UNE RAISON SYSTEMATIQUE DANS LES PEINTURES
ARTS ET LOISIRS
+ DE 2 ANS
Le 08/02/2016 à 14h10
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Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi est-ce que pour chaque toile, peinture et autre, les historiens cherchent absolument à ce qu'il y est une signification de chaque détail, à chaque fois ?? Quand on visite un musée ou un site avec un guide, y a toujours la bonne vieille phrase : "ici, nous supposons que l'artiste a voulu représenté...". Je prend l'exemple de l'huile au château de Chambord, représentant le Camp du drap d'or. En haut, à gauche, il y a une dragon ailé. Pourquoi essayer de savoir qui ou quoi, l'artiste a voulu représenter ? Est-ce qu'il n'aurait pas tout simplement juste voulu dessiner un dragon pour remplir ce trou dans son oeuvre sans que ça veuille dire quoique que ce soit ? Idem, au musée des beaux arts à Rouen, mais je ne sais plus le nom de la peinture ou il y a un griffon, et j'ai eu de nouveau le droit à cette phrase de "on suppose que...". Pourquoi passer des décennies à deviner à quoi pensait l'artiste, sans trouver de réponses ? Car au final, il n'y a peut-être rien de caché, juste une envie de dessiner le 1er truc qui lui passait par la tête ?
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 13/02/2016 à 15h42
Nous vous prions de nous excuser pour le léger retard de notre réponse.
Si nous l’avons bien cerné, votre question reviendrait à s’interroger sur les questions du sens et de l’interprétation d’une œuvre et par extension sur l’intention de l’artiste.
En somme, l’œuvre d’art veut-elle toujours dire quelque chose ?
L’œuvre d’art est-elle toujours porteuse d’interprétation(s) ?
L’artiste donne-t-il toujours quelque chose à comprendre ?
Ces problématiques ont largement été couvertes et explorées par les théoriciens de l’art, des historiens...Elles mobilisent des champs comme les sciences cognitives, la sémiotique, la philosophie, l'histoire…Elles sont complexes car elles touchent à la nature et à la définition même d’une œuvre d’art. Plusieurs visions de ces questions coexistent. Nous avons fait état ici des approches les plus récurrentes.
Bibliographie :
L'art comme communication par Jean Paul Doguet
Formes de l’intention de M. Baxandall
La transfiguration du banal d’A. Danto
L'art comme expérience de J. Dewey
Phénoménologie de l’expérience esthétique de M. Dufrenne
Ecrits sur le signe de CH.S Pierce
Principes fondamentaux de l’histoire de l’art de H.Wolfflin
« Tout art est message. Il peut s’adresser à une collectivité plus ou moins étendue, aux connaissances variables en fonction de l’appartenance à un même groupe ou à un groupe différent, en fonction aussi de l’âge, du sexe, des degrés d’initiation, du rôle social et de bien d’autres paramètres. Il peut adresser un avertissement ou formuler un interdit. Il peut aussi raconter une histoire, profane ou sacrée, ou n’avoir d’autre sens que la manifestation ou l’affirmation d’une présence (graffiti). Parfois, il ne s’adresse pas aux hommes mais à la (ou aux) divinité(s) et il s’efforce d’établir un lien avec le monde surnaturel. »
Jean Clottes
La première phrase de cet article de Jean Clottes, figure majeure de l’histoire de l’art préhistorique, traduit l’idée que le dragon ailé sur l’œuvre du Château de Chambord dont vous parlez, fut réalisée en vue d’un message et donc selon une intention précise. Une œuvre d’art est le fruit d’un sujet pensant qui ressent et réalise un travail qui suppose qu’il y ait eu des intentions. Dans L'oeuvre d'art et ses intentions , Alessandro Pignocchi estime que nous ne pouvons pas comprendre nos relations aux œuvres d’art sans s’interroger sur les intentions de l’artiste.
L’œuvre d’art signifie donc quelque chose. Du point du vue du récepteur, il y aurait donc bien quelque chose à comprendre.
A ce titre, la démarche des théoriciens de l’art, des chercheurs, des historiens des conservateur s’inscrivant dans une interprétation herméneutique de l’œuvre d’art (ce qu'elle veut dire, la signification dont elle est porteuse) est alors parfaitement justifiable. La démarche de ces chercheurs est scientifique dans le sens où elle se base sur des documents originaux pour lire et interpréter les œuvres. Ces documents peuvent être des sources littéraires, comme des correspondances, des documents administratifs, des essais d’artistes. L’emploi du conditionnel est de rigueur dans la mesure où les recherches sur des artistes évoluent sans cesse. Une monographie sur Ingres par exemple des années 1970 ne contiendra pas les mêmes éléments qu’une monographie des années 2000. Des chercheurs, conservateurs, historiens, ont éclairés de nouveaux aspects de l’œuvre du peintre, notamment les attributions, la technique, les motifs iconographiques récurrents. C’est par une patiente et méthodique analyse de l’œuvre, par recoupement et recontextualisation, analyse de détails, que les spécialistes peuvent fournir une interprétation rendant compte de l’unité de l’intention de l’artiste. On peut réaliser alors que ce n’est pas un « hasard » ou une fantaisie qu’un dragon a été dessiné sur tel tableau. Au sujet des détails, nous vous conseillons de lire Le détail de Daniel Arasse.
D’autre part, l’art, et la peinture en particulier, peut traduire des cadres, des normes, des codes, assumés ou non, induits par l’époque dans laquelle elle évolue ou hérités comme le précise Marcus Lodwick dan son ouvrage : « Pendant des siècles, les peintres ont puisé leur inspiration dans deux traditions, la mythologie gréco-latine et la Bible. » .A chaque époque, les œuvres des artistes étaient en partie façonnées par des sources extérieures, notamment littéraires.
Par exemple, pendant l’Antiquité, la veine iconographique des vases à figures rouges ou à figures noires étaient directement inspirées par la veine littéraire des récits mythologiques. Leurs latitudes personnelles, ce qu’ils pouvaient ajouter de façon personnel, se résumaient à l’interprétation de ces mythes: la composition des formes plastiques. Pendant la Renaissance italienne, les artistes puisaient leurs motifs iconographiques dans un nombre restreints de livres, comme le mentionne l’ouvrage de Guy de Tervarent "Attribut et symboles dans l’Art Profane" . Là encore, les peintres avaient un programme déterminé. A part le choix des modèles, tout était très codifié. Selon le théoricien A.Danto, cette connaissance des œuvres via les théoriciens conditionnerait la définition même de l’œuvre d’art : « Ces choses ne seraient pas des œuvres d’art sans les théories et les histoires du monde de l’art. ». Cette analyse condamne l’idée qu’il pourrait exister un jugement esthétique autonome ayant vocation à l’universalité, puisque la reconnaissance de l’œuvre d’art n’exige que l’identification de critères définis par des spécialistes, indépendamment de toute appréciation portant sur l’objet.
Certains théoriciens pensent cependant qu’une œuvre s’exprime par elle-même, sans que l’on ait besoin de re/chercher les intentions de l’artiste. Il est question alors de connaissance, d’appréhension de l’œuvre par le ressenti, par l’émotionnel et plus seulement par un raisonnement herméneutique. L’approche de l’œuvre est une approche esthétique autonome.
C’est ce qu’explique Sean Hall, dans son ouvrage « Comment les images font signe » : « Comment le message est-il compris ? Les signes peuvent se diviser en deux grandes catégories : ceux qui s’adressent à notre versant rationnel (notre « cognitif ») et ceux qui s’adressent à notre versant émotionnel (notre « non-cognitif »). ». Vous pouvez donc penser naturellement que ce dragon est là sans autre but que lui-même et que sa raison d’exister dans l’œuvre tient seulement à faire vibrer la corde de l’âme, c’est-à-dire l’émotion du spectateur. C’est en substance l’approche de Wassily Kandinsky dans Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier.
Enfin, d’autres théoriciens estiment que l’artiste n’a d’autre message à délivrer que celui que le spectateur va s’approprier. ’interprétation peut être appropriation de l’intention. « Il n’y a pas de vrai sens d’un texte. Pas d’autorité de l’auteur. Quoiqu’il ait voulu dire, il a écrit ce qu’il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens ; il n’est pas sûr que le constructeur en use mieux qu’un autre. »Paul Valery à propos de son poème le Cimetierre.
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