18ème et 19ème

Réponse du département Civilisation

Nous vous renvoyons au Lexique d’histoire sociale, petit document très utile, très documenté et concis dont l’article «classe(s) sociales(s)» nous semble bien faire le tour de la question.

Terme utilisé pour décrire la stratification de la société en France à partir du XVIII) siècle. Dans la société de l’Ancien Régime, c’est l’appartenance à un ordre (clergé, noblesse, tiers-état), liée théoriquement à la naissance ou, pour le clergé à la vocation, qui définit en principe la place des individus dans la hiérarchie sociale. L’usage du mot « classe », notion neutre, synonyme de catégorie, indique, pour ceux qui l’emploient, la possibilité d’un classement social fondé non pas sur la naissance ou la vocation religieuse, mais sur l’activité ou la condition. Quesnay distingue ainsi la « classe productive », la « classe des propriétaires » et la « classe stérile ». Le terme se teinte dès lors d’un sens polémique, dans la mesure où son usage remet en cause la pertinence du vocabulaire des ordres pour décrire la société réelle. Ainsi, dans son célèbre pamphlet, Qu’est-ce que le Tiers-état ? (1789), l’abbé Sieyès, pour réfuter les hiérarchies de la société d’ordres, définit la société à partir des activités productrices de ces membres.

Après la Révolution française, avec l’industrialisation de la France, le terme est de plus en plus utilisé pour décrire une société où les individus sont égaux en droit mais inégaux en fait. On parle ainsi de « classe bourgeoise » ou de « classes laborieuses ». Par ailleurs, à partir des années 1830, les ouvriers de métier des grandes villes, qui se définissent jusqu’alors volontiers par l’appartenance à un métier spécifique, commencent à percevoir davantage a communauté de leur condition misérable. Dans la presse et les écrits ouvriers, les termes de « classe ouvrière » et de « prolétariat » font leur apparition (W Sewell).

Le terme de « classe » se trouve au cœur de toutes les analyses des rapports capitalistes. La doctrine saint-simonienne, développée par les disciples du comte de Saint-Simon, insiste sur l’inéluctabilité des rapports d’exploitation donc des antagonismes de classe liés à tout processus de production. La réflexion sur le fait de l’exploitation et de l’antagonisme qui en découle fonde l’usage du mot « classe » chez Karl Marx. Celui-ci voit dans la lutte des classes principe de tout fonctionnement social et affirme dans une phrase célèbre duManifeste du parti communiste (1848), que « l’histoire de toute société jusqu ‘à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes.». Ainsi, dans le monde industriel, la classe capitalise détentrice du capital, exploite le travail pour dégager un profit, obtenu en réduisant les salaires au minimum nécessaire à la reproduction de la force de travail. Tout s’ordonne autour de la lutte primordiale liée au rapport capital-travail, qui produit des classes sociales antagonistes ; elle conduit le prolétariat à prendre conscience de lui-même comme classe et à lutter pour mettre fin à l’appropriation par la classe capitaliste de la richesse qu’il produit, en somme à abolir le rapport capital-travail.

Fondamentale dans le vocabulaire politique à partir de la fin du XIX° siècle, la conception marxiste du terme « classe » marque aussi son usage historien. Pour l’histoire sociale, l’enjeu porte sur l’utilisation de termes adéquats pour décrire les structures de société anciennes. Ainsi les hiérarchies juridiques de la société d’ordres sont-elles plus pertinentes pour décrire les comportements et les rapports sociaux vécus de la société d’Ancien Régime que les différences de classes fondées sur la place des individus dans les rapports de production ? Pour R Mousnier, la hiérarchie des ordres, au moins jusqu’au XVIII° siècle, est une «réalité sociale» qui ordonne les comportements sociaux réels , alors que pour l’historiographie marxiste (E Labrousse, A Soboul), la structure juridique des ordres est un leurre qui masque la réalité sociale des classes.

Constante en histoire sociale, l’utilisation du terme « classe » pose en réalité deux types de problèmes. Tout d’abord que veut-on dire lorsqu’on parle de «classe» pour une société ou un groupe auquel le terme est étranger ? Cela signifie-t-il que les classes existent réellement dans toutes les sociétés et que les rapports de production déterminent totalement l’organisation sociale (conception réaliste) ? Ou bien veut-on dire qu’il est utile, pour toute société, quelles que soient ses structures, ses institutions et ses propres représentations de l’ordre social, d’utiliser le terme de classes pour rendre compte des différences socio-économiques, même si elles ne sont pas toujours perçues ou nommées en tant que telles par les acteurs ? Cette conception nominaliste autorise un usage non marxiste du terme de classe, qui se rapproche de l’usage neutre qu’en faisaient les hommes du XVIII° siècle pour parler des différences de conditions et de revenus, et des conflits qui peuvent en résulter. C’est dans ce sens qu’on parle, par exemple, de « classes moyennes ». En revanche, lorsqu’il est question de nos jours de « la fin de la classe ouvrière », cela ne signifie pas qu’il n’y a plus d’ouvriers, mais que la conscience d’appartenir au destin collectif d’un groupe, très forte dans le monde ouvrier dans les années 50, a aujourd’hui disparu. Ce dernier usage emprunte au marxisme l’attention à l’identité de classe, pour souligner qu’on ne saurait parler de classe que dans une société où les individus se pensent en fonction de l’appartenance à cette classe […]
S’il y a eu au XIX° siècle « formation » d’un classe ouvrière dans les pays occidentaux, ce n’est pas seulement lié à l’industrialisation ; mais parce que dans les luttes des ouvriers contre le patronat s’et forgée une identité commune, celle de la « classe ouvrière », à laquelle la diffusion du marxisme dans le monde ouvrier n’est d’ailleurs pas étrangère. »


Pour compléter cette approche vous pouvez aussi consulter le » Que Sais-je ? »,intitulé Les classes sociales