Pourquoi les scriptes au cinéma sont souvent des femmes ?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 27/06/2016 à 06h19
513 vues
Question d'origine :
Pourquoi est-ce qu'au cinéma (en tout cas occidental ) le poste de scripte est presque toujours occupé par des femmes ?
Pourquoi ce métier est-il sexué ?
Merci !
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/06/2016 à 08h40
Bonjour,
Sur le plateau de tournage, la scripte seconde le réalisateur et le directeur de la photographie. Armée d'un bloc-notes, d'un appareil photo et d'un chronomètre, elle consigne tout ce qui se passe pendant le tournage. Elle veille ainsi à ce qu'aucune erreur de raccord ne soit commise dans les éléments du décor, les costumes...
source : Fiche métier scripte / Le Parisien étudiant
En France, il s'agit effectivement d'un métier quasi-exclusivement féminin comme on peut le constater à travers les statistiques du CNC : La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle.
Pour quelles raisons le métier de scripte est-il aussi féminisé ?
D'après les sources consultées, c'est parce qu'il s'apparenterait au métier de secrétaire et qu'il fait appel à des qualités jugées féminines.
L'article Documents (III) : Question de genre. Regards sur les femmes au travail dans le cinéma français des années trente de Priska Morrissey s'appuie sur des articles de presse des années 1930 et rappelle le caractère historique de cette féminisation du métier de scripte qui, aux États-Unis, s'appelle "sript-girl " :
Boisyvon, « le Cinéma est-il une carrière pour la femme ? », Mon Ciné, reproduit dans Chantecler Revue, n° 17, 8 septembre 1934, p. 1.
Il est encore, au studio, une situation qui tente quelques jeunes filles : script-girl. Ainsi nomme-t-on les jeunes filles qui, attachées à un metteur en scène, remplissent le poste de secrétaire volante chargée de suivre la prise de vues. Elles notent les heures de départ de chaque scène, le temps que durent les prises de vues, le costume de chaque artiste, et les anomalies de sa toilette, la position des acteurs quand ils se présentent ensemble dans le décor, métier intéressant, mais plein de responsabilités et qui ne peut être régulièrement assuré qu’après un assez long apprentissage comme seconde script-girl ou secrétaire. Une jeune fille bien entrainée gagne généralement 500 francs par semaine, mais les places sont rares et le travail n’est jamais assuré que pour un temps plus ou moins long.
Pierre Heuzé, « la Femme dans l’ombre de l’écran », Journal de la femme, n° 5, 10 décembre 1932, p. 7
Cette femme assise devant une petite table et qui feuillette avec agilité de gros dossiers : artiste ? – Non, la « script-girl ».
Il est juste que la mission de la « script-girl » soit confiée à une femme. Car il faut dans cet emploi une psychologie toute féminine… À la « script-girl » en effet, de tout voir, de tout noter :
Mais, monsieur Jean Murat, dans cette scène vous aviez ce sac à la main gauche…
Ou bien :
Vous n’avez pas le même nœud de cravate.
Aucun détail ne doit échapper à la « script-girl »… mémoire, œil vif sont les qualités qui lui sont indispensables.
Voici également ce qui est indiqué dans l'article de Gaudy Camille, intitulé « « Être une femme » sur un plateau de tournage », Ethnologie française 1/2008 (Vol. 38) , p. 107-117 :
Le métier de scripte tient visiblement une place particulière dans les professions du tournage. D’abord, il est celui qui s’approche au plus près de l’exclusivité féminine et cela parce que, d’après mes informateur(trice)s, plus d’une qualité « propre » aux femmes s’exprime pour exercer les fonctions de scripte : capacités d’observation, de précision, d’attention, de mémorisation et d’empathie . En d’autres termes, capacité à comprendre le réalisateur, à lui proposer des solutions appropriées à ses envies et à être à son écoute.
L’observation participante sur les tournages révèle une autre caractéristique de la scripte, à savoir une certaine capacité d’effacement. Incarnant la mémoire du tournage et représentant un repère central pour la fabrication du film, la scripte est souvent consultée par les réalisateur(trice)s, mais celles que j’ai observées se manifestaient en revanche très peu auprès de ces dernier(e)s. Elles se tenaient silencieuses et en retrait par rapport à l’équipe.
Parallèlement, la scripte représente pour les réalisateur(trice)s quelque chose de personnel en incarnant plus précisément leur mémoire, comme si elle faisait symboliquement partie de leur « esprit ». Son rôle est d’ailleurs à part sur le plateau car elle ne fait partie d’aucune équipe : elle ne fait équipe qu’avec les réalisateur(trice)s. Ceux d’entre eux que j’ai interrogés désignent la scripte comme l’un de leurs coéquipiers les plus proches et déclarent la choisir parmi des professionnels en qui ils ont confiance, qu’ils savent avoir les qualités décrites précédemment et qui leur sont proches (ils retravaillent souvent avec la même personne).
Ici, l’on commence à percevoir la relation privilégiée qui existe entre les réalisateur(trice)s et les scriptes, et c’est peut-être sur ce point que le métier de scripte tient sa place la plus particulière parmi les métiers du tournage. Les scriptes tiendraient en effet une place très « intime » pour les metteurs en scène en représentant, pour les réalisateurs surtout, une sorte d’« épaule de maman » (je n’ai interrogé qu’une seule réalisatrice, et lorsqu’elle a évoqué ce caractère intime de la scripte elle parlait davantage des réalisateurs que d’elle-même). Parmi ceux que j’ai questionnés, plusieurs décrivent la scripte par des termes qui évoquent le soutien et le secours, essentiels et rassurants. Elle semble ainsi chargée d’une dimension affective très forte : elle doit être capable d’apporter des conseils et des solutions, mais aussi un soutien moral . La scripte, et donc « la femme », incarne la confiance et la compréhension dont les réalisateur(trice)s disent avoir besoin. Le thème de l’intimité tient ici une place centrale.
Mes informateur(trice)s décrivent la relation intime comme une condition sine qua non de la collaboration entre scripte et réalisateur(trice) – de l’intérieur, le plateau ressemble d’ailleurs à une imbrication d’équipes plus ou moins proches.Cette nécessaire intimité, les stéréotypes associés à certaines qualités proclamées « féminines » (empathie, observation, etc.) et l’assimilation de la scripte à une « épaule de maman » font du métier de scripte un métier qui peut être facilement exercé par les femmes – rappelons encore une fois qu’il est quasi exclusivement féminin. Ses caractéristiques en font sans doute le métier qui permet l’accès le plus large au cinéma pour les femmes, avec celui d’actrice. Il représente à ce titre un moyen d’intégration privilégié des femmes dans le cinéma.
Ces stéréotypes sont dépassés dans d'autres pays :
En France, ce métier est essentiellement féminin et le scripte doit souvent s’imposer pour dépasser le préjugé commun de simple « secrétaire du réalisateur ». Sa fonction mal connue, notamment en Europe, en éloigne le plus souvent la gente masculine. En revanche, dans les pays Anglo-Saxons, les «continuity supervisor» ou «script supervisor» (en fiction...) - proche collaborateur et observateur du metteur en scène - sont le plus souvent des hommes, qui parfois deviennent eux-mêmes réalisateur.
source : LE MÉTIER DE SCRIPTE / Observatoire des métiers de l'audiovisuel (version pdf)
Pour en savoir plus sur le métier de scripte, vous pouvez consulter La Script Girl, livre écrit par Sylvette Baudrot et Isabel Salvini (Editions La Femis) et Scripte : pratique du métier en mono- et multicaméras de Catherine Coste.
Bonne journée.
Sur le plateau de tournage, la scripte seconde le réalisateur et le directeur de la photographie. Armée d'un bloc-notes, d'un appareil photo et d'un chronomètre, elle consigne tout ce qui se passe pendant le tournage. Elle veille ainsi à ce qu'aucune erreur de raccord ne soit commise dans les éléments du décor, les costumes...
source : Fiche métier scripte / Le Parisien étudiant
En France, il s'agit effectivement d'un métier quasi-exclusivement féminin comme on peut le constater à travers les statistiques du CNC : La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle.
Pour quelles raisons le métier de scripte est-il aussi féminisé ?
D'après les sources consultées, c'est parce qu'il s'apparenterait au métier de secrétaire et qu'il fait appel à des qualités jugées féminines.
L'article Documents (III) : Question de genre. Regards sur les femmes au travail dans le cinéma français des années trente de Priska Morrissey s'appuie sur des articles de presse des années 1930 et rappelle le caractère historique de cette féminisation du métier de scripte qui, aux États-Unis, s'appelle "sript-
Il est encore, au studio, une situation qui tente quelques jeunes filles : script-girl. Ainsi nomme-t-on les jeunes filles qui, attachées à un metteur en scène, remplissent le poste de secrétaire volante chargée de suivre la prise de vues. Elles notent les heures de départ de chaque scène, le temps que durent les prises de vues, le costume de chaque artiste, et les anomalies de sa toilette, la position des acteurs quand ils se présentent ensemble dans le décor, métier intéressant, mais plein de responsabilités et qui ne peut être régulièrement assuré qu’après un assez long apprentissage comme seconde script-girl ou secrétaire. Une jeune fille bien entrainée gagne généralement 500 francs par semaine, mais les places sont rares et le travail n’est jamais assuré que pour un temps plus ou moins long.
Cette femme assise devant une petite table et qui feuillette avec agilité de gros dossiers : artiste ? – Non, la « script-girl ».
Il est juste que la mission de la « script-girl » soit confiée à une femme. Car il faut dans cet emploi une psychologie toute féminine… À la « script-girl » en effet, de tout voir, de tout noter :
Mais, monsieur Jean Murat, dans cette scène vous aviez ce sac à la main gauche…
Ou bien :
Vous n’avez pas le même nœud de cravate.
Aucun détail ne doit échapper à la « script-girl »… mémoire, œil vif sont les qualités qui lui sont indispensables.
Voici également ce qui est indiqué dans l'article de Gaudy Camille, intitulé « « Être une femme » sur un plateau de tournage », Ethnologie française 1/2008 (Vol. 38) , p. 107-117 :
Le métier de scripte tient visiblement une place particulière dans les professions du tournage. D’abord, il est celui qui s’approche au plus près de l’exclusivité féminine et cela parce que, d’après mes informateur(trice)s, plus d’
L’observation participante sur les tournages révèle une autre caractéristique de la scripte, à savoir une certaine capacité d’effacement. Incarnant la mémoire du tournage et représentant un repère central pour la fabrication du film, la scripte est souvent consultée par les réalisateur(trice)s, mais celles que j’ai observées se manifestaient en revanche très peu auprès de ces dernier(e)s. Elles se tenaient silencieuses et en retrait par rapport à l’équipe.
Parallèlement, la scripte représente pour les réalisateur(trice)s quelque chose de personnel en incarnant plus précisément leur mémoire, comme si elle faisait symboliquement partie de leur « esprit ». Son rôle est d’ailleurs à part sur le plateau car elle ne fait partie d’aucune équipe : elle ne fait équipe qu’avec les réalisateur(trice)s. Ceux d’entre eux que j’ai interrogés désignent la scripte comme l’un de leurs coéquipiers les plus proches et déclarent la choisir parmi des professionnels en qui ils ont confiance, qu’ils savent avoir les qualités décrites précédemment et qui leur sont proches (ils retravaillent souvent avec la même personne).
Ici, l’on commence à percevoir la relation privilégiée qui existe entre les réalisateur(trice)s et les scriptes, et c’est peut-être sur ce point que le métier de scripte tient sa place la plus particulière parmi les métiers du tournage. Les scriptes tiendraient en effet une place très « intime » pour les metteurs en scène en représentant, pour les réalisateurs surtout, une sorte d’«
Mes informateur(trice)s décrivent la relation intime comme une condition sine qua non de la collaboration entre scripte et réalisateur(trice) – de l’intérieur, le plateau ressemble d’ailleurs à une imbrication d’équipes plus ou moins proches.
Ces stéréotypes sont dépassés dans d'autres pays :
En France, ce métier est essentiellement féminin et le scripte doit souvent s’imposer pour dépasser le préjugé commun de simple « secrétaire du réalisateur ». Sa fonction mal connue, notamment en Europe, en éloigne le plus souvent la gente masculine. En revanche, dans les pays Anglo-Saxons, les «continuity supervisor» ou «script supervisor» (en fiction...) - proche collaborateur et observateur du metteur en scène - sont le plus souvent des hommes, qui parfois deviennent eux-mêmes réalisateur.
source : LE MÉTIER DE SCRIPTE / Observatoire des métiers de l'audiovisuel (version pdf)
Pour en savoir plus sur le métier de scripte, vous pouvez consulter La Script Girl, livre écrit par Sylvette Baudrot et Isabel Salvini (Editions La Femis) et Scripte : pratique du métier en mono- et multicaméras de Catherine Coste.
Bonne journée.
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