Question d'origine :
Bonjour,
Je suis à la recherche d'informations sur les liens qui existent entre l'art premier (ou primitif) et l'art contemporain (au sens large). Après recherche sur le net, j'ai identifié une conférence donnée sur le sujet au Musée des Abattoirs à Toulouse mais dont le contenu n'est pas en ligne. Et puis rien d'autre...
Je n'ai pas besoin d'un ouvrage de référence sur le sujet mais de quelques éléments de base.
Merci de vote aide.
Christine Argoud
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 18/03/2010 à 16h45
Votre question pose avant tout un problème de définition. La création de l’expression « arts premiers » par Jacques Kerchache date seulement des années 90. Auparavant on utilisait d’autres appellations : « art primitif », « art tribal », « art nègre », « art sauvage », etc. De même la qualification d’œuvre d'art pour des objets produits en dehors de notre civilisation occidentale, qui répondaient principalement à des préoccupations autres qu’esthétiques (rituels, cultes), ne va pas de soi. L’objet primitif est avant tout une pièce rituelle, un substitut symbolique, une figure magique. Cependant, même si le style de l’objet était partagé collectivement, sa réalisation en était le plus souvent confiée à un « artiste », fonction parfois exercée de père en fils.
L’occident s’est accaparé, dès l’époque des grandes découvertes, des objets en provenance d’autres civilisations. Aux XVIe et XVIIe siècles les « cabinets de merveilles » réunissaient les choses surprenantes à leurs yeux d’Européens : les naturalia (choses issues de la nature) et les artificialia (objets créés par l’homme). L’expansion coloniale aux siècles suivants va conduire à la récolte par les missionnaires, les explorateurs, les militaires, les savants, les administrateurs, d’objets qui vont se retrouver exposés lors des grandes expositions coloniales ou universelles, ou conservés dans des musées. Le musée des Arts africains et océaniens à Paris sera le premier musée français à présenter ses collections comme des œuvres d’art. Le Louvre s’ouvre aux « arts premiers » en 2000.
Définir l’art contemporain n’est pas non plus une chose évidente. L’art contemporain est varié dans ses tendances et dans ses formes, et le statut même d’œuvre d’art pour des œuvres visibles dans les musées ou expositions d’art contemporain ne fait pas l’unanimité des publics. Les apports formels de l’art primitif pour les artistes modernes sont assez clairement établis. Les cubistes y ont puisé un répertoire de formes leur permettant de reconstruire un espace et une figuration pour l’homme moderne. Mais le cadre de l’art moderne se situe toujours dans la lignée de l’art occidental, même s’il ambitionne d’élargir les limites de ce domaine à l’art total ou à l’art public. Avec l’art contemporain, le statut de l’objet exposé change de nature. Marcel Duchamp introduit dans l’institution artistique des objets fabriqués hors du champ de l’art, juste signés ou exposés dans une position particulière. La démarche qui accompagne la réalisation ou la présentation de l’œuvre devient prioritaire sur l’objet. C’est de ce côté-là nous semble-t-il qu’il faut envisager des points de contact entre art contemporain et « art premier ».
L’envie d’explorer les nouveaux visages de l'art non-occidental a suscité de grandes expositions en France permettant d’engager un nouveau débat :
En 1989, l’exposition « Magiciens de la Terre » s’est tenue au Centre Pompidou. Le commissaire, Jean-Hubert Martin, a choisi d’emblée d’éviter le mot « art » dans le titre de l’exposition. La sélection des œuvres, provenant du monde entier, s’est faite sur leur capacité à produire du sens.
En 2000, la 5e biennale d’art contemporain de Lyon, intitulée « Partage d'exotismes » propose également d’inviter des artistes contemporains de divers horizons, en laissant cohabiter chaque exotisme éprouvé par chacun vis-à-vis de l’autre.
En 2005 , l’exposition « Africa Remix » montre les derniers développements de l’art contemporain réalisé par des artistes africains, mêlant culture occidentale et origines ancestrales. Pour l’une des commissaires, afin d appréhender au mieux cet art, il convient de faire tomber les barrières forgées par notre société qui font écran à la lecture des œuvres : identité, exotisme, primitivisme, néocolonialisme, authenticité….
Vous trouverez dans les multiples textes introductifs de quoi alimenter votre réflexion.
Le livre L'art africain contemporain rend compte avec pédagogie de la production artistique de 12 artistes travaillant actuellement en Afrique, qui souhaitent tout à la fois sauvegarder la richesse de leur culture passée et actuelle et faire une oeuvre originale se démarquant des formes surrannées des « arts premiers » fossilisées par les occidentaux.
Parmi les artistes contemporains occidentaux confrontés dans leur travail à l’univers des sociétés primitives, nous pouvons citer :
Miquel Barceló. Dans ce livre, Daniel Abadie note : « … Ce rapport magique à ‘limage, Barceló en a trouvé confirmation dans ses séjours africains, au cœur de cultures où la même figure sculptée désactivée peut devenir simple pièce de bois alors qu’elle incarnait, peu avant, dans la magie du rituel, l’esprit. A l’ambition métaphysique de l’art occidental, à sa volonté obsessive de dominer la mort, d’établir un ordre pérenne au-delà du transitoire de l’expérience humaine, l’art primitif africain oppose son pouvoir de créer spontanément la vie, de mettre en œuvre le sacré où, comme le note Roger Caillois, « énergies vivifiantes et forces de la mort se rassemblent pour former les pôles attractif et répulsif du monde religieux ». »
L'ensemble des artistes réunis par la Fondation Cartier à Paris pour l'exposition « Yanomami : l'esprit de la forêt» qui ont mis leurs univers créatifs à l'épreuve de la conception yanomami des images chamaniques. L'exposition offre à voir, à travers des films, des photographies, des peintures, des sculptures et des installations vidéo, un dispositif de correspondances et de résonances avec la réflexion cosmologique et l'expérience visionnaire des onze chamans du village de Watoriki.
Par Internet, on trouve des présentations d'artistes qui entreraient dans votre problématique sur les sites :
Amigos de Moçambique :
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Le style shetani, créé par le sculpteur Samaki, représente des êtres surnaturels : démons, esprits, entremêlés en une unité organique sinueuse, aux membres anastomosés, sveltes, ondoyants... ces sculptures d’une étonnante modernité rappellent aux européens des oeuvres surréalistes et ont séduit le public durant les années 60. Samaki a pu créer un nouveau courant, enraciné dans des croyances animistes traditionnelles : les sculpteurs disent représenter des rencontre inopinées avec des esprits de la nature. Ils évoquent parfois aussi des drames humains. Certaines oeuvres peuvent être considérées comme des allégories de situations sociales : Shetani cadonga représente « des commerçants malhonnêtes poursuivis par le programme d’assainissement économique » et Shetani side évoque la tragédie du sida.
Samaki influença les artistes du pop art, notamment Keith Haring ou Di Rosa."
Mamco à Genève
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Son œuvre est chargée de l'univers spirituel de sa communauté, notamment les danses Mapico, les « Shetanis » – bons et mauvais esprits représentant les qualités et les défauts des hommes, les fêtes et les conflits sociaux – et le symbolisme « Ujamaa », reflet de la solidarité humaine. Chacune de ses toiles est peuplée de personnages très expressifs qui semblent en mouvement perpétuel. Les titres des œuvres décrivent clairement ces tranches de vie et de tradition : « Maintenez de bonnes relations avec vos voisins et ils vous aideront quand vous avez des problèmes », ou bien « Ils célèbrent l'élection de leur Président pour un deuxième mandat », par exemple.
(André Magnin, 1996)"
Galerie Dettinger-Mayer
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« Les créatures de Pierre Blondeau sont de bric et de broc, composés de matériaux de récupération portés jusqu'à la sacralisation.
Face à la sculpture de Pierre Blondeau, on est comme dans un cérémonial. Les figures étranges et singulières, mi-hommes mi-oiseaux, répondent aux aspirations profondes de chacun dès lors qu'il s'interroge sur la vie après la mort.»
« On se retrouve interloqué sur le banc d'idoles faites de bric et de broc, matériaux de récupération portés jusqu'à l'embellissement, jusqu'à la sacralisation.(...)
Jadis, déjà, à l'entrée des étables, pour conjurer le sort, on accrochait des chimères fabriquées avec des pattes de lapin et toutes sortes de viscères, paquets-canopes de l'Egypte ancienne. Ces gris-gris d'importance sont aujourd'hui réinventés par celui qui s'impose comme le grand prêtre du genre singulier (...)»
(Bernard Gouttenoire)"
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