Question d'origine :
Bonsoir,
J'admire beaucoup La Jeune Parque de Paul Valéry et m'interroge sur les raisons qui l'ont condamnée à l'oubli tant je vois en elle un chef-d’œuvre de perfection formelle.
Je sais que la poésie métrique paraît désuète, dépassée après la Seconde Guerre Mondiale, dans un contexte de globalisation, etc. Mais après tout, certains recueils, certains poèmes sont encore étudiés. Celui-là non.
Peu d'études universitaires à son sujet (et j'ai lu les livres de Florence de Lussy, Maurice Bémol et Octave Nadal sur La Jeune Parque et sa genèse ; mais rien n'est mentionné sur sa postérité...)
Je sais son succès considérable du vivant de l'auteur pour avoir également lu le livre de Benoît Peeters, Tenter de vivre.
Mais aucune adaptation... si ce n'est une pièce de théâtre d'un certain J. P. Rossfelder, mais internet ne dit rien à ce sujet ; un pastiche, La Jeune Carpe, de Miomandre, ami de Valéry, mais encore une fois rien si ce n'est un article dans Libération.
Tout porte à croire que la sentence d'Yves Bonnefoy "il faut oublier Valéry" fut effective... Mais je m'y refuse !
Excusez-moi de la longueur, mais je voulais vous montrer à quel point j'ai déjà fouillé, et à quel point je suis toujours désespéré.
Je vous remercie d'avance,
AC.
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 30/03/2016 à 07h23
Bonjour,
Et comme nous vous comprenons !
La Jeune Parque, vaste poème de 512 alexandrins et somme autobiographique en vers, marque le grand retour de Valéry à la poésie, après vingt-cinq ans de silence.
Valéry le dédiera du reste « À André Gide / Depuis bien des années, j’avais laissé l’art des vers ; essayant de m’y astreindre encore, j’ai fait cet exercice, que je te dédie.(1917) ».
Gaston Gallimard veillera, en éditeur attentif, à l'édition de cette luxueuse plaquette tirée à six cent exemplaires.
La Jeune Parque est achevée d’imprimé le 28 avril (datée du 30). Le 29, Fargue la lit chez Arthur Fontaine, où elle reçoit un accueil triomphal, redoublé par un article de Paul Souday dans la revue Le Temps. On la reconnaît partout comme un fruit patiemment obtenu de l’effort de guerre, telle que le fut en partie À la Recherche du temps perdu.
Valéry est malgré lui hissé au rang de poète national. La gloire de son ouvrage à l’obscurité légendaire s’étend vite à l’étranger, où il rencontre les faveurs à la fois de Eliot, Conrad ou Rilke.
Comment s’expliquer alors que cette œuvre soit tombée dans l’oubli ?
De nombreuses voix ont jugé le texte désuet face aux chefs-d’œuvre pré-surréalistes de la même époque. De plus, avec le grand succès rencontré par sa poésie, Paul Valéry va devenir une sorte de poète « officiel » que les pouvoirs publics vont littéralement noyer sous les honneurs. Il sera, tour à tour, Président du Pen Club, élu à l’Académie française, membre du conseil des musées nationaux, administrateur du centre universitaire méditerranéen de Nice, président de la chaire de poétique au Collège de France, président d’honneur de la SACEM, …
Sa notoriété a sans doute éclipsé paradoxalement son œuvre.
Il n’empêche et soyez-en rassuré : La Jeune Parque continue souterrainement d’influencer certains grands poètes contemporains. Quelque chose d’elle a passé chez Réda, et plus encore chez Pierre Oster — seul d’entre tous peut-être à en prolonger aujourd’hui non seulement l’accent, mais aussi un certain héroïsme formel et spirituel à rebours de son temps.
Voilà aussi pourquoi il importe de lire La jeune Parque à haute voix, pour s'imprégner de cette beauté classique qui en fait un joyau de la langue française, comme le furent, au dix-septième siècle, les sermons de Bossuet.
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