Question d'origine :
Bonjour!
Voilà une question qui fait suite à un débat que j'ai tenu avec un ami.
Ma question se pose dans la catholicisme uniquement, et uniquement pour le nouveau testament. En fait je pense que de nos jours les catholiques n'appliquent plus la Bible à la lettre, et que cela a été permis par les Papes. Mon ami lui, dit que les Papes n'ont jamais abdiqué sur rien, et que ce sont les gens qui appliquent ou non la Bible à la lettre.
Alors qui de nous deux a raison ? Les Papes Benoit et Jean Paul ont-il eu la même vision de la bible qu'il y a trois cents ans ? N'ont-ils abdiqué sur rien du tout ?
Je ne suis pas sûre d'être claire étant donné qu'il s'agit du résumé d'un discussion qui a pris plus d'une heure
Si vous aviez des pistes en tous cas!
Merci d'avance!
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 21/04/2006 à 15h31
Votre question porte sur ce qui fait autorité pour la foi des catholiques quand il s’agit de passer de la lecture de la Bible- et notamment du Nouveau Testament – à sa mise en pratique dans la vie de tous les jours. Elle met donc en jeu trois éléments, distincts tout en étant inséparables, sur lesquels se fonde la foi des catholiques : l’Ecriture, la Tradition et le Magistère de l’Eglise. Elle soulève aussi la question très spécifique et complexe du statut de la Bible et de son interprétation.
Quelques définitions s’imposent avant de tenter une réponse :
L’Ecriture (autre nom de la Bible) est reçue par les chrétiens (et donc par les catholiques) comme la Parole de Dieu, la Révélation qu’il fait de lui-même et de son dessein de salut pour les hommes scellé dans une Alliance avec eux pour toujours : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes [Ancienne Alliance ou Ancien Testament], Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » [Nouvelle Alliance ou Nouveau Testament] cf. Epître aux Hébreux 1, 1-2.
La Tradition (avec un grand T !) : c’est la transmission de cette Révélation par Israël, par Jésus lui-même, puis par la communauté chrétienne primitive et notamment les Apôtres (cf. Evangiles et Lettres). C’est en quelque sorte la mémoire vivante de l’Eglise de génération en génération dont le premier souci est la fidélité à la Révélation attestée par la Bible. Pour que l’Evangile soit toujours gardé intègre et vivant dans l’Eglise, les Apôtres laissèrent pour successeurs les évêques en leur remettant ("tradentes") la charge de leur magistère : « Irénée de Lyon [qui] est le théologien de la Tradition au sens propre du terme » (cf. Dictionnaire de spiritualité, T. 15, art. « Tradition », col. 1108-1125).
Le Magistère : « Primitivement, ce terme signifiait de manière générale la fonction d’enseignement commune aux docteurs et théologiens […] mais aussi aux pasteurs, spécialement aux évêques garants de la transmission fidèle du donné révélé. On est passé peu à peu à un sens plus concret et plus limité : « Le mot magistère » a fini par désigner « le corps des pasteurs ayant autorité pour exercer la fonction pastorale d’enseignement ». Dans l’Eglise catholique, il désigne les évêques unis au pape, exerçant leur fonction de témoins et de gardiens de la foi reçue des Apôtres. » (cf. Dictionnaire de spiritualité, T. 10, art. « Magistère », col. 76-90).
Ces précisions étant données, nous pouvons aborder maintenant, la question du statut de la Bible et son interprétation dans l’Eglise catholique :
Si la Bible est reçue comme « Parole de Dieu » par les croyants, cela ne veut pas dire qu’elle est tombée du ciel comme un texte déjà tout constitué, intangible, inaccessible à toute critique et devant être lu et « appliqué à la lettre » pour reprendre l’expression que vous employez.
Aborder ainsi la Bible relève d’une lecture fondamentaliste qui refuse tout questionnement et toute recherche critique, et ne tient pas compte du caractère historique de la révélation biblique. Autrement dit, « le fondamentalisme refuse d’admettre que la Parole de Dieu inspirée a été exprimée en langage humain et qu’elle a été rédigée, sous l’inspiration divine, par des auteurs humains dont les capacités et les ressources étaient limitées. Pour cette raison, il tend à traiter le texte biblique comme s’il avait été dicté mot à mot par l’Esprit et n’arrive pas à reconnaître que la Parole de Dieu a été formulée dans un langage et une phraséologie conditionnés par telle ou telle époque. Il n’accorde aucune attention aux formes littéraires et aux façons humaines de penser présentes dans les textes bibliques, dont beaucoup sont le fruit d’une élaboration qui s’est étendue sur de longues périodes de temps et porte la marque de situations historiques fort diverses » (cf. L’interprétation de la Bible dans l’Eglise / Commission biblique pontificale. - Cerf, 1999.-(Documents d’Eglise).
Encore une remarque, puisque votre question porte uniquement sur le Nouveau Testament : « En ce qui concerne les Evangiles, le fondamentalisme ne tient pas compte de la croissance de la tradition évangélique, mais confond naïvement le stade final de cette tradition (ce que les évangélistes ont écrit) avec le stade initial (les actions et les paroles du Jésus de l’histoire). Il néglige du même coup une donnée importante : la façon dont les premières communautés chrétiennes elles-mêmes ont compris l’impact produit par Jésus de Nazareth et son message. Or c’est là un témoignage de l’origine apostolique de la foi chrétienne et son expression directe […] Le fondamentalisme sépare l’interprétation de la Bible de la Tradition guidée par l’Esprit, qui se développe authentiquement en liaison avec l’Ecriture au sein de la communauté de foi. Il lui manque de réaliser que le Nouveau Testament a pris forme à l’intérieur de l’Eglise chrétienne et qu’il est Sainte Ecriture de cette Eglise, dont l’existence a précédé la composition de ses textes. » (Ibid.)
En conclusion, une juste interprétation de la Bible et notamment du Nouveau Testament, s’appuie pour des catholiques à la fois sur le travail des exégètes dans leur approche scientifique du texte biblique (exégèse historico-critique, critique textuelle, analyse littéraire, prise en compte des différents genres littéraires, attention au sens symbolique ou figuratif…etc.), sur la Tradition vivante de l’Eglise et sur le Magistère qui n’est pas exercé par le pape tout seul -comme la formulation de votre question le laisse entendre - mais par l’ensemble des évêques. C’est ainsi que le Concile Vatican II (1963-1965), à la suite du Pape Léon XIII - approuvant, en 1892, l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem et créant en 1902 une Commission des études bibliques - puis du Pape Pie XII dans son encyclique Divino afflante Spiritu (1943), s’est prononcé sur la nécessaire interprétation de la Bible et sur son importance pour la vie des chrétiens en votant la «Constitution dogmatique « Dei Verbum » sur la Révélation divine »(cf. Actes du Concile Vatican II.- Cerf, 1967). Les deux papes que vous citez, Jean-Paul II et Benoît XVI, s’inscrivent dans cette même orientation puisque Jean-Paul II a salué le travail de la Commission biblique pontificale sur l’interprétation de la Bible dans l’Eglise, dont s’inspire largement notre réponse, en ces termes : « Avec joie j’accueille ce document, fruit d’un travail collégial […] il répond à une préoccupation qui me tient à cœur, car […] la façon d’interpréter les textes bibliques pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui a des conséquences directes sur leur relation personnelle et communautaire avec Dieu. » (Allocution sur l’interprétation de la Bible dans l’Eglise, 23/04/1993) Quant à Benoît XVI, c’est lui qui, lorsqu’il était encore le cardinal J. Ratzinger, responsable de la Congrégation de la foi, présidait la Commission biblique pontificale qui, précisait-il : « Dans la nouvelle conformation qui lui a été donnée à la suite de Vatican II,[…] n’est pas un organe du Magistère, mais une commission formée de spécialistes qui, conscients de leur responsabilité scientifique et ecclésiale en tant qu’exégètes catholiques, prennent position sur des problèmes essentiels d’interprétation de l’Ecriture et se savent appuyés pour cela par la confiance du Magistère. » (cf. sa préface au document de la Commission biblique cité largement dans notre réponse)
Vous vous demandez si, depuis trois cents ans, les papes ont « abdiqué » ou non sur quelque chose ? Si « abdiquer » signifie pour vous « renoncer à son pouvoir, ou à l’essentiel » (cf. Petit Larousse), notre réponse vous donnera peut-être des éléments pour trancher cette question du rapport de l’Eglise catholique à la Bible ! Dans cette tâche, la lecture des documents cités plus haut pourra vous aider ainsi que deux autres livres :
La Bible : le Livre, les livres / Pierre Gibert.-Gallimard, 2000.-(Découvertes-Religions ; 392)
Jésus : le Dieu inattendu / Gérard Bessière.-Gallimard, 1993.-(Découvertes-Religions ; 170)
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