Réponse du département Sciences et TechniquesBonjour,
Comme l’indique l’ouvrage
Mots de table, mots de bouche : dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie de Claudine Brécourt-Villars (Stock, 1996), « le "baptême" des plats débute vers la fin du XVIIe siècle avec
Le cuisinier royal et bourgeois de Massaliot, pour se généraliser au XIXe siècle avec Antonín Carême et quelques successeurs comme Auguste Escoffier, dont
Le Guide culinaire publié en 1903 demeure la référence incontestée. S’il répond au besoin d’établir une légitime nomenclature « scientifique », il correspond tout autant au désir de conférer aux mets une vertu apéritive. Promesse de succulence, l’appellation a moins pour fonction de dévoiler que surprendre, de troubler, de faire rêver […]. Il s’agit tantôt de références historiques […], d’allusions au monde des arts, des lettres et de la gastronomie […], d’hommages au demi-monde […] ou de métaphores grivoises […], quand ce ne sont pas de simples régionalismes oubliés […]. » Il existe aussi un grand nombre de plats dont le nom provient d'un terme liturgique, d'un ordre religieux, d’une sœur ou d'un moine célèbre.
Mais attention, ce n’est pas parce que le mot
saint (ou
sainte) compose le nom d’un mets que celui-ci est nécessairement lié à la religion : en effet, bon nombre de mets tirent leur appellation de leur lieu de fabrication, tels la
brioche de Saint-Genix ou encore les
galettes Saint-Michel. C’est également le cas des fromages, comme le
Saint Marcellin, le
Saint Félicien, le
Saint Nectaire, ou encore le
Chaussée aux Moines… A noter que le
Saint Agur, fromage industriel, tire son nom d’un
saint fictif !
Ci-dessous, nous avons dressé une liste (non exhaustive) des produits, ingrédients ou mets dont le nom fait référence à la religion catholique.
NB : toutes les définitions sans mention de source sont issues du
Mots de table, mots de bouche : dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie de Claudine Brécourt-Villars (Stock, 1996)Mets dont le nom fait référence à un élément de la liturgie catholique :Cardinal : expression métaphorique qui viendrait de « cardinal des mers », nom donné au homard par l’écrivain Jules Janin (1804-1874), par allusion plaisante au changement de couleur de la carapace qui prend la teinte rouge vif de la robe des prélats au contact du bouillon.
Diable (ou à la diable) : formule appliquée au début du XIXe siècle aux volailles cuites au gril et servies avec une sauce très épicée, dite « diable » ou « à la diable », parce qu’elle a la réputation de provoquer ou de ramifier les ardeurs, autrement dit de donner le diable au corps.
Jésuite : petit gâteau feuilleté triangulaire, fourré de crème d’amande, enrobé de chocolat noir, probablement inventé au XVIIe siècle et ainsi nommé parce que sa forme et sa couleur évoquent l’ancien couvre-chef des jésuites, ordre de religieux fondé par Ignace de Loyola.
Tête de Moine : appelé ainsi car ce fromage rond, découpé en fleurons ou girolles, lui donne l’aspect d’une tonsure. (
Tête de Moine, sur Wikipédia)
Jésus de Lyon : ce saucisson ventru tirerait son nom du Jésus emmailloté dans ses langes, comme pouvaient l’être les nouveau-nés (
Pourquoi le saucisson "Jésus" a-t-il été baptisé ainsi ? question posée au Guichet du Savoir)
Coquille Saint-Jacques : doit son nom à l’habitude qu’avaient les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle de fixer sur leur vêtement ou leur chapeau une valve de ce coquillage… De ce fait on l’a aussi appelée « pèlerine ». (
Dictionnaire gourmand : du canard d'Apicius à la purée de Joël Robuchon / Marie-Hélène Baylac (Omnibus, 2014))
Poisson Saint-Pierre : de nombreuses légendes entourent le Saint-Pierre pour expliquer ces tâches. L’une d’elles, raconte que Saint Pierre, premier évêque de la chrétienté, aurait, sur ordre du Christ, attrapé le poisson pour retirer une pièce d’or que celui-ci avait dans la bouche et que l’empreinte de son pouce et de son index serait restée sur son corps et de génération en génération un gros point noir perdure sur chacun de ses flancs. Mais la mer de Galilée n’est pas un habitat pour ce poisson !
(
Le Saint-Pierre, sur le site Terroirs de Chefs)
Poire « Bon-Chrétien Williams » Comme souvent, les origines de cette variété sont incertaines. « Bon-Chrétien » doit son nom à François de Paule, un saint homme que Louis XI avait fait appeler sur son lit de mort pour le guérir. De Paule offrit au roi une semence de poirier de sa Calabre natale avec instructions de la planter et d’en prendre grand soin. Le poirier fut baptisé "Bon-Chrétien". (
Bon-Chrétien Williams, sur Wikipédia)
Figue « Couille du Pape » : son nom viendrait de l’époque où les papes séjournaient à Avignon et dont on vérifiait, lors de leur élection, la virilité en raison de la légende de la papesse Jeanne. (
Couille du Pape, sur Wikipédia)
Cheveux d'ange : spaghettis très fins ou dessert à base de filaments de sucre, en référence à la finesse supposée des cheveux d’anges.
Recettes élaborées à l'origine par des religieux :Les ordres religieux ont joué un grand rôle en gastronomie, que ce soit pour la confection de mets (desserts en particulier), d’alcools, de bières ou encore de fromages (le
Munster , l’
Époisses ou le
Brie de Meaux par exemple).
Chartreuse : dénomination attestée en 1814 dans
L’Art du cuisinier de Beauvilliers, qui s’applique à une entrée chaude inspirée par une recette élaborée par les moines de l’ordre des Chartreux au XIVe siècle, faite à l’origine de légumes (navets, carottes, choux, etc.) et caractérisée par un moulage décoratif. Recouvre actuellement des apprêts très divers de viande ou de poisson mais qui ne sont plus obligatoirement moulées.
Nonnette : diminutif de nonne, « religieuse », du bas latin
nonna, « nourrice », enregistré comme terme de pâtisserie par le
Dictionnaire Boiste en 1803. Petit pain d’épice moelleux, de forme ronde, glacé de sucre et fourré de confiture de pomme et d’orange, très en faveur au XVIIIe siècle, et ainsi dénommé parce qu’il était confectionné à l’origine dans les couvents de religieuses.
Pet-de-nonne : petit beignet en pâte à choux qui se présente sous la forme d’une boulette gonflée et dorée, qu’on sert chaud, poudré de sucre, avec un coulis de fruits. L’appellation est enregistrée par le
Dictionnaire de Trévoux en 1747, et indique métaphoriquement une « sorte de beignet soufflé, fort enflé », connu au Moyen Âge sous les noms de « beignet d’Espaigne », « beignet venteux » et « soupir-de-nonne », que le XVIIIe siècle appelait encore « pet de putain… » La légende lui donne pour créatrice involontaire une jeune nonne prénommée Agnès, de l’abbaye de Marmoutier, près de Vouvray, en Touraine, laquelle l’aurait découvert par hasard […] en laissant tomber malencontreusement une boule de pâte dans de la graisse bouillante.
Ursulines : dénomination attestée à la fin du XIXe siècle, appliquée à d’anciennes pâtisseries faites de pâte brisée sucrée, garnies de crème pâtissière aux amandes et inspirées par une recette élaborée par les religieuses de l’ordre de Sainte-Ursule, fondé en Italie au XVIe siècle, puis établi en France en 1611.
Visitandines : nom de différentes pâtisseries créées à l’origine par les Visitandines, ordre de religieuses fondé par François de Sales et sainte Jeanne de Chantal en 1610, consigné dans le
Dictionnaire de Trévoux en 1771 […]. Désigne en particulier un gâteau lorrain, rond ou en forme de barquette, confectionné avec des blancs d’œufs, de la poudre d’amandes, du beurre et du sucre.
Port Salut (fromage) : (appelé Saint Paulin dans sa version industrielle). Créé vers 1815 par les moines trappistes de l'abbaye du Port-du-Salut. (
Port-Salut, sur Wikipédia)
Pont-l'évêque (fromage) : un des plus anciens fromages de Normandie, dont l'appellation a pour origine géographique le bourg de Pont-l’Évêque dans le Calvados, où il est fabriqué. La recette aurait été conçue par des moines cisterciens au 12e siècle. (
Pont-l'évêque, sur Wikipédia)
Pour en savoir plus sur les mets confectionnés par les religieux, nous vous invitons à regarder le film
Les nourritures... du terrestre au spirituel, de Valérie Deschênes : de tout temps, les religieux ont cultivé la terre, récolté fruits et légumes, brassé la bière, confectionné des soupes et des pâtisseries pour nourrir la communauté et s'assurer une autonomie économique, mais aussi pour conserver un lien avec le monde extérieur. Ce film propose une promenade dans la France des abbayes et des monastères rythmée par le travail et la méditation.
Mets confectionnés à l’occasion de fêtes religieuses :Gâteau des rois : nom d’un gâteau symbolique confectionné pour l’Epiphanie, connu dès le Moyen Âge, et composé d’une pâte feuilletée ou d’un pâte levée dans laquelle on glisse traditionnellement une fève ou un petite figurine en porcelaine. (…) La célébration des rois connut diverses fortunes [de la Renaissance au XVIIIe siècle, devenant même] « anticivique » au lendemain de la Convention. Les sans-culottes la transformèrent en « fête de bon voisinage », rebaptisant le gâteau « gâteau de l’Egalité ». La Restauration tira à nouveau les Rois dans la plus pure tradition…
Oublie : terme vieilli, attesté au XIIe siècle sous la forme d’oublie, issu du latin ecclésiastique hostia oblata, « l’hostie offerte » dérivé de oublier, oubli, de l’ancien français oublée, « hostie ». Indique primitivement l’hostie non consacrée, puis, par extension, une pâtisserie légère roulée en cylindre, préparée comme le pain de l’autel, coloriée et primitivement ornée de signes religieux, que oublyeurs ou oublieux du Moyen Âge, qui formaient alors une corporation distincte de celle des pâtissiers, jouaient aux dés ou vendaient à la criée dans les rues et devant certaines églises.
Quatre-mendiants : dénomination toujours employée au pluriel, attestée en 1640 et officialisée par le Dictionnaire de l’Académie en 1694. Dessert qui se servait traditionnellement à Noël, composé d’un assortiment de quatre fruits secs : amandes, figues, noisettes et raisins de Malaga, par analogie de couleur avec la robe des quatre grands ordres mendiants (Dominicains, Franciscains, Carmes et Augustins) fondés au XIIIe siècle.
Osterlammele : mot alsacien qui signifie « petit agneau de Pâques ». C’est une pâtisserie traditionnelle d’Alsace en forme d’agneau pascal qui est offerte au matin du jour de Pâques. (
Osterlammele, sur Wikipédia)
Œufs de Pâques : quand l’Eglise interdisait leur consommation durant le Carême, les œufs étaient ou mis à couver pour donner des volailles ou gardés pour, Pâques venue, préparer gâteaux et tourtes pascales. Pour les conserver, on les plongeait dans de la cire ; parfois aussi, on les décorait pour les offrir : ils symbolisaient la résurrection du Christ. Ainsi, la coutume voulait qu’après la grand-messe, on apporte au roi des paniers d’œufs peints et dorés qu’il distribuait aux courtisans. Ce n’est cependant qu’à partir du XIXe siècle que se développa la tradition des œufs de Pâques en chocolat. On disait – et on dit encore aux enfants – qu’ils sont rapportés par les cloches qui sont parties à Rome le jeudi saint pour se faire bénir et qui reviennent. (
Dictionnaire gourmand : du canard d'Apicius à la purée de Joël Robuchon / Marie-Hélène Baylac (Omnibus, 2014))
Tourte pascale : les fêtes de Pâques étaient l’occasion de servir des gâteaux riches en œufs dont on s’était privé pendant le carême. On allait parfois jusqu’à les mettre entiers comme dans le
cacavellu corse, une brioche garnie d’œufs durs qu’on avait teinte en rouge ou en vert en les plongeant dans une décoction de plantes. (
Dictionnaire gourmand : du canard d'Apicius à la purée de Joël Robuchon / Marie-Hélène Baylac (Omnibus, 2014))
Citons aussi la
Pascaline d’agneau à la royale, recette d’agneau entier décrite par Alexandre Dumas dans son
Grand Dictionnaire de cuisine (1873) comme un mets aristocratique « venu directement des agapes des premiers chrétiens » et « servi le jour de Pâques en France jusque sous Louis XV ».
(
Dictionnaire gourmand : du canard d'Apicius à la purée de Joël Robuchon / Marie-Hélène Baylac (Omnibus, 2014))
Mets dont l'étymologie religieuse demeure incertaine :Saint-Honoré : nom d’un gâteau léger attesté en 1863, inventé au milieu du XIXème siècle par Auguste Jullien alors qu’il travaillait à la pâtisserie Chiboust, située rue Saint-Honoré, mais qu’on dit également dédié à saint Honoré, patron des boulangers et des pâtissiers.
Religieuse : nom d’origine obscure, spécialisé en pâtisserie au début du XXe siècle, appliqué à un gâteau individuel monté de deux choux superposés fourrés de crème pâtissière (ou au café, ou au chocolat), glacés au fondant et décorés de crème au beurre. On appelle aussi religieuse une grosse pièce de pâtisserie faite en pâte à choux et pâte sucrée, garnie de crème chiboust et glacée.
Sacristain : l'origine du terme est peut-être religieuse, ancienne et incertaine : la canne des sacristains était torsadée. (
Sacristain, sur Wikipédia ; voir aussi
cette question posée au Guichet du Savoir)
Feuillantine : petit gâteau rectangulaire de pâte feuilletée (ancêtre du millefeuille), attestée sous la forme de feuillantine dans
Le Patissier françois de La Varenne en 1653 et enregistrée sous son orthographe actuelle dans le
Dictionnaire Richelet en 1680. Son origine demeure obscure : certains y voient un jeu de mots avec feuilleter, d’autres, une allusion à la couleur blanche de la robe des feuillantines, ordre d’une congrégation de religieuses installées à Paris au début du XVIIe siècle, dont c’était la spécialité.
***Pour aller plus loin...•
Des mets, des mots, émois, dessous de table / Marie Motay (Nykta, 2005) •
Des recettes pas très catholiques / Prosper Codaque (Ed. de l'Epure, 2013) Un recueil humoristique de 22 recettes sucrées dont les noms évoquent la religion catholique : les seins de Vénus de l'abbé Mirak, l'abbé Bourin et son nougat au miel, les madeleines de sarrasin de sœur Madeleine-Eugénie, les pets de nonne de sœur Alix, ou encore la gaufre miraculeuse de sœur Marie...
• Vous pouvez retrouver
à cette adresse une liste (illustrée) de mets employant des termes liturgiques.
• Et enfin, testez vos connaissances en répondant à
ce quizz !Sur les liens entre nourriture et religions :•
A croire et à manger : religions et alimentation / sous la dir. de Aïda Kanafani-Zahar, Séverine Mathieu et Sophie Nizard (L'Harmattan, 2007)•
A la table des dieux / Jean-Robert Pitte (Fayard, 2009)•
Saveurs sacrées : recettes rituelles des fêtes religieuses / Stéphanie Schwartzbrod (Actes Sud, 2007) Un livre qui explore le calendrier et les menus de fêtes des trois grandes confessions monothéistes, depuis l'Épiphanie et sa galette (janvier) jusqu'au boregh d'Hanoucca (décembre), en passant par le hammentachen de Pourim, le couscous aux fèves de Pessah, la chorba du Ramadan, la mrouzia de l'Aïd el-Kebir, le poulet aux épices et aux olives de Kippour, la bûche de Noël...