Religion et criminalité aux États-Unis
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 27/09/2016 à 15h21
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Question d'origine :
Quelqu'un peux m'expliquer sans utiliser trop trop de théorie philosophique pourquoi les États-Unis est un pays extrêmement religieux et paradoxalement un des pays les plus dangereux du monde aux niveau de la criminalité?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 30/09/2016 à 08h55
Bonjour,
Comme le rappelle ce reportage de Vox : The state of violence in the US, explained in 18 charts, le taux de criminalité aux Etats-Unis n’est pas nécessairement plus élevé qu’ailleurs, mais cette criminalité est bien plus mortelle.
La différence est bien sûr liée à la législation sur le port d’arme, plus permissive aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Les armes à feu aux US font plus de morts que le sida, la drogue, les guerres et le terrorisme réunis…
Autorisé par le second amendement de la Constitution des Etats-Unis, le port d’arme est défendu par un lobby très puissant.
Pourquoi cette culture de l’arme à feu est-elle aussi ancrée dans ce pays ? Cet attachement doit probablement s’expliquer par son histoire :
Le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis de 1787 dit de manière très explicite que le droit au port d'armes est permis, mais dans le cadre d'une «milice». Au moment de la guerre d'Indépendance, les colons ont créé des milices qui sont devenues l'armée des États-Unis. Elles sont restées en place aujourd'hui sous la forme de la garde nationale des États. Si cette force militaire publique de réserve est accessible à tous, notamment le week-end, où l'on peut assister à des réunions, chacun peut ainsi posséder une arme en se revendiquant de celle-ci.
Depuis deux siècles, tout le monde se bat sur le sens à donner à ce texte constitutionnel. Les opposants au port d'arme expliquent depuis toujours qu'il y a une surinterprétation de cet amendement. En revanche, les pro-armes le prennent à la lettre en récupérant l'histoire américaine à leur compte: les colons se sont défendus par les armes contre les Britanniques, permettant la naissance des États-Unis. Ainsi, le port d'arme est devenu une démarche de défense dans la tradition américaine.
Source : «Aux États-Unis, l'arme à feu est un objet culturel», lefigaro.fr
Notons par ailleurs que tous les américains n’ont pas le même rapport aux armes à feu :
L'arme à feu est-elle un objet culturel aux États-Unis?
Absolument. Ça peut paraître impensable en France, mais il existe aux États-Unis des Gun Shows, des foires aux armes, où est présenté tout l'arsenal disponible sur le marché. On y va en famille, on essaye les fusils, puis on va s'entraîner avec ses enfants sur des champs de tir ; c'est un espace de sociabilité comme un autre. Aujourd'hui, même les plus banals catalogues de la grande distribution, envoyés dans les boîtes aux lettres américaines proposent des armes à la vente. Et ces derniers profitent d'une augmentation des ventes après chaque tuerie, comme celle de Newtown. Certains avancent l'argument que si le personnel de l'école Sandy Hook avait été armé, le massacre de jeunes enfants aurait pu être évité. On sait par ailleurs que la mère d'Adam Lanza, le tueur de Newtown, était férue d'armes et emmenait son fils dans ces «foires aux flingues».
Existe-t-il des divergences culturelles entre le nord et le sud des États-Unis?
Les armes sont présentes dans les régions urbaines du nord des États-Unis, mais elles sont principalement issues du phénomène des gangs. Et on ne retrouve pas le même type d'armes à New York, par exemple, que dans l'Arizona. La culture du fusil est beaucoup plus présente dans l'Ouest et dans le Sud. Prenez l'exemple de Barry Goldwater, grande figure du conservatisme américain, qui se montrait parfois avec une Winchester à la main, ou encore plus récemment la républicaine Sarah Palin. Les États du Sud sont toujours perçus comme en rébellion contre l'État fédéral, contre Washington. Les «sudistes» préfèrent faire confiance aux autorités locales et à l'autodéfense. Au nord, l'Américain urbain, le progressiste qui a voté Barack Obama, ne possède pas d'arme à feu. Il fait confiance, comme en France, aux autorités. Les Français sont assez fascinés par les armes, quand les Américains la banalisent. Nous associons leur usage à la chasse, où aux forces de police, mais nous n'imaginons pas en faire un usage personnel.
Source : «Aux États-Unis, l'arme à feu est un objet culturel», lefigaro.fr
Concernant la manière dont pensée religieuse et violence s’articulent aux Etats-Unis, nous pourrons difficilement vous fournir une explication « simple », toutefois vous trouverez une analyse très intéressante dans cet article de Jean-Michel Valantin : « Religion et stratégie aux États-Unis », Revue internationale et stratégique 1/2005 (N°57) , p. 103-114 (consultable sur Cairn).
En voici un extrait :
La façon dont est menée la guerre d'Irak révèle le rapport profondément singulier entretenu aux États-Unis entre un habitus collectif pénétré d'une religiosité et d'une mythologie très vivaces, et un rapport au réel qui favorise le recours à des formes de violence armée. La finalité de celle-ci doit être décodée : la violence armée doit servir à la fois à anéantir la volonté de résistance de l'adversaire, sinon l'adversaire lui-même, mais aussi à assurer le salut, non seulement matériel, mais aussi identitaire, voire spirituel, des soldats américains. La violence doit alors être strictement unilatérale : elle doit permettre de modifier, de changer le monde non américain, en empêchant toute interaction qui pourrait permettre un échange de violence, et donc des effets réciproques de modification. Cette complexité s'est installée dès les origines de la nation américaine.
Nous vous conseillons également la lecture de cet article sur la peine de mort et la religion aux Etats-Unis : Zambiras Ariane, « La mort à tout prix : les justifications de la peine capitale chez les croyants américains », Critique internationale 3/2009 (n° 44) , p. 35-50 (aussi consultable sur Cairn) :
Les États-Unis sont une république laïque. Le principe de la séparation des Églises et de l’État est inscrit dans le premier amendement à la Constitution adopté en 1791 et incorporé par la Cour suprême à la législation des États fédérés en 1947 (arrêt Everson v. Board of Education). Cependant, le terrain américain se caractérise par une organisation de la laïcité dans laquelle, contrairement à la tradition française, l’expression des attachements religieux déborde largement la sphère privée. Cette présence de l’esprit de religion dans la sphère publique américaine, et plus précisément politique, suscite chez de nombreux observateurs un sentiment de perplexité d’autant plus grand que la campagne présidentielle de 2008 et l’investiture du Président Barack Obama ont rappelé que cette visibilité de la religion n’était pas propre à un parti (républicain) ou à un président (George W. Bush). Dans une telle configuration, qui combine un appareil institutionnel laïque et des références religieuses omniprésentes, quelle est la capacité d’influence de l’esprit de religion sur l’imaginaire politique des Américains ? Cette contribution se propose de formuler quelques éléments de réponse. La tension entre l’esprit de religion et l’esprit de laïcité se manifeste dans de nombreux domaines aux États-Unis, en particulier dans tout ce qui a trait aux questions de vie et de mort. Nous avons retenu ici le débat sur la peine capitale parce que plusieurs dimensions essentielles de la vie politique américaine se cristallisent sur cette question : le rôle de la Cour suprême, l’orientation à donner aux politiques publiques de lutte contre la criminalité, la politisation croissante des questions de vie et de mort et l’activisme religieux autour de ces questions.
Bonne journée.
Comme le rappelle ce reportage de Vox : The state of violence in the US, explained in 18 charts, le taux de criminalité aux Etats-Unis n’est pas nécessairement plus élevé qu’ailleurs, mais cette criminalité est bien plus mortelle.
La différence est bien sûr liée à la législation sur le port d’arme, plus permissive aux Etats-Unis que dans les autres pays développés. Les armes à feu aux US font plus de morts que le sida, la drogue, les guerres et le terrorisme réunis…
Autorisé par le second amendement de la Constitution des Etats-Unis, le port d’arme est défendu par un lobby très puissant.
Pourquoi cette culture de l’arme à feu est-elle aussi ancrée dans ce pays ? Cet attachement doit probablement s’expliquer par son histoire :
Le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis de 1787 dit de manière très explicite que le droit au port d'armes est permis, mais dans le cadre d'une «milice». Au moment de la guerre d'Indépendance, les colons ont créé des milices qui sont devenues l'armée des États-Unis. Elles sont restées en place aujourd'hui sous la forme de la garde nationale des États. Si cette force militaire publique de réserve est accessible à tous, notamment le week-end, où l'on peut assister à des réunions, chacun peut ainsi posséder une arme en se revendiquant de celle-ci.
Depuis deux siècles, tout le monde se bat sur le sens à donner à ce texte constitutionnel. Les opposants au port d'arme expliquent depuis toujours qu'il y a une surinterprétation de cet amendement. En revanche, les pro-armes le prennent à la lettre en récupérant l'histoire américaine à leur compte: les colons se sont défendus par les armes contre les Britanniques, permettant la naissance des États-Unis. Ainsi, le port d'arme est devenu une démarche de défense dans la tradition américaine.
Source : «Aux États-Unis, l'arme à feu est un objet culturel», lefigaro.fr
Notons par ailleurs que tous les américains n’ont pas le même rapport aux armes à feu :
Absolument. Ça peut paraître impensable en France, mais il existe aux États-Unis des Gun Shows, des foires aux armes, où est présenté tout l'arsenal disponible sur le marché. On y va en famille, on essaye les fusils, puis on va s'entraîner avec ses enfants sur des champs de tir ; c'est un espace de sociabilité comme un autre. Aujourd'hui, même les plus banals catalogues de la grande distribution, envoyés dans les boîtes aux lettres américaines proposent des armes à la vente. Et ces derniers profitent d'une augmentation des ventes après chaque tuerie, comme celle de Newtown. Certains avancent l'argument que si le personnel de l'école Sandy Hook avait été armé, le massacre de jeunes enfants aurait pu être évité. On sait par ailleurs que la mère d'Adam Lanza, le tueur de Newtown, était férue d'armes et emmenait son fils dans ces «foires aux flingues».
Les armes sont présentes dans les régions urbaines du nord des États-Unis, mais elles sont principalement issues du phénomène des gangs. Et on ne retrouve pas le même type d'armes à New York, par exemple, que dans l'Arizona. La culture du fusil est beaucoup plus présente dans l'Ouest et dans le Sud. Prenez l'exemple de Barry Goldwater, grande figure du conservatisme américain, qui se montrait parfois avec une Winchester à la main, ou encore plus récemment la républicaine Sarah Palin. Les États du Sud sont toujours perçus comme en rébellion contre l'État fédéral, contre Washington. Les «sudistes» préfèrent faire confiance aux autorités locales et à l'autodéfense. Au nord, l'Américain urbain, le progressiste qui a voté Barack Obama, ne possède pas d'arme à feu. Il fait confiance, comme en France, aux autorités. Les Français sont assez fascinés par les armes, quand les Américains la banalisent. Nous associons leur usage à la chasse, où aux forces de police, mais nous n'imaginons pas en faire un usage personnel.
Source : «Aux États-Unis, l'arme à feu est un objet culturel», lefigaro.fr
Concernant la manière dont pensée religieuse et violence s’articulent aux Etats-Unis, nous pourrons difficilement vous fournir une explication « simple », toutefois vous trouverez une analyse très intéressante dans cet article de Jean-Michel Valantin : « Religion et stratégie aux États-Unis », Revue internationale et stratégique 1/2005 (N°57) , p. 103-114 (consultable sur Cairn).
En voici un extrait :
La façon dont est menée la guerre d'Irak révèle le rapport profondément singulier entretenu aux États-Unis entre un habitus collectif pénétré d'une religiosité et d'une mythologie très vivaces, et un rapport au réel qui favorise le recours à des formes de violence armée. La finalité de celle-ci doit être décodée : la violence armée doit servir à la fois à anéantir la volonté de résistance de l'adversaire, sinon l'adversaire lui-même, mais aussi à assurer le salut, non seulement matériel, mais aussi identitaire, voire spirituel, des soldats américains. La violence doit alors être strictement unilatérale : elle doit permettre de modifier, de changer le monde non américain, en empêchant toute interaction qui pourrait permettre un échange de violence, et donc des effets réciproques de modification. Cette complexité s'est installée dès les origines de la nation américaine.
Nous vous conseillons également la lecture de cet article sur la peine de mort et la religion aux Etats-Unis : Zambiras Ariane, « La mort à tout prix : les justifications de la peine capitale chez les croyants américains », Critique internationale 3/2009 (n° 44) , p. 35-50 (aussi consultable sur Cairn) :
Les États-Unis sont une république laïque. Le principe de la séparation des Églises et de l’État est inscrit dans le premier amendement à la Constitution adopté en 1791 et incorporé par la Cour suprême à la législation des États fédérés en 1947 (arrêt Everson v. Board of Education). Cependant, le terrain américain se caractérise par une organisation de la laïcité dans laquelle, contrairement à la tradition française, l’expression des attachements religieux déborde largement la sphère privée. Cette présence de l’esprit de religion dans la sphère publique américaine, et plus précisément politique, suscite chez de nombreux observateurs un sentiment de perplexité d’autant plus grand que la campagne présidentielle de 2008 et l’investiture du Président Barack Obama ont rappelé que cette visibilité de la religion n’était pas propre à un parti (républicain) ou à un président (George W. Bush). Dans une telle configuration, qui combine un appareil institutionnel laïque et des références religieuses omniprésentes, quelle est la capacité d’influence de l’esprit de religion sur l’imaginaire politique des Américains ? Cette contribution se propose de formuler quelques éléments de réponse. La tension entre l’esprit de religion et l’esprit de laïcité se manifeste dans de nombreux domaines aux États-Unis, en particulier dans tout ce qui a trait aux questions de vie et de mort. Nous avons retenu ici le débat sur la peine capitale parce que plusieurs dimensions essentielles de la vie politique américaine se cristallisent sur cette question : le rôle de la Cour suprême, l’orientation à donner aux politiques publiques de lutte contre la criminalité, la politisation croissante des questions de vie et de mort et l’activisme religieux autour de ces questions.
Bonne journée.
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