Question d'origine :
Bonjour, cher Guichet. Lisant vos réponses toujours érudites, je suis tombé sur ce paragraphe : « Au fond, tous celles et ceux qui essayent de penser ce sentiment si complexe seraient d’accord sur le fait qu’il n’est sans doute ni possible, ni souhaitable de “se débarrasser” de la jalousie, tant elle constitue un affect humain, trop humain. » (https://www.guichetdusavoir.org/viewtop ... t=recentes) C'est surtout la partie “un affect humain, trop humain” qui m'a interpellé. Je précise tout d'abord que je n'ai pas une confiance en moi inouïe. Comme tout le monde, j'ai confiance en certaines de mes capacités, mais je manque aussi de confiance sur d'autres domaines. Ce qui m'interpelle, c'est que je ne me rappelle pas avoir ressenti, de toute ma vie, la moindre once de jalousie sentimentale. Je ne me suis jamais senti propriétaire de qui que ce soit, ni n'ai-je voulu le devenir ; j'ai connu une relation longue (5 ans) et suis en couple depuis 7 ans, et jamais n'ai-je ressenti de la jalousie, même dans les cas où cela aurait pu sembler justifié. Je pense aussi aux couples non-exclusifs, aux couples à trois ou quatre personnes, je pense aussi aux communautés hippies, à d'autres communautés... Aussi, je me demande si la jalousie est effectivement un affect humain – ou plutôt si un être humain moyen est censé ressentir de la jalousie. Est-il normal d'être épargné par cet affect ? Est-ce pathologique ? Je suis très heureux ainsi, notamment parce que j'ai développé des relations amicales et amoureuses très saines. Mais la banalité de la jalousie, comme la banalité du mal, me sidère. Pourquoi les gens sont-ils tant jaloux sentimentalement ?
Réponse du Guichet
A la lecture d’une réponse de nos collègues du département Civilisation, vous vous interrogez sur la jalousie sentimentale, ou plutôt son absence dans votre expérience personnelle.
Dans notre réponse précédente nous évoquions le manque de confiance en soi comme source possible de ce sentiment de jalousie. Mais ce qui vous interpelle est le commentaire sur le caractère « humain » de ce sentiment : devrait-il être universellement ressenti ? Est-il « normal » de ne ressentir aucune jalousie ?
Rappelons que nous ne sommes que bibliothécaires et non psychologues. Par ailleurs, en raison de la situation sanitaire nous sommes actuellement en télétravail et n’avons pas accès aux documents de la bibliothèque. Pour vous répondre nous devons nous contenter des ressources disponibles en ligne.
La jalousie est-elle inhérente à l’amour ? Dans son ouvrage La Jalousie, le psychiatre et sexologue Willy Pasini assure qu’ « il peut y avoir jalousie sans amour, mais pas amour sans jalousie »… Au contraire, la « sexosophe » et sexologue Jocelyne Robert, affirme qu’on peut aimer sans être jaloux.
La question est donc loin de faire consensus.
Malheureusement les articles « sérieux » que nous trouvons par exemple dans Cairn s’intéressent tous aux origines et aux mécanismes du sentiment de jalousie, et non à son absence et à ce que cela signifie… On trouve néanmoins quelques articles de presse plus généraliste qui évoquent l’absence de jalousie dans une relation amoureuse.
Dans un article de Psychologies Secrets et mensonges de la jalousie, l’absence de jalousie est abordée, du point de vue freudien. Selon Freud, si on croit ne pas ressentir de jalousie, c’est que celle-ci est refoulée :
«
D’après les psychanalystes, on n’aurait jamais été jaloux qu’une seule fois, dans sa toute petite enfance. Une jalousie si terrible qu’elle nous a marqués à vie. Lorsqu’on est jaloux, on ne ferait jamais que revivre cette douleur-là, celle du tout petit enfant qui ne supporte pas de voir sa mère se détourner de lui. Tout d’un coup, son monde s’écroule : il se sent abandonné, trahi.
Pour Lacan, cette souffrance, nécessaire car elle permet de sortir de la fusion avec la mère, intervient à la fin de la période du sevrage, déjà difficile en soi, et au moment où l’enfant s’apprête à vivre un traumatisme important : réaliser qu’il n’est plus tout seul, qu’il existe un autre (par exemple, à l’arrivée d’un nouvel enfant dans la famille). Tout dépend donc de la manière dont cette première blessure aura été vécue. Que certains avalent les couleuvres plus difficilement que d’autres, et les voilà marqués au fer rouge du manque. Aucun amour ne sera jamais assez grand. Aucun être ne sera jamais assez fiable. […]
Freud a été le premier à le dire : « La jalousie est, comme le deuil, un affect normal. Si elle fait défaut, c’est qu’elle a été l’objet d’un puissant refoulement. Elle joue alors dans l’inconscient un rôle d’autant plus grand. » Antoine, 33 ans, prétend ne plus être jaloux parce qu’il l’aurait été « une bonne fois pour toutes dans son enfance » : aîné d’une famille de cinq frères, il s’est senti délaissé dès la naissance du second. « La jalousie ? Je sais aujourd’hui la repérer et y opposer une contre-offensive imparable : l’indifférence. Dès qu’une femme à laquelle je tiens essaie de provoquer en moi ce sentiment, je me sens anesthésié et glacé. Elle ne m’intéresse plus. Je cesse aussitôt de l’aimer : je la méprise. »
Si Antoine a l’impression de ne pas être jaloux, n’est-ce pas justement parce qu’il l’est terriblement ? S’il refoule sa jalousie, ne serait-ce pas parce qu’il sait inconsciemment qu’il aurait moins la force que d’autres de la supporter ? Toujours est-il qu’il ne l’a pas vaincue, mais transformée en haine froide. »
Mais cette explication ne semble pas concorder avec le point de vue que vous exprimez : au contraire de l’indifférence, vous évoquez des relations saines et respectueuses, d’où le sentiment de « propriété » sur l’autre est absent.
L’article de psychologue.net Votre partenaire n'est pas jaloux, et alors ? tient un discours un peu plus positif :
« À quoi rime la jalousie ? La jalousie n'est-elle pas à un sentiment opposé de ce que devrait être un couple ? La liberté et non faire de l'autre, notre propriété.
Il existe plusieurs formes de jalousies. Il y a la jalousie liée à la peur, la peur de perdre l’autre, de ne pas se suffire à soi même, d’être seul, peur de l’abandon souvent très liée aux traumatismes de notre enfance...Il y a la jalousie liée à sa confiance en soi, à l’image que l’on a de nous même et à systématiquement se dévaloriser par rapport aux autres...Or si on est en accord avec soi ,la jalousie peut être une jalousie « raisonnée »et donc non destructrice .Si elle n’est pas obsessionnelle et maladive elle n’amène pas forcément au conflit! Elle peut juste être ressentie et exprimée dans une situation précise et engendrer de la complicité avec notre partenaire. Elle peut donc être ressentie comme agréable pour observer que l’on tient à l’autre... mais
Pour certain, la jalousie est synonyme d'amour ; notre partenaire est jaloux s'il est amoureux. Aussi, s'il n'est pas jaloux, c'est qu'il n'est pas amoureux. La jalousie serait, pour de nombreuses personnes donc, une preuve d'amour et fait office de baromètre dans un couple.
L'explication est en réalité toute autre,
Quelques autres articles en ligne sur le sujet :
- Je ne suis pas jalouse, c'est grave docteur ? femmeactuelle.fr
- Mon homme n’est pas jaloux… Il m’aime quand même ? bibamagazine.fr
Peut-être obtiendrez-vous d'autres réponses en suivant la conférence de Nicolas Grimaldi Amour, Passion & Jalousie, ou encore en parcourant l'ouvrage du psychologue Didier Pleux On aime comme on a été aimé ?, entre autres... Nous vous laissons également explorer notre catalogue qui contient près de 200 références sur la psychologie dans la relation de couple.
Bonne journée.