Question d'origine :
Bonjour,
certains artistes considérés comme majeurs aujourd'hui ne l'étaient pas pour leurs contemporains ou bien l'ont été puis ont été oubliés.
Je pense par exemple à Vivaldi qui a été redécouvert au XIXe ou bien à l'ouvre d'Egon Schiele qui est célèbre uniquement grâce à la promotion qui a été faite par Rudolf Leopold.
Pouvez vous dresser une liste d'artistes aujourd'hui majeurs mais qui ne l'étaient pas à leur époque ou bien qui ont été "oublié" puis redécouvert. Pouvez vous pour ceux que vous citerez expliquez pourquoi ils n'étaient pas célèbres à leur époque et pourquoi/comment ils sont aujourd'hui portés aux nues?
Merci,
A.
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 06/02/2016 à 14h20
L’Art se conforme fort mal au principe de la liste et nous ne pouvons raisonnablement répondre à cette étude impérieuse. Nous vous proposons donc quelques lectures croisant la question de la réception des œuvres, le statut de l’artiste ainsi que le marché de l’art. Vous aurez ainsi toute latitude pour appréhender cette notion erratique de la célébrité, celle-ci fluctuant selon des critères variés et interdépendants.
Pour commencer nous vous conseillons vivement la lecture de l'ouvrage de Nathalie Heinich L’élite artiste ainsi que celui de Alain Quemin Les stars de l'art contemporain : notoriété et consécration artistiques dans les arts visuels
Ce document aborde les points suivants:
la question de la reconnaissance, notoriété, réputation et légitimité dans les mondes de l'art mais propose aussi
-Le Kunstkompass qui offre le palmarès des artistes stars, star des palmarès d'artistes ainsi que d’autres palmarès internationaux.
-Le Power 100 : le palmarès des personnalités les plus influentes du monde de l'art contemporain et les autres palmarès de "faiseurs de réputation".
-Les palmarès nationaux français.
-Le genre et la nationalité (ou le pays de résidence) des artistes : analyse de l'influence de trois facteurs pouvant affecter la notoriété telle qu'elle est exprimée dans le Kunstkompass et d'autres classements.
-L'influence de l'âge dans l'accès à la notoriété.
-L'influence du genre dans l'accès à la notoriété : la place des femmes dans les palmarès
-La nationalité : l'influence déterminante du passeport ou du pays de résidence sur l'accès à la notoriété à l'ère supposée de la globalisation.
Pour poursuivre :
L'art : la valeur de l'art, l'art et ses publics, regards sur l'histoire, lieux et pratiques Sciences humaines, hors série; n° 37, juin-juillet-août 2002
Stéréotypes genrés dans l'œuvre, reconnaissance esthétique et succès marchand d'une artiste plasticienne : le cas de Marina Abramović de Clara Lévy
in Revue Sociologie de l'Art
le métier d’artiste de Laneyrie-Dagen, Nadeije
L'artiste, l'institution et le marché de Raymonde Moulin
L'art sans le capitalisme de François Hers
La peinture flamande et hollandaise (XVIIe-XVIIIe siècle) au Musée d'art et d'histoire de Genève : l'art et ses marchés
Le Marché de la peinture en France de Raymonde Moulin
L’artiste article de Marion Deschamp, Revue de l'IFHA
Vie des artistes : vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari
Colloque - Invention et statut de l’artiste à la Renaissance
Réponse du Guichet
bml_mus
- Département : Musique
Le 08/02/2016 à 13h06
Bonjour,
Avant de tenter de répondre à votre question, une remarque s’impose : la notion de célébrité ne recouvre pas la même chose aujourd’hui et à l’époque moderne, par exemple. Un musicien obscur qui joue du rock aujourd’hui est probablement connu par davantage de monde que par exemple Joseph Haydn (1732-1809) qui fut à la fois très connu et reconnu par ses pairs et successeurs. Non seulement la population a considérable augmenté, la mondialisation a démultiplié les possibilités de connaître des musiciens de pays éloignés, le développement de l’instruction au XIXème siècle a été un préalable à celui des média, presse puis radio, puis télévision et internet qui ont mis les connaissances musicales à la portée du plus grand nombre. Parallèlement à cette augmentation de l’audience, l’enregistrement sonore permettant d’écouter des œuvres musicales chez soi sans les jouer a considérablement augmenté la notoriété de musiciens morts.
Ensuite, votre question – difficile à poser, je le conçois – porte l’ambiguité entre célébrité et importance musicologique ou pour rester dans le domaine sociologique où vous vous placez plutôt entre reconnaissance publique et reconnaissance par ses pairs. Si l’on est d’accord pour se limiter aux musiciens « portés aux nues » aujourd’hui, on ne peut complètement éluder la question : portés aux nues par qui ? Il n'y a pas de miracles en musique où la nécessité d'un apprentissage et de moyens de représentation et/ou d'enregistrement font que les grands musiciens ne passent pas inaperçus. Même s'ils ne sont pas prophètes en leur pays, ils le sont ailleurs (ou inversement) et leurs éclipses ne sont jamais totales.
On ne peut donc pas faire de liste d'inconnus devenus célèbres. Il n'y a pratiquement que des fluctuations dans la renommée et les musiciens qui sont aujourd'hui « portés aux nues » comme vous dites n'ont jamais été des inconnus. Voici tout de même une liste de raisons pour lesquelles des musiciens peuvent voir leur œuvre réévaluée.
Dans l’histoire de la musique un tournant se situe autour de l’année 1800, disons au début du XIXème siècle. Jusqu’alors les musiciens composaient de la musique pour la jouer immédiatement ; la part de l’interprète était beaucoup plus importante qu’aujourd’hui par rapport à celle du compositeur, ainsi, en musique baroque toute la basse continue était chiffrée et pas notée, l’instrumentation n’était pas toujours précisée. Pour la première exécution de l’œuvre, le compositeur était parmi les musiciens et il savait quoi leur demander. Ensuite, si l’œuvre était reprise ailleurs, on l’adaptait en fonction des possibilités du lieu et du moment et l’improvisation faisait partie des savoir-faire des musiciens. Cet usage immédiat de la composition a entraîné aussi que le nombre d’œuvres imprimées n’a représenté qu’une très faible partie de celles qui ont été composées. On en a donc « redécouvert » dans les bibliothèques et les musées quand on a voulu alimenter l’industrie du disque avec des œuvres anciennes. Mais pour les jouer, il a fallu faire tout un travail musicologique et ce travail est lui-même à l'origine du mouvement dit des « baroqueux » ou de la « H.I.P. » (historically informed performance). Bien entendu les premières recherches ont porté sur les compositeurs dont les noms étaient les plus connus ; vinrent ensuite des compositeurs dont les musicologes connaissaient le nom mais dont les œuvres n'étaient plus que très rarement représentées. Ce sont donc des œuvres qui ont été exhumées plus souvent que des compositeurs:généralement l'une ou l'autre de leurs œuvres était restée dans un répertoire.
On a tendance croire que Jean-Sébastien Bach a été « redécouvert » par Mendelssohn qui a dirigé une mémorable Passion Matthieu à Berlin en 1829. Il aurait été sous-estimé de son vivant (« Lorsqu’on ne peut pas avoir les meilleurs, il faut se contenter des médiocres » a écrit le Docteur Platz, conseiller municipal de Leipzig quand il faut engagé comme cantor en 1723; les meilleurs étaient Télémann et Graupner). Mais ce n'était que l'opinion d'un provincial ignorant, pas celle de ses pairs… Il aurait été oublié immédiatement après sa mort… mais son fils Carl-Philip-Emmanuel s’émerveillait qu’on aimât jouer et entendre la musique que son père avait composée près de 50 ans plus tôt. Mozart et Beethoven ont connu et joué au moins des œuvres pour clavier de Bach. Une grande biographie lui a été consacrée par Forkel en 1802 … La redécouverte de Bach par Mendelssohn est bien une légende. Néanmoins, on doit noter qu’un tiers des cantates d’église de JS Bach ont été perdues, que sur les 5 Passions que CPE Bach attribue à son père, seules 2 nous sont parvenues (une troisième a été reconstituée plus ou moins). Une grande partie des œuvres de « musique ancienne » a connu ce sort.
L'exemple de Vivaldi que vous citez n'est pas si probant : il semble que ses œuvres instrumentales furent régulièrement jouées ici ou là en Europe tandis que ses œuvres vocales, ses opéras notamment avaient disparu des mémoires, concurrencées il est vrai par une floraison de talents complètement différents en Italie et en Europe méridionale au début du XIXème siècle. Sa « redécouverte », toute relative donc suivit le processus général de redécouverte des œuvres de musique ancienne, les bibliothèques (notamment la Bibliothèque nationale de Turin qui a racheté une collection importante) jouant un rôle important.
A partir du XIXème siècle, le rapport entre interprète et compositeur s’inverse. Le compositeur écrit son œuvre dans tous ses détails et l’interprète est à son service (celui de l’œuvre entièrement écrite). Le compositeur n’est pas forcément instrumentiste ou chef d’orchestre (une fonction qui voit le jour). Ses œuvres peuvent être interprétées sans lui. Quoi qu’il en soit, on assiste à une institutionnalisation de la musique, avec ses conservatoires, ses concours ,… L'organisation des bibliothèques progresse aussi et les œuvres musicales majeures des XIXème siècle et du XXème siècle qui y dorment dans l'indifférence des musicologues n'y sont probablement pas nombreuses. Peut-être peut-on citer George Onslow (1784-1853) dont la musique de chambre fut exhumée par l'abbé Carl de Nys dans les années 1960 au moment où des ensembles de quatuors à cordes cherchaient à diversifier leur répertoire. Cet abbé, grand musicologue a fait d'autres redécouvertes, plutôt de musique qu'il n'appelait pas baroque, dont le Te Deum de Charpentier dont on reparlera.
Il existe en musique un phénomène comparable (bien que moins important) à la réévaluation des peintres « pompiers » du XIXème siècle : il a touché les maîtres des institutions musicales, professeurs de Conservatoire, jurés du prix de Rome ; citons Esprit Auber, célèbre pour ses opéras, dont la Muette de Porticci a été représentée plus de 500 fois à Paris au XIXème siècle, élu à l'Académie des Beaux-Arts en 1829, directeur des concerts de la Cour en 1839, directeur du Conservatoire en 1842, grans officier de la Légion d'honneur en 1861 ; Ambroise Thomas (1811-1896) prix de Rome en 1832 ; directeur du Conservatoire en 1871 et dont Emmanuel Chabrier aurait dit : « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas » ; Théodore Dubois (1837-1924), prix de Rome en 1861, membre de l’Académie des Beaux-Arts en 1894, directeur du Conservatoire en 1896. Il est toutefois peu probable que ces compositeurs soient un jour « portés aux nues ».
Dans les musiques dites actuelles, votre question se pose à peine ; la notion d'oubli devrait se compter en années et non en décennies et les mêmes qui n'ont pas été reconnus ou qui ont été oubliés ont pu connaître le succès un peu plus tard. On n'a pas le recul pour considérer les éclipses ou les découvertes posthumes.
Dans tous les cas, la faveur du grand public pour des œuvres oubliées tient à des phénomènes qui dépasse le cadre de la musique;
Le cinéma est un grand vecteur de renommée. A l'origine du succès (qui reste tout relatif) de Monsieur de Sainte Colombe et de celui (plus probant) de son élève Marin marais, le film d'Alain Corneau Tous les matins du monde. Sans preuve, nous pensons que livre de Pascal Quignard n'y aurait pas suffi. Le cinéma est à l'origine d'une autre résurrection fabuleuse (bien qu'ante mortem) celle de Sixto Rodriguez dont l'histoire est bien racontée dans cet article de Wikipedia.
On peut terminer en entonnant un Te Deum, celui de Marc-Antoine Charpentier, exhumé, on l'a vu par Carl De Nys et dont la vur est due à la télévision, puisqu'il donna sa musique au générique de l'Eurovision.
Si vous souhaitez aller plus loin. Tous les musiciens cités sont présents dans les collections de disques compacts de la Bibliothèque municipale de Lyon, au moins àla Bibliothèque de la Part-Dieu.
Nous vous invitons également à consulter le tome 2 de Musiques, l'encyclopédie de la musique parue chez Actes Sud avec le concours de la Cité de la Musique.
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