Question d'origine :
Bonjour.
Que sait-on réellement de la peste noire de 1348 ? Etait-ce vraiment une épidémie de peste, ou une (ou plusieurs) autres maladies ?
De plus, pourriez-vous me faire une liste des sources de l'époque (chroniques, romans...) faisant allusion à l'événement ?
Merci.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 17/01/2007 à 17h58
La discussion du problème que vous posez a suscité le surgissement de bibliothèques entières. Nous nous limiterons donc à citer la fin du chapitre 2 de l’excellente (et récente) monographie de William Naphy et Andrew Spicer intitulée « La peste noire. Grandes peurs et épidémies. 1345-1730 », qui répond de manière synthétique à votre question :
«Nos lecteurs ont sans doute noté un point surprenant dans ce qui précède : nous avons volontairement utilisé toute une gamme de mots pour décrire le mal qui frappa l’Occident en 1347, n’employant celui de « Mort noire » qu’avec parcimonie. Deux raisons essentielles à cela : le terme semble être apparu au milieu du XVIe siècle, mais n’est devenu courant en anglais qu’ au XIXe siècle. Jusqu’à aujourd’hui, les historiens français, italiens et espagnols ne l’employaient pas, et à l’époque, les contemporains faisaient référence aux événements de 1347-1351 en disant la « Grande Mort », ou la « Grande Pestilence »…
Les raisons plus complexes pour lesquelles nous utilisons de manière interchangeable les mots : épidémie, peste et pestilence remontent au problème de l’identification du mal. Dans le langage courant, quand on parle de « peste », on comprend « peste bubonique » alors que les mots « épidémie » et « mal » sont moins spécifiques. Beaucoup seront sans doute surpris d’apprendre que, parmi les spécialistes, le débat fait toujours rage concernant la vraie nature de la maladie. Le problème provient en partie des sources contemporaines qui ont survécu : les chroniqueurs n’étaient versés ni en médecine ni en pathologie, et souvent ne donnent guère de détails précis sur les symptômes visibles sur les malades. Sans doute ne faisaient-ils pas non plus de différence entre les décès causés par la peste et ceux résultant d’une infection secondaire comme la pneumonie. De plus, comme le mal disparut en Europe dès le début du XVIIIe siècle, contrairement à la syphilis, la variole ou la rougeole, la continuité médicale et historique cessa. Si bien qu’il existe une réelle possibilité que la maladie cliniquement diagnostiquée en 1890 ne soit pas celle qui ravagea l’Europe entre 1347 et 1722 même pendant la première pandémie.
Ce que nous appelons aujourd’hui « peste » fut identifié pour la première fois lorsque son bacille fut isolé en 1894 et qu’un sérum fut produit par Alexandre Yersin, chercheur formé à l’Institut Pasteur et qui s’était rendu à Hongkong alors en pleine épidémie. C’est pourquoi le responsable de la troisième pandémie (1894-1899) fut baptisé Pasteurella pestis ou, plus couramment, Yersinia pestis. Le mal ravagea le Hunan, Canton et Hongkong avant de toucher la principauté de Bombay, la principauté du Bengale (y compris sa capitale, Calcutta), Porto, Glasgow et Sydney. Il se présente sous trois formes différentes, nommées d’après leurs caractéristiques : la peste bubonique, remarquable par des bubons ou des gonflements ; la peste septicémique, en phase terminale, lorsque le bacille est concentré dans le sang, et la peste pulmonaire lorsque le bacille accumulé dans les poumons est disséminé par les crachats. Le même bacille est à l’origine des trois formes.
Cependant le Yiersinia pestis n’est pas d’origine humaine. On le trouve normalement chez le rat et d’autres rongeurs, passant d’un animal à l’autre par leurs puces. A l’occasion, une forte concentration du bacille peut entraîner la mort de populations massives de rongeurs. Dans ce cas les puces des rats sautent sur le premier corps chaud qui se présente. Quand la concentration du bacille devient trop forte dans le tube digestif de la puce où il se multiplie, ou si elle a été contaminée par un animal en phase septicémique, ses organes de succion se bloquent, elle régurgite du sang au lieu d’en aspirer, et le bacille est expulsé dans le sang de l’hôte… Ainsi, à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, des puces ou des pou humains ont facilité la propagation de la maladie, même de façon occasionnelle. Ils étaient si nombreux sur chaque individu qu’ils ont pu contribuer à propager le mal une fois que le bacille avait franchi la phase initiale et était passé du rat à l’homme.
La plupart des chercheurs qui attribuent l’épidémie de 1347 au Yersinia pestis admettent que la peste bubonique en fut la forme la plus courante. Quand une puce porteuse pique quelqu’un, l’incubation dure de deux à huit jours. Le malade éprouve alors une fièvre élevée (plus de 40°C) accompagnée de convulsions, il vomit, a des vertiges ; devient sensible à la lumière, et souffre abominablement des membres. Il tombe dans une sorte de torpeur. Au bout de deux à trois jours, les ganglions lymphatiques de l’aine, du cou et des aisselles, les plus proches de la morsure initiale, se mettent à enfler de manière effroyable, jusqu’ à atteindre la taille d’un œuf ou d’une pomme. Au bour d’un certain temps, ces gonflements terriblement douloureux, les bubons suintent et éclatent. Dans les cas sévères, des taches écarlates (petechiae) apparaissent sur la peau. On compte de 25 à 30% de cas de guérison au bout de huit à dix jours. La plupart des décès sont dus à l’épuisement, à des crises cardiaques ou à des hémorragies internes.
Bien que la plupart des gens pensent que la forme bubonique est la forme normale, on sait que la variété pulmonaire était également présente au cours de la Mort noire. Après la période d’incubation, au lieu d’une fièvre élevée, le malade éprouvait une chute brutale de température. Le bacille se fixait sur les poumons et les remplissait d’un liquide purulent que le patient crachait à tous vents, disséminant ainsi la contagion par la salive, les éternuements ou de simples postillons. Il ne tardait pas à souffrir de troubles neurologiques aigus et tombait dans un coma fatal dans 95% des cas. La forme pulmonaire est la seule transmissible entre êtres humains sans l’intermédiaire d’un insecte.
La peste septicémique est extrêmement rare et toujours mortelle. Après une piqûre, le bacille infecte le sang et s’y concentre puis, en quelques heures, une éruption rouge apparaît sur la peau, résultant de l’éclatement de milliers de vaisseaux capillaires. La mort survient sans tarder…
Enfin, la médecine moderne a identifié deux autres variantes de la peste encore plus rares : Yersinia pseudo-tuberculosis, qui se présente comme une tuberculose, et Yersinia enterocolita, qui infecte l’intestin.
Si l’on compare ces pathologies spécifiques au mal qui frappa l’Europe en 1347, on voit que les chroniqueurs mentionnent des gonflements, le plus souvent à l’aine, de la fièvre, des plaques rouges (très rares en cas de peste bubonique) et du délire. Or ces symptômes caractérisent aussi d’autres maladies virulentes comme l’anthrax, la tuberculose, la typhoïde et le typhus. Ce qui nous empêche conclure avec certitude à une épidémie de peste est le fait que, pour qu’il y ait dissémination par les puces, il faut que les rongeurs aient été en train de mourir et que leurs puces soient passées à l’homme. Or aucun chroniqueur ne fait état de mortalité massive chez les rats juste avant le déclenchement de l’épidémie chez l’homme…
Admettons qu’il se soit effectivement agi de peste bubonique. Comment expliquer alors son passage de ville en ville ? Même la forme la moins virulente comporte une période d’incubation comprise entre deux et huit jours, ce qui ne laisse pas vraiment le temps au malade de voyager d’un endroit à un autre…En d’autres termes, ce que nous savons de la forme moderne de Yersinia pestis ne cadre pas avec les données médiévales.
A cela on peut proposer plusieurs explications : il se serait agi d’une autre maladie, l’anthrax par exemple. Nous pourrions aussi être en présence d’un virus mutant, aujourd’hui suffisamment différent de son prédécesseur de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge pour justifier l’absence de concordances… Enfin, certains avance l’hypothèse d’une mutation humaine et non virale : la population actuelle descendrait d’une souche génétique immunisée contre la peste.
Même si le débat paraît fascinant, il ne mène nulle part : nous ne disposons d’aucun moyen clinique permettant d’identifier la mal qui ravagea l’Europe lors de la première comme de la deuxième pandémie… »
(William Naphly et Andrew Spicer : La Peste noire. Grandes peurs et épidémies, 1345-1730. p. 41/46. Autrement. Mémoires)
La Peste noire. Grandes peurs et épidémies, 1345-1730 de William Naphly et Andrew Spicer
Pour une discussion plus approfondie du problème, lire la première conférence contenue dans le recueil La peste noire et la mutation de l’Occident de David Herlihy, intitulée : La peste bubonique : épidémiologie et problèmes médicaux
Consultez aussi :
Le temps de la peste de William Mac Neill (chapitre IV)
Les chemins de la peste de Frédérique Audouin-Rouzeau (chapitre XIII)
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, le livre classique La mort noire. Chronique de la peste de Johannes Nohl est une mine de renseignements bibliographiques.
Si vous voulez faire court, lisez le chapitre intitulé « Réactions humaines » (p. 41/64) du livre de Monique Lucenet Les grandes pestes en France où vous trouverez quelques noms souvent cités.
A la Bibliothèque Municipale de Lyon vous pouvez lire Poème sur la grand peste de 1348 d’Olivier de La Haye qui date du début du XVe siècle.
Pour finir :
1) un numéro de la revue l’ « Histoire » consacré à La peste noire
2) la grand étude Les hommes et la peste en France et dans les pays méditérranéens de Jean-Noël Biraben, tome 2 qui contient une bibliographie de plus de 200 pages !
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