Question d'origine :
Bonjour,
Pouvons m'aider, me conseiller, étant en M2, je dois faire un travail sur les peintures de Dali. C'est à dire rechercher dans ses oeuvres, toutes traces, qui pourraient correspondre aux vanités de l'époque barroque comme les cranes, les natures, mortes...
En fait rechercher toutes les interpretations modernes des vanités qu'à pu réutiliser Salvador Dali.
Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 09/02/2012 à 09h38
Nous pouvons découvrir une première définition des vanités en peinture dans le Dictionnaire de l'image, éd. Vuibert, 2006 :
«
Le Dictionnaire de la peinture / sous la direction de Michel Laclotte et Jean-Pierre Cuzin, éd. Larousse, 1996, ajoute :
« Les éléments du répertoire sont de 3 ordres :
objets évoquant la vie terrestre, contemplative (sciences, lettes et arts) ou voluptueuse, le plaisir (les 5 sens), la richesse (argent), la puissance (armes) ;
objets évoquant la brièveté de la vie par la fuite du temps (sabliers et horloges), la destruction de la matière (fleurs perdant leurs pétales, fruits abîmés, pierres lézardées) ;
inscriptions dans le tableau « Vanitas vanitatis et omnia vanitas », ou une formules analogue. »
Pour gagner en précision, nous vous conseillons de vous référer au catalogue d’exposition Les Vanités dans la peinture au XVIIe siècle, éd. Ville de Caen, 1990. En ce qui concerne la représentation des objets dans la peinture du Nord de l’Europe, sous l’influence de la Réforme :
« L’historien de l’art I. Bergström, a divisé en trois groupes les tableaux qui « expriment » la vanité du monde et l’espoir de la résurrection.
Le premier groupe évoque la vanité des biens terrestres :
- livres, instruments scientifiques, art : c’est la vanité du savoir ;
- argent, bijoux, pièces de collection, armes, couronnes et sceptres : c’est la vanité des richesses et du pouvoir ;
- pipes, vin, instruments de musique et jeux : c’est la vanité des plaisirs ;
Le second groupe évoque le caractère transitoire de la vie humaine : squelette, mesure du temps, montres et sabliers, bougies et lampes à huile, fleurs ;
- Le troisième groupe contient les symboles de la résurrection et de la vie éternelle : épis de blé, couronnes de laurier. »
Le traitement au XVIIe du thème de la Vanité répond à un contexte religieux très précis. Il s’appuie sur une sentence de l’Ecclésiaste, en latin "Vanitas vanitatum omnia vanitas", en français "Vanité des vanités, tout est vanité". Chaque être humain est mortel et il doit s’en souvenir, quelque soit son activité gratifiante terrestre dans les domaines du savoir, de la richesse, du plaisir des sens ou de la beauté. L’important est la vie éternelle, telle qu’elle est définie alors en Europe par le catholicisme ou le protestantisme.
Ce thème de la Vanité, repris par les artistes contemporains, aura des développements imagés différents de ceux du XVIIe, du fait des changements sociaux, des mentalités et des sources de satisfaction terrestre, ainsi que de l’affaiblissement de la foi religieuse. Les grands désastres du XXe (les deux guerres mondiales, la guerre civile en Espagne, l’Holocauste, l’emploi de la bombe atomique, etc.) ont déplacé la peur individuelle sur des peurs collectives, et la foi en une vie après la mort a décliné.
Plusieurs livres récents font état de la façon dont l’iconologie liée à ce thème a évolué jusqu’à nos jours :
C'est la vie ! : vanités de Pompéi à Damien Hirst, éd. Skira-Flammarion, 2010
Dans son analyse des conceptions de la mort depuis le XIXe siècle, intitulée D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent (épitaphe rédigée par Marcel Duchamp), Loïc Malle décrit ainsi la position des surréalistes, p. 86-87 :
« En réalité le refoulement surréaliste de la mort comme anéantissement trouve une échappatoire idéaliste dans le déni, grâce à l’interprétation poético-freudienne qu’en fait André Breton. La mort y est vécue comme un en deçà utérin, une inversion de la naissance, une exacerbation voire une érotisation du réel devant mener à la déréliction et à l'extase où toutes les figures de l'Éros ont droit de cité. Si mort il y a, elle ne peut être que « surréelle ». Plus complexe et provocatrice est l'interprétation de Salvador Dali. Son atavisme crépusculaire entraîne une équivalence surréaliste directe entre la sexualité et la mort, entre Gala, la muse libératrice de ses castrations et le crâne ou le squelette. « Je recherche de l'image qui peut produire de l'orgasme », déclare-t-il. En témoignent son Cavalier et la Mort (1934), son fameux Atmosphère crâne sodomisant un piano à queue (1935) comme Une ballerine en tête de mort (1939).
Enfin, la photographie que Philip Halsman fit en collaboration avec Dali, Voluptas Mors (1951), figure, en arrière-plan du profil du peintre, un crâne constitué de corps de femme selon le principe d'Arcimboldo : ce portrait officiel réaliste, voire pompeux, se double d'un portrait psychanalytique. Pour Dali en effet, les pulsions érotiques condensent toute la panoplie des névroses : impuissance, abstinence, onanisme, voyeurisme, fétichisme, scatologie et sadisme. C'est pourquoi l'on ne peut appréhender sous le seul éclairage du pacifisme le chef-d'œuvre Visage de la Guerre (1941), saisissante mise en abîme d'un crâne en putréfaction recélant des crânes dans chacun de ses orifices. La perversion qui accompagne l'horreur de la guerre désigne clairement ici le binôme fascination et abjection comme une sorte de prémonition des camps ; en ce sens, Dali semble plus proche de Bataille que de Breton. »
Les vanités dans l'art contemporain / sous la direction de Anne-Marie Charbonneaux, éd. Flammarion, 2005
Dali ne figure pas parmi les artistes cités dans le livre, mais ce dernier contient quatre essais qui montrent le renouveau du thème des Vanités dans l’art contemporain, depuis le milieu du XXe siècle, la richesse et la grande diversité de ses expressions, formes et intentions. « Pourriture, évanescence, fuite du temps, glissements d’identité, emblèmes de la finitude et de la mort travaillent un grand nombre d’œuvres contemporaines. »
Vanité mort, que me veux-tu? , éd. La Martinière, 2010.
Vanités contemporaines / Evelyne Artaud, éd. Cercle d’art, 2002.
Le trompe-l'œil : de l'Antiquité au XXe siècle / sous la direction de Patrick Mauriès, éd. Gallimard, 1996
Le décryptage des images des vanités produites au XXe siècle doit tenir compte du contexte culturel de l’époque. Dans le cas de Dalí, s’ajoute la nécessité de prendre en considération la personnalité très particulière de l’artiste qui interfère grandement dans le choix et l’élaboration des éléments figurés dans l’image. Ses associations d’idées s’opèrent dans le cadre de ce qu’il a nommé sa méthode paranoïa-critique : « … un délire d’association interprétative comportant une structure systématique. L’activité paranoïa-critique est en fait une méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative-critique des phénomènes délirants. La présence des éléments actifs et systématiques propres à la paranoïa garantit le caractère évolutif et productif propre à l’activité paranoïa-critique. Cela ne suppose pas l’idée de pensée dirigée volontairement, ni de compromis intellectuel quelconque. L’activité critique intervient uniquement comme liquide révélateur des images, associations cohérentes systématiques. L’activité paranoïa-critique est une force organisatrice et productrice de hasard objectif. C’est l’organisation systématique-interprétative du sensationnel matériel, expérimental, surréaliste, épars et narcissique.» [Salvador Dali, La conquête de l’irrationnel, 1935].
Nous vous recommandons l’ouvrage Salvador Dalí, 1904-1989 : l'oeuvre peint... / Robert Descharnes, Gilles Néret, très intéressant parce qu’il a l’ambition de contenir l’intégralité des peintures reconnues de Dalí, tout en rattachant les œuvres à la biographie de l’artiste.
Notons que Dalí a été profondément affecté par la mort de son frère, 9 mois avant sa propre naissance, et qu’il a hérité du même prénom Salvador, ce qui a entraîné des difficultés identitaires qui ont marqué toute son œuvre. Page 431 du livre cité plus haut : « Cette notion du «double», Dali la fait remonter à la mort de son frère, avant sa propre naissance. D'abord on lui attribue le même nom, Salvador; «Crime subconscient», écrit-il, «aggravé du fait que dans la chambre de mes parents - se trouvait en majesté la photographie de Salvador, mon frère mort, à côté de la reproduction d'un Christ crucifié peint par VeIásquez; et cette image du cadavre du Sauveur que Salvador était, sans aucun doute, allé rejoindre dans son ascension angélique, conditionnait en moi un archétype né de l'existence de quatre Salvador qui me cadavérisaient. D'autant que je me mis à ressembler à mon frère mort comme une image dans la glace. Je me crus mort avant de me savoir en vie... Mon psychiatre préféré, Pierre Roumeguère, affirme que, identifié par force à un mort, je n'avais pas d'image véritablement sentie de mon corps autre que celle d'un cadavre putréfié, pourri, mou, rongé de vers. Et il est exact que mes plus lointains souvenirs d'existence forte et vraie se rattachent à la mort... Mes obsessions sexuelles sont liées à des turgescences molles. Je rêve de formes cadavériques, de seins allongés, de chairs coulantes, et les béquilles que bientôt j'adopte comme objet de sacralisation sont, dans mes rêves comme bientôt dans mes tableaux,…»
Il a également perdu sa mère en 1921, c’est-à-dire avant qu’il n’atteigne l’âge de 17 ans, un drame absolu pour l'adolescent.
Attiré par les avancées de la science, il a envisagé la cryogénisation de son corps, et il a expérimenté plusieurs procédés de représentation, en dehors de la peinture (notons à propos de la peinture son souci de précision de rendu dans certaines natures mortes, notamment représentant des corbeilles à pain, qui rejoint la manière des peintres hollandais du XVIIe siècle) qui pourraient tenir un rôle similaire à celui du miroir dans les peintures des vanités : la stéréoscopie et l’holographie. On peut voir certaines de ces œuvres au Teatre-Museu Dalí.
Vous trouverez sur internet le catalogue raisonné des peintures de Dalí, de 1910 à 1951, sur le site de la Fondation Gala-Salvador Dali.
Nous avons également examiné les possibilités d’interprétation des montres molles dans une précédente question posée au guichet du savoir.
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