Expérience nouveaux-nés : réalité ou légende ?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 21/07/2020 à 18h25
7870 vues
Question d'origine :
Je cherche à savoir si une expérience qu'on cite souvent est réelle ou imaginée.
Il s'agirait d'une expérience au cours de laquelle aurait été testée l'importance de l'affection dans l'éducation.
Dans un orphelinat, on aurait divisé des bébés en deux groupes :
- on aurait élevé les premiers en les entourant de soins affectifs
- les seconds, eux, auraient été seulement nourris et changés, mais sans aucun soin affectif
Les seconds seraient quasiment tous mort, ce qui "prouverait" que l'affection st vitale dans le développement de l'être humain.
Bébés, orphelinats, morts : je remarque des ingrédients propices aux légendes urbaines.
J'ai fait des recherches mais ne tombe que sur deux expériences :
- l'une de Frédéric de Hohenstaufen qui "aurait" cherché (là encore je demande votre expertise) à connaitre l'origine des langues. Il aurait ainsi fait élever 6 bébés dans l'isolement total, sans qu'on leur parle. Les nourrissons seraient tous morts :
https://secouchermoinsbete.fr/27937-lex ... henstaufen
- l'autre de René Spitz, dans les années 40, qui aurait fait élever des bébés, dans un mode de carence affective. Ces enfants auraient eu un développement altéré (position debout plus tard, etc) :
https://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsu ... leu06.html
Pouvez-vous m'aider à faire le point s'il vous plait ?
Merci et bel été à toute l'équipe.
/Stéphane
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 23/07/2020 à 11h38
Bonjour,
L’expérience menée au XIIIe siècle par Frédéric II de Hohenstaufen est une histoire largement relayée. D’après le psychologue Jean-Luc Aubert, l’histoire nous vient des chroniques d’un moine fransiscain, le frère Salimbene d’Adam.
« Selon ce que raconte la Chronique de Salimbene de Adam, franciscain de Parme (1221-1288), après avoir réuni un nombre considérable de nouveau-nés encore allaités, et apparemment tous orphelins, le roi ordonna aux gouvernantes et aux nourrices qu’elles allaitent les enfants, les soignent, les baignent, qu’elles s’en occupent avec soin, mais sans jamais donner aucune caresse ni même leur adresser la parole. Le but ultime d’une de telle "expérience" était de connaître l'origine du langage naturel chez l'homme : savoir si la première langue était la langue grecque, latine, juive, arabe ou la langue maternelle employée par les parents de ces enfants.
Selon la Chronique, le résultat fut, qu’avec le temps, les enfants n'ont commencé à parler aucune langue, la langue de Dieu n'a pas émergé, et incapables de vivre sans le contact humain avec les nourrices, ils sont morts un à un durant leur enfance.
Bien que triste, cette histoire nous montre la préoccupation, à une époque aussi lointaine qu’au tout début du XIIIe siècle, pour le développement du langage chez l'être humain, et non pour les questions relatives à la Langue de Dieu, lesquelles étaient fréquentes en ce temps-là. Sans aucun contact, et sans stimulation, conditionnement ni formation, le développement du langage n’est pas possible.
L’étape, appelée prélinguistique, s’est trouvé tronquée chez ces enfants, parce que l’Espace de relation —c'est-à-dire la réciprocité fondamentale entre l'émetteur et l'auditeur pour le développement des ‘précurseurs’ du langage chez les humains— n’a pas eu lieu. On comprendra bien sûr que la deuxième étape, appelée l’étape linguistique, n'est jamais parvenue à se développer. »
Source : À la recherche de la langue maternelle, au XIIIe siècle, Enrique Pato
Un article disponible dans Persée, A la recherche de la langue originelle : le témoignage du nourrisson (Moshe Idel, Revue de l'histoire des religions Année 1996 213-4 pp. 415-442) nous fournit la référence exacte des chroniques : Cronica Fratris Salimbene, Monumenta Germanicae Historiae, t. XXXII, p.350.
Concernant les observations menées par René Spitz, voici quelques précisions que nous trouvons dans diverses sources :
« La définition de l’hospitalisme par Spitz
En 1946, René Spitz observe, avec Katherine Wolf, 123 nourrissons, âgés de 12 à 18 mois, de mères célibataires en prison (Spitz, 1947, p. 22). Faisant suite à d’autres publications américaines d’avant-guerre, il décrit la « dépression anaclitique » (carence affective partielle) chez ces enfants séparés pendant le deuxième semestre de vie. Quand la séparation se prolonge, on observe une évolution vers un état de marasme, physique et psychique, que Spitz appelle « hospitalisme » (carence affective totale). La mort survient alors chez plus d’un tiers des enfants. La diffusion de ces travaux va permettre des améliorations dans la prise en charge des enfants en orphelinat ou en institution. »
Source : Rousseau, Daniel, et Philippe Duverger. « L'hospitalisme à domicile », Enfances & Psy, vol. 50, no. 1, 2011, pp. 127-137.
« hospitalisme
Cet article est extrait de l'ouvrage « Larousse Médical ».
Altération du développement psychomoteur chez le très jeune enfant, provoquée par un placement prolongé en institution (établissement de cure, hôpital, crèche, etc.) ou par une carence affective grave.
L'hospitalisme a été décrit par le psychiatre américain René A. Spitz en 1945. Comparant un groupe d'enfants élevés en prison par leur mère et un groupe d'enfants élevés en orphelinat, il constata que ces derniers, privés du contact maternel, finissaient par présenter des signes de dépression : tristesse, agitation, mouvements stéréotypés, anorexie, insomnie puis retard de croissance et difficultés scolaires, enfin épuisement général. Cependant, si l'enfant peut bénéficier à temps d'un substitut maternel, ces troubles régressent.
À l'autre extrémité de la vie, un sujet âgé peut, à l'occasion d'une hospitalisation, qui le sépare de son environnement et de ses habitudes matérielles et affectives, être victime des mêmes troubles (dépression, anorexie, insomnie), souvent appelés syndrome de glissement et qui demandent une prise en charge énergique, tant physique que psychologique, par l'équipe de soins. »
Source : Encyclopédie Larousse
« L’hospitalisme était très fréquent dans les pouponnières de la France d'après-guerre. La solitude rendait les jeunes enfants malades, ils dépérissaient peu à peu, tant physiquement que psychiquement.
L'enfant en carence affective passe par différentes étapes : le premier mois de séparation, il pleure, crie et cherche le contact. Le deuxième mois, il dort mal, perd du poids, sa croissance est ralentie. Le troisième mois, il semble détaché, indifférent et ne témoigne plus aucun intérêt ni pour les personnes ni pour le monde extérieur.
A l'époque, la psychologie des enfants n'était pas d'actualité. On pensait que leur comportement était dû à leur hérédité : parents alcooliques, syphilitiques ou pourquoi pas attardés de génération en génération. Ces explications ont été balayées par la découverte de l'hospitalisme, que l'on doit notamment à René Arped Spitz, un psychanalyste d'origine hongroise.
Après les psychologues, les scientifiques ont étudié ce syndrome et mis en évidence que l'hospitalisme était réversible. Quand l'enfant retrouve une stabilité affective, il va mieux. »
Source : allodocteurs.fr
L’article de René Spitz La perte de la mère par le nourrisson fournit les références de l’étude qu’il a publiée sur l’hospitalisme :
- Spitz (R.A.). – Hospitalism. The Psychoanalytic Study of the Child, I, 1945. International Universities Press.
- Spitz (R.A.). – Hospitalism, a follow up. The Psychoanalytic Study of the Child, II, 1946. New-York, International Universities Press.
En creusant de ce côté vous trouverez d’autres études qui ont été menées dans la première moitié du XXe siècle. Un document de 1962 publié par l’OMS sur la carence de soins maternels cite notamment les travaux suivants, ayant précédé ceux de Spitz :
« Depuis la fin du siècle dernier, les milieux scientifiques ont pris conscience des effets délétères que le placement précoce dans une institution peut avoir sur le développement affectif de l'enfant. La connaissance intuitive de ces risques existait d'ailleurs depuis fort longtemps chez bien des gens et s'était exprimée notamment dans les œuvres d'écrivains ouverts à ce genre de problèmes, par exemple chez Charlotte BrontëY La littérature pédiatrique fut la première à rendre compte systématiquement de cette prise de conscience avec la publication, en 1908, des observations de Chapin sur des enfants « atrophiques » qui avaient été élevés en institution pendant de longues périodes. Un peu plus tard, d'autres travaux sur les questions de bien-être social et d'éducation vinrent enrichir nos connaissances en la matière, par exemple les études de Theis en 1924 et d'Aichhorn en 1925. Cependant, il fallut attendre la fin des années 30 pour voir ces problèmes abordés dans la littérature psychiatrique et psychologique. Des observateurs comme Powdermaker et Levy, suivis de Lowrey, Bowlby, Bender, Goldfarb et d'autres s'employèrent alors à donner une description plus précise des effets du placement précoce, frappés qu'ils étaient par l'incapacité des enfants ayant subi une telle épreuve à nouer par la suite des liens affectifs chaleureux et durables. Les travaux de Goldfarb comprenaient des études contrôlées sur les effets à long terme du placement précoce en institution et du placement familial, le premier entraînant chez l'enfant des troubles beaucoup plus marqués. Ces recherches et d'autres encore furent évidemment stimulées par la diffusion des idées que Sigmund Freud avait formulées quelques années plus tôt au sujet de l'importance des expériences de la première enfance sur le développement ultérieur de la personnalité. Au début des années 40, un certain nombre d'études importantes sont alors entreprises dans ce domaine. Burlingham & Freud, de même qu 'Edelston, s'intéressent aux effets souvent perturbateurs observés chez de jeunes enfants qui ont été séparés de leur mère du fait des hostilités. »
Bonne journée.
L’expérience menée au XIIIe siècle par Frédéric II de Hohenstaufen est une histoire largement relayée. D’après le psychologue Jean-Luc Aubert, l’histoire nous vient des chroniques d’un moine fransiscain, le frère Salimbene d’Adam.
« Selon ce que raconte la Chronique de Salimbene de Adam, franciscain de Parme (1221-1288), après avoir réuni un nombre considérable de nouveau-nés encore allaités, et apparemment tous orphelins, le roi ordonna aux gouvernantes et aux nourrices qu’elles allaitent les enfants, les soignent, les baignent, qu’elles s’en occupent avec soin, mais sans jamais donner aucune caresse ni même leur adresser la parole. Le but ultime d’une de telle "expérience" était de connaître l'origine du langage naturel chez l'homme : savoir si la première langue était la langue grecque, latine, juive, arabe ou la langue maternelle employée par les parents de ces enfants.
Selon la Chronique, le résultat fut, qu’avec le temps, les enfants n'ont commencé à parler aucune langue, la langue de Dieu n'a pas émergé, et incapables de vivre sans le contact humain avec les nourrices, ils sont morts un à un durant leur enfance.
Bien que triste, cette histoire nous montre la préoccupation, à une époque aussi lointaine qu’au tout début du XIIIe siècle, pour le développement du langage chez l'être humain, et non pour les questions relatives à la Langue de Dieu, lesquelles étaient fréquentes en ce temps-là. Sans aucun contact, et sans stimulation, conditionnement ni formation, le développement du langage n’est pas possible.
L’étape, appelée prélinguistique, s’est trouvé tronquée chez ces enfants, parce que l’Espace de relation —c'est-à-dire la réciprocité fondamentale entre l'émetteur et l'auditeur pour le développement des ‘précurseurs’ du langage chez les humains— n’a pas eu lieu. On comprendra bien sûr que la deuxième étape, appelée l’étape linguistique, n'est jamais parvenue à se développer. »
Source : À la recherche de la langue maternelle, au XIIIe siècle, Enrique Pato
Un article disponible dans Persée, A la recherche de la langue originelle : le témoignage du nourrisson (Moshe Idel, Revue de l'histoire des religions Année 1996 213-4 pp. 415-442) nous fournit la référence exacte des chroniques : Cronica Fratris Salimbene, Monumenta Germanicae Historiae, t. XXXII, p.350.
Concernant les observations menées par René Spitz, voici quelques précisions que nous trouvons dans diverses sources :
« La définition de l’hospitalisme par Spitz
En 1946, René Spitz observe, avec Katherine Wolf, 123 nourrissons, âgés de 12 à 18 mois, de mères célibataires en prison (Spitz, 1947, p. 22). Faisant suite à d’autres publications américaines d’avant-guerre, il décrit la « dépression anaclitique » (carence affective partielle) chez ces enfants séparés pendant le deuxième semestre de vie. Quand la séparation se prolonge, on observe une évolution vers un état de marasme, physique et psychique, que Spitz appelle « hospitalisme » (carence affective totale). La mort survient alors chez plus d’un tiers des enfants. La diffusion de ces travaux va permettre des améliorations dans la prise en charge des enfants en orphelinat ou en institution. »
Source : Rousseau, Daniel, et Philippe Duverger. « L'hospitalisme à domicile », Enfances & Psy, vol. 50, no. 1, 2011, pp. 127-137.
« hospitalisme
Cet article est extrait de l'ouvrage « Larousse Médical ».
Altération du développement psychomoteur chez le très jeune enfant, provoquée par un placement prolongé en institution (établissement de cure, hôpital, crèche, etc.) ou par une carence affective grave.
L'hospitalisme a été décrit par le psychiatre américain René A. Spitz en 1945. Comparant un groupe d'enfants élevés en prison par leur mère et un groupe d'enfants élevés en orphelinat, il constata que ces derniers, privés du contact maternel, finissaient par présenter des signes de dépression : tristesse, agitation, mouvements stéréotypés, anorexie, insomnie puis retard de croissance et difficultés scolaires, enfin épuisement général. Cependant, si l'enfant peut bénéficier à temps d'un substitut maternel, ces troubles régressent.
À l'autre extrémité de la vie, un sujet âgé peut, à l'occasion d'une hospitalisation, qui le sépare de son environnement et de ses habitudes matérielles et affectives, être victime des mêmes troubles (dépression, anorexie, insomnie), souvent appelés syndrome de glissement et qui demandent une prise en charge énergique, tant physique que psychologique, par l'équipe de soins. »
Source : Encyclopédie Larousse
« L’hospitalisme était très fréquent dans les pouponnières de la France d'après-guerre. La solitude rendait les jeunes enfants malades, ils dépérissaient peu à peu, tant physiquement que psychiquement.
L'enfant en carence affective passe par différentes étapes : le premier mois de séparation, il pleure, crie et cherche le contact. Le deuxième mois, il dort mal, perd du poids, sa croissance est ralentie. Le troisième mois, il semble détaché, indifférent et ne témoigne plus aucun intérêt ni pour les personnes ni pour le monde extérieur.
A l'époque, la psychologie des enfants n'était pas d'actualité. On pensait que leur comportement était dû à leur hérédité : parents alcooliques, syphilitiques ou pourquoi pas attardés de génération en génération. Ces explications ont été balayées par la découverte de l'hospitalisme, que l'on doit notamment à René Arped Spitz, un psychanalyste d'origine hongroise.
Après les psychologues, les scientifiques ont étudié ce syndrome et mis en évidence que l'hospitalisme était réversible. Quand l'enfant retrouve une stabilité affective, il va mieux. »
Source : allodocteurs.fr
L’article de René Spitz La perte de la mère par le nourrisson fournit les références de l’étude qu’il a publiée sur l’hospitalisme :
- Spitz (R.A.). – Hospitalism. The Psychoanalytic Study of the Child, I, 1945. International Universities Press.
- Spitz (R.A.). – Hospitalism, a follow up. The Psychoanalytic Study of the Child, II, 1946. New-York, International Universities Press.
En creusant de ce côté vous trouverez d’autres études qui ont été menées dans la première moitié du XXe siècle. Un document de 1962 publié par l’OMS sur la carence de soins maternels cite notamment les travaux suivants, ayant précédé ceux de Spitz :
« Depuis la fin du siècle dernier, les milieux scientifiques ont pris conscience des effets délétères que le placement précoce dans une institution peut avoir sur le développement affectif de l'enfant. La connaissance intuitive de ces risques existait d'ailleurs depuis fort longtemps chez bien des gens et s'était exprimée notamment dans les œuvres d'écrivains ouverts à ce genre de problèmes, par exemple chez Charlotte BrontëY La littérature pédiatrique fut la première à rendre compte systématiquement de cette prise de conscience avec la publication, en 1908, des observations de Chapin sur des enfants « atrophiques » qui avaient été élevés en institution pendant de longues périodes. Un peu plus tard, d'autres travaux sur les questions de bien-être social et d'éducation vinrent enrichir nos connaissances en la matière, par exemple les études de Theis en 1924 et d'Aichhorn en 1925. Cependant, il fallut attendre la fin des années 30 pour voir ces problèmes abordés dans la littérature psychiatrique et psychologique. Des observateurs comme Powdermaker et Levy, suivis de Lowrey, Bowlby, Bender, Goldfarb et d'autres s'employèrent alors à donner une description plus précise des effets du placement précoce, frappés qu'ils étaient par l'incapacité des enfants ayant subi une telle épreuve à nouer par la suite des liens affectifs chaleureux et durables. Les travaux de Goldfarb comprenaient des études contrôlées sur les effets à long terme du placement précoce en institution et du placement familial, le premier entraînant chez l'enfant des troubles beaucoup plus marqués. Ces recherches et d'autres encore furent évidemment stimulées par la diffusion des idées que Sigmund Freud avait formulées quelques années plus tôt au sujet de l'importance des expériences de la première enfance sur le développement ultérieur de la personnalité. Au début des années 40, un certain nombre d'études importantes sont alors entreprises dans ce domaine. Burlingham & Freud, de même qu 'Edelston, s'intéressent aux effets souvent perturbateurs observés chez de jeunes enfants qui ont été séparés de leur mère du fait des hostilités. »
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter