les âmes/ombres d'Hécube et d'Astyanax ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 11/12/2015 à 14h50
Bonjour,
Difficile de répondre exactement à votre question car les croyances ont évolué au cours des âges et le destin des âmes dépend donc un peu de l’auteur dont on s’inspirera.
« Dés le Ve siècle av. J.-C., trois conceptions de l’enfer coexistent donc dans le monde gréco-romain : l’enfer existentiel, que l’on vit sur terre : c’est celui de Lucrèce ; l’enfer philosophique, construction logique nécessaire au bon fonctionnement de la cité et conséquence de l’existence d’un dieu qui est en même temps le bien absolu : c’est celui de Platon ; l’enfer populaire, projection d’un désir de justice et de revanche, où les méchants sont victimes de pittoresques supplices : c’est celui de Virgile. » (Histoire de l’enfer, Georges Minois, chap. Les enfers grecs : poètes et philosophes).
Ajoutons que le sort des âmes d’Hécube, femme de Priam et mère d’Hector, et d’Astyanax, son petit-fils et fils d’Andromaque, est d’autant plus incertain que leur triste fin diffère selon les récits.
Disons tout d’abord qu’il semble bien que les enfers accueillent toutes les âmes, y compris celle des femmes et des enfants :
« Pour les Grecs de l'Antiquité, les Enfers sont le lieu où se retrouvent toutes les âmes des humains décédés. »
Source : Enfers des Grecs, sur Wikidia.
« Les Enfers, royaume souterrain du dieu Hadès et de son épouse Perséphone, sont le séjour des morts, tous sans exception ».
Et plus loin : « Les morts qui n’ont pas eu de sépulture ne peuvent prétendre embarquer. Ils errent alors cent ans. ».
Source : Petite introduction aux enfers, site pédagogique Ralentir Travaux.
Sur la « cartographie » des enfers, les deux présentations ci-dessous en ligne montrent l’évolution de la représentation des enfers et l’évolution, notamment sous l’influence de l’orphisme, vers une forme de jugement des morts :
- Enfers et paradis, paragraphes 5 et 6 : L’autre monde selon Homère et Enfers et paradis orphiques, Encycloplédie Universalis en ligne.
- Les enfers, Cosmovisions.
Pour approfondir :
Aux portes des enfers : enquête géographique, littéraire et historique, Alain Nadaud.
La page Enfers, sur mythologica.fr donne les mêmes divisions que vous, avec une carte des "enfers selon Virgile" qui détaille même des espaces pour les guerriers, les suicidés ou les enfants morts à la naissance :
Voir aussi la page : Géographie des enfers gréco-romains, Jean-Marc Pinet sur Les cafés géographiques, qui décrit l’enfer de Virgile et celui de Platon.
La tragédie Hécube d’Euripide illustre la croyance en une errance des âmes des morts sans sépulture dans l’Erèbe en même temps que la présence des enfants en ce lieu. Polydore, le plus jeune fils d’Hécube et de Priam, tué par Polymestor, s’y exprime ainsi :
« Je quitte la retraite des morts et les portes de l'Érèbe, qu'habite Pluton, loin du séjour des dieux. Je suis Polydore, enfant d'Hécube, fille de Cissée […] Triste jouet des vagues agitées, je demeure étendu sur le rivage, privé de sépulture, privé des larmes des miens (03). Maintenant, pour voir Hécube, ma mère chérie, j'ai abandonné mon corps, et j'habite les régions supérieures, depuis trois jours que l'infortunée est arrivée de Troie sur la terre de la Chersonèse (04). [35] Tous les Grecs demeurent immobiles, depuis qu'ils ont abordé sur ce rivage de la Thrace. Le fils de Pélée leur est apparu sur son tombeau, et retient toute l'armée qui déjà dirigeait ses navires vers leur patrie. Il demande, pour prix de ses travaux, que ma sœur Polyxène soit immolée sur sa tombe, comme la victime la plus précieuse à ses yeux, et il l'obtiendra; ces guerriers, qui te chérissent, ne lui refuseront pas cette offrande : le destin a marqué ce jour pour la mort de ma sœur. [45] Ma mère verra aujourd'hui les cadavres de deux de ses enfants, moi, et cette infortunée jeune fille. Pour obtenir la sépulture, j'apparaîtrai, poussé par les vagues de la mer, jusqu'aux pieds d'une esclave; car j'ai imploré des puissances infernales la faveur d'avoir enfin un tombeau et d'être rendu aux mains de ma mère : j'aurai obtenu alors tout ce que je désirais. ».
Hécube, Euripide
Pour Hécube comme pour Astyanax son petit-fils, leur fin dépend des versions de l’histoire.
Astyanax est tantôt jeté à la mer, tantôt enterré, tantôt même il échappe au massacre pour fonder une nouvelle Troie. Voir cette page : Ulysse meurtrier d’Astyanax.
La fin d’Hécube n’est guère plus claire, elle se métamorphose en chienne (de son vivant, après sa
mort ?) dans presque toutes les versions mais ensuite se transforme-t-elle en pierre, se jette-t-elle dans la mer, est-elle écrasée sous les pierres qui la lapident, est-elle enterrée dans ce qui se nomme le tombeau de la chienne ?
Voir :
Les métamorphoses d’Ovide suivies d’une analyse par M.G.T VIllenave, p. 203
et La métamorphose d’Hécube, Jean-Pierre Néraudau, Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1981, Volume 1, Numéro 1, pp. 35-51.
Leurs âmes sont-elles donc condamnées à errer un temps certain dans l’Erèbe ? Et sinon, ou même à la fin de leur errance, où peuvent-elles bien se rendre ? Aucun texte ne semble s’y être intéressé.
Tout juste peut-on dire que, même dans les descriptions tardives de Thésée dans l’Achille furieux de Sénèque, ou celles d’Enée dans L’Enéide de Virgile, on ne trouve guère de femmes et d’enfants dans le Tartare, qui semble réservé aux têtes brûlées essentiellement masculines qui ont défié les dieux (Tantale, Sisyphe, les Titans …) exception faite tout de même des Danaïdes. Même constatation pour l’Elysée, réservé essentiellement aux héros, même si la vertueuse Pénélope peut être vue sur les îles des bienheureux.
Voir les descriptions de Sénèque et Virgile à l’article Enfers du Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Jean-Claude Belfiore.
L’absence des femmes sera constatée par Charles Malo, dans L’Elysée, l’enfer et les femmes, La France littéraire p. 300, 1830, sur Google Livres, qui en donne une étonnante explication !
Bonnes lectures !
Difficile de répondre exactement à votre question car les croyances ont évolué au cours des âges et le destin des âmes dépend donc un peu de l’auteur dont on s’inspirera.
« Dés le Ve siècle av. J.-C., trois conceptions de l’enfer coexistent donc dans le monde gréco-romain : l’enfer existentiel, que l’on vit sur terre : c’est celui de Lucrèce ; l’enfer philosophique, construction logique nécessaire au bon fonctionnement de la cité et conséquence de l’existence d’un dieu qui est en même temps le bien absolu : c’est celui de Platon ; l’enfer populaire, projection d’un désir de justice et de revanche, où les méchants sont victimes de pittoresques supplices : c’est celui de Virgile. » (Histoire de l’enfer, Georges Minois, chap. Les enfers grecs : poètes et philosophes).
Ajoutons que le sort des âmes d’Hécube, femme de Priam et mère d’Hector, et d’Astyanax, son petit-fils et fils d’Andromaque, est d’autant plus incertain que leur triste fin diffère selon les récits.
Disons tout d’abord qu’il semble bien que les enfers accueillent toutes les âmes, y compris celle des femmes et des enfants :
« Pour les Grecs de l'Antiquité, les Enfers sont le lieu où se retrouvent toutes les âmes des humains décédés. »
Source : Enfers des Grecs, sur Wikidia.
« Les Enfers, royaume souterrain du dieu Hadès et de son épouse Perséphone, sont le séjour des morts, tous sans exception ».
Et plus loin : « Les morts qui n’ont pas eu de sépulture ne peuvent prétendre embarquer. Ils errent alors cent ans. ».
Source : Petite introduction aux enfers, site pédagogique Ralentir Travaux.
Sur la « cartographie » des enfers, les deux présentations ci-dessous en ligne montrent l’évolution de la représentation des enfers et l’évolution, notamment sous l’influence de l’orphisme, vers une forme de jugement des morts :
- Enfers et paradis, paragraphes 5 et 6 : L’autre monde selon Homère et Enfers et paradis orphiques, Encycloplédie Universalis en ligne.
- Les enfers, Cosmovisions.
Pour approfondir :
Aux portes des enfers : enquête géographique, littéraire et historique, Alain Nadaud.
La page Enfers, sur mythologica.fr donne les mêmes divisions que vous, avec une carte des "enfers selon Virgile" qui détaille même des espaces pour les guerriers, les suicidés ou les enfants morts à la naissance :
Voir aussi la page : Géographie des enfers gréco-romains, Jean-Marc Pinet sur Les cafés géographiques, qui décrit l’enfer de Virgile et celui de Platon.
La tragédie Hécube d’Euripide illustre la croyance en une errance des âmes des morts sans sépulture dans l’Erèbe en même temps que la présence des enfants en ce lieu. Polydore, le plus jeune fils d’Hécube et de Priam, tué par Polymestor, s’y exprime ainsi :
« Je quitte la retraite des morts et les portes de l'Érèbe, qu'habite Pluton, loin du séjour des dieux. Je suis Polydore, enfant d'Hécube, fille de Cissée […] Triste jouet des vagues agitées, je demeure étendu sur le rivage, privé de sépulture, privé des larmes des miens (03). Maintenant, pour voir Hécube, ma mère chérie, j'ai abandonné mon corps, et j'habite les régions supérieures, depuis trois jours que l'infortunée est arrivée de Troie sur la terre de la Chersonèse (04). [35] Tous les Grecs demeurent immobiles, depuis qu'ils ont abordé sur ce rivage de la Thrace. Le fils de Pélée leur est apparu sur son tombeau, et retient toute l'armée qui déjà dirigeait ses navires vers leur patrie. Il demande, pour prix de ses travaux, que ma sœur Polyxène soit immolée sur sa tombe, comme la victime la plus précieuse à ses yeux, et il l'obtiendra; ces guerriers, qui te chérissent, ne lui refuseront pas cette offrande : le destin a marqué ce jour pour la mort de ma sœur. [45] Ma mère verra aujourd'hui les cadavres de deux de ses enfants, moi, et cette infortunée jeune fille. Pour obtenir la sépulture, j'apparaîtrai, poussé par les vagues de la mer, jusqu'aux pieds d'une esclave; car j'ai imploré des puissances infernales la faveur d'avoir enfin un tombeau et d'être rendu aux mains de ma mère : j'aurai obtenu alors tout ce que je désirais. ».
Hécube, Euripide
Pour Hécube comme pour Astyanax son petit-fils, leur fin dépend des versions de l’histoire.
Astyanax est tantôt jeté à la mer, tantôt enterré, tantôt même il échappe au massacre pour fonder une nouvelle Troie. Voir cette page : Ulysse meurtrier d’Astyanax.
La fin d’Hécube n’est guère plus claire, elle se métamorphose en chienne (de son vivant, après sa
mort ?) dans presque toutes les versions mais ensuite se transforme-t-elle en pierre, se jette-t-elle dans la mer, est-elle écrasée sous les pierres qui la lapident, est-elle enterrée dans ce qui se nomme le tombeau de la chienne ?
Voir :
Les métamorphoses d’Ovide suivies d’une analyse par M.G.T VIllenave, p. 203
et La métamorphose d’Hécube, Jean-Pierre Néraudau, Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1981, Volume 1, Numéro 1, pp. 35-51.
Leurs âmes sont-elles donc condamnées à errer un temps certain dans l’Erèbe ? Et sinon, ou même à la fin de leur errance, où peuvent-elles bien se rendre ? Aucun texte ne semble s’y être intéressé.
Tout juste peut-on dire que, même dans les descriptions tardives de Thésée dans l’Achille furieux de Sénèque, ou celles d’Enée dans L’Enéide de Virgile, on ne trouve guère de femmes et d’enfants dans le Tartare, qui semble réservé aux têtes brûlées essentiellement masculines qui ont défié les dieux (Tantale, Sisyphe, les Titans …) exception faite tout de même des Danaïdes. Même constatation pour l’Elysée, réservé essentiellement aux héros, même si la vertueuse Pénélope peut être vue sur les îles des bienheureux.
Voir les descriptions de Sénèque et Virgile à l’article Enfers du Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Jean-Claude Belfiore.
L’absence des femmes sera constatée par Charles Malo, dans L’Elysée, l’enfer et les femmes, La France littéraire p. 300, 1830, sur Google Livres, qui en donne une étonnante explication !
Bonnes lectures !
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