Question d'origine :
Bonsoir,
Tout d'abord merci pour ce service fort utile que vous proposez.
Ma question est la suivante : quels ont été les changements plus importants, selon les spécialistes, au niveau sociologique et psychologique lors du basculement qu'il y a eu à travers le monde et les âges entre le paganisme et le monothéisme, sans compter la perte de pouvoir du matriarcat.
Encore une fois merci beaucoup pour votre site et très belle soirée.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 01/09/2012 à 11h03
Bonjour,
Il n’existe pas de synthèse complète des changements survenus lors du basculement entre paganisme et monothéisme, comme le précise Yves Lambert dans La naissance des religions (p. 293) :
« La seule tentative systématique d’explication est celle que j’ai mentionnée dans l’introduction, le travail coordonné par S. Eisenstadt et en grande partie publié dans The Origin and diversity of axial age civilizations. Sinon, des spécialistes se sont bien sûrs intéressés à la naissance de chaque religion particulière, des comparatistes ont apporté des réflexions précieuses, M. Gauchet a souligné l’impact de ce tournant. Mais il n’existe pas de synthèse générale …. ».
Lui-même explicite cependant plusieurs de ces changements, mais en se référant plutôt à ce qu’il nomme « le tournant axial universaliste », moment de l’apparition des religions monothéistes mais aussi des religions karmiques. Il reprend ainsi l’idée d’ « âge axial » du philosophe Karl Jaspers.
« Avec ce nom de «Achsenzeit» l'ancien élève de Max Weber, maître de Paul Ricoeur, de Hans-Georg Gadamer et de bien d'autres, a voulu en effet cerner cette époque charnière au cours de laquelle l'humanité se «détache de la magie et du mythe et développe son esprit rationnel». Un moment ramassé selon Karl Jaspers sur deux ou trois siècles, à cheval sur l'an 500 avant Jésus-Christ, pendant lequel, aux quatre coins du monde, des grands penseurs, comme Socrate, Bouddha, Confucius et les grands prophètes bibliques, ont cherché et trouvé des réponses différentes à une même question fondamentale : le sens à donner à la présence de l'homme sur Terre, à l'être dans sa totalité et au mouvement de l'histoire. ».(Philomag).
Vous trouverez aussi une explication simple de ce tournant axial selon Jaspers dans Petit traité d’histoire des religions, Frédéric Lenoir chapitre 5.
Yves Lambert propose donc p. 290 à 297 un petit panorama des principaux bouleversements dus à ce tournant, qu’ils soient sociologiques, historiques ou individuels. Il montre également comment « ces changements sont à mettre en relation avec les transformations générales dont elles sont solidaires : une meilleure connaissance et une plus grande maîtrise de la nature, source de démythologisation et de relativisation des sacrifices ; un développement des classes moyennes urbaines, en particulier la petite bourgeoise et les lettrés, les principaux porteurs de la rationalisation éthico-spirituelle ; l’émergence de la science […] ; un renforcement du pouvoir des états ; un processus de construction d’empires universels [.…] » et comment « la génèse et la diffusion des religions de salut ont pour effet d’accélérer certains de ces changements ».
Nous vous laissons lire, pour plus de détails et d’autres éléments bibliographiques le texte en ligne La mondialisation impériale des monothéismes, Jean-Paul Demoule.
Voir aussi, cité par Y. Lambert : Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde :
« Dans une première partie, l’auteur brosse un tableau du religieux comme phénomène historique et repère ses transformations dans le temps. […] Avec la mutation religieuse axiale (800 à 200 av. JC) apparaît, en même temps que l’État, un dieu unique, tout autre, extérieur à un monde qu’il a créé et auquel il donne un sens accessible aux hommes (la révélation). Rationalité, individualité/liberté, appropriation transformatrice du monde naturel, les trois axes fondamentaux de notre univers selon l’auteur, découlent de cette transformation. Il décrit cette mutation dans tous ses aspects : compréhension du monde, structure de la société, rapport à la nature. ».(recension sur le site de l’IESR)
Brassant moins large que ces visions panoramiques, d’autres textes peuvent néanmoins vous apporter des éléments de réponse :
L’Aventure monothéiste, Isy Morgensztern, qui veut « aborder les monothéismes comme l’on aborde des projets de société »
Enquête sur le Dieu unique, qui pose en introduction la question : "Le monothéisme serait-il alors le premier pas vers la sortie de l’homme de la pensée religieuse, comme l’affirment certains philosophes, ou serait-il responsable des catastrophes écologiques que l’humanité n’a cessé de commettre depuis le début de la révolution industrielle ? », soulignant ainsi, comme dans le corps de l’ouvrage, à quel point le passage au monothéisme a changé les rapports de l’homme et du monde.
Le prix du monothéisme, Jan Assman :
« Allons d’abord à la thèse centrale de Jan Assmann qui nous semble la plus convaincante, celle de la nature traumatique de l’instauration du monothéisme et du bouleversement culturel profond qu’il engendre et qui donne au monothéisme juif ce caractère d’irréductibilité, de définitif, de majeur au milieu de toutes les autres religions de la région. Ce point éclaire du même coup sa pérennité et sa vigueur sur trois millénaires, soulignées par Freud. Assmann insiste sur la notion qu’il ne s’agit ici aucunement d’une évolution mais d’une révolution, d’un choc, dans la mesure où on n’assiste pas seulement à un changement dans le social (disons théologico-politique pour être bref), mais véritablement à un bouleversement dans les règles de la subjectivité allant se répercuter dans leurs effets selon de nouvelles modalités culturelles et une nouvelle façon de penser […]. L’auteur signale toute une série de changements consécutifs à l’irruption du monothéisme, décrivant chacun avec soin et montrant par comparaison en quoi ils tranchent d’avec le dispositif pharaonique. Il est impossible, en un bref commentaire, de tous les citer : cet ouvrage est d’une ampleur et d’une richesse inouïes. ».
Le prix du monothéisme, Jan Assman, compte-rendu de Jean-Paul Hintenbrand, dans la Revue lacanienne, 2007/2, en texte intégral sur Cairn, consultable à la BML.
Autre commentaire : Distinction mosaïque et politique de Jan Assmann, Archives de Philosophie 3/2008 (Tome 71), p. 507-526, également consultable sur Cairn.
Enfin bien sûr, inspiration d’Assmann, le classique L’homme Moïse et le monothéisme, Sigmund Freud :
« Sigmund Freud, dans son essai a analysé les effets traumatisants du monothéisme. Pour lui, le monothéisme signifie le retour du père primitif, ce père assassiné, refoulé, transformé en totem puis en panthéon polythéiste et qui réapparait dans la religion monothéiste et paternaliste » Le traumatisme monothéiste, Jan Assman dans Enquête sur le Dieu unique, déjà cité.
Bonnes lectures !
Il n’existe pas de synthèse complète des changements survenus lors du basculement entre paganisme et monothéisme, comme le précise Yves Lambert dans La naissance des religions (p. 293) :
« La seule tentative systématique d’explication est celle que j’ai mentionnée dans l’introduction, le travail coordonné par S. Eisenstadt et en grande partie publié dans The Origin and diversity of axial age civilizations. Sinon, des spécialistes se sont bien sûrs intéressés à la naissance de chaque religion particulière, des comparatistes ont apporté des réflexions précieuses, M. Gauchet a souligné l’impact de ce tournant. Mais il n’existe pas de synthèse générale …. ».
Lui-même explicite cependant plusieurs de ces changements, mais en se référant plutôt à ce qu’il nomme « le tournant axial universaliste », moment de l’apparition des religions monothéistes mais aussi des religions karmiques. Il reprend ainsi l’idée d’ « âge axial » du philosophe Karl Jaspers.
« Avec ce nom de «Achsenzeit» l'ancien élève de Max Weber, maître de Paul Ricoeur, de Hans-Georg Gadamer et de bien d'autres, a voulu en effet cerner cette époque charnière au cours de laquelle l'humanité se «détache de la magie et du mythe et développe son esprit rationnel». Un moment ramassé selon Karl Jaspers sur deux ou trois siècles, à cheval sur l'an 500 avant Jésus-Christ, pendant lequel, aux quatre coins du monde, des grands penseurs, comme Socrate, Bouddha, Confucius et les grands prophètes bibliques, ont cherché et trouvé des réponses différentes à une même question fondamentale : le sens à donner à la présence de l'homme sur Terre, à l'être dans sa totalité et au mouvement de l'histoire. ».(Philomag).
Vous trouverez aussi une explication simple de ce tournant axial selon Jaspers dans Petit traité d’histoire des religions, Frédéric Lenoir chapitre 5.
Yves Lambert propose donc p. 290 à 297 un petit panorama des principaux bouleversements dus à ce tournant, qu’ils soient sociologiques, historiques ou individuels. Il montre également comment « ces changements sont à mettre en relation avec les transformations générales dont elles sont solidaires : une meilleure connaissance et une plus grande maîtrise de la nature, source de démythologisation et de relativisation des sacrifices ; un développement des classes moyennes urbaines, en particulier la petite bourgeoise et les lettrés, les principaux porteurs de la rationalisation éthico-spirituelle ; l’émergence de la science […] ; un renforcement du pouvoir des états ; un processus de construction d’empires universels [.…] » et comment « la génèse et la diffusion des religions de salut ont pour effet d’accélérer certains de ces changements ».
Nous vous laissons lire, pour plus de détails et d’autres éléments bibliographiques le texte en ligne La mondialisation impériale des monothéismes, Jean-Paul Demoule.
Voir aussi, cité par Y. Lambert : Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde :
« Dans une première partie, l’auteur brosse un tableau du religieux comme phénomène historique et repère ses transformations dans le temps. […] Avec la mutation religieuse axiale (800 à 200 av. JC) apparaît, en même temps que l’État, un dieu unique, tout autre, extérieur à un monde qu’il a créé et auquel il donne un sens accessible aux hommes (la révélation). Rationalité, individualité/liberté, appropriation transformatrice du monde naturel, les trois axes fondamentaux de notre univers selon l’auteur, découlent de cette transformation. Il décrit cette mutation dans tous ses aspects : compréhension du monde, structure de la société, rapport à la nature. ».(recension sur le site de l’IESR)
Brassant moins large que ces visions panoramiques, d’autres textes peuvent néanmoins vous apporter des éléments de réponse :
L’Aventure monothéiste, Isy Morgensztern, qui veut « aborder les monothéismes comme l’on aborde des projets de société »
Enquête sur le Dieu unique, qui pose en introduction la question : "Le monothéisme serait-il alors le premier pas vers la sortie de l’homme de la pensée religieuse, comme l’affirment certains philosophes, ou serait-il responsable des catastrophes écologiques que l’humanité n’a cessé de commettre depuis le début de la révolution industrielle ? », soulignant ainsi, comme dans le corps de l’ouvrage, à quel point le passage au monothéisme a changé les rapports de l’homme et du monde.
Le prix du monothéisme, Jan Assman :
« Allons d’abord à la thèse centrale de Jan Assmann qui nous semble la plus convaincante, celle de la nature traumatique de l’instauration du monothéisme et du bouleversement culturel profond qu’il engendre et qui donne au monothéisme juif ce caractère d’irréductibilité, de définitif, de majeur au milieu de toutes les autres religions de la région. Ce point éclaire du même coup sa pérennité et sa vigueur sur trois millénaires, soulignées par Freud. Assmann insiste sur la notion qu’il ne s’agit ici aucunement d’une évolution mais d’une révolution, d’un choc, dans la mesure où on n’assiste pas seulement à un changement dans le social (disons théologico-politique pour être bref), mais véritablement à un bouleversement dans les règles de la subjectivité allant se répercuter dans leurs effets selon de nouvelles modalités culturelles et une nouvelle façon de penser […]. L’auteur signale toute une série de changements consécutifs à l’irruption du monothéisme, décrivant chacun avec soin et montrant par comparaison en quoi ils tranchent d’avec le dispositif pharaonique. Il est impossible, en un bref commentaire, de tous les citer : cet ouvrage est d’une ampleur et d’une richesse inouïes. ».
Le prix du monothéisme, Jan Assman, compte-rendu de Jean-Paul Hintenbrand, dans la Revue lacanienne, 2007/2, en texte intégral sur Cairn, consultable à la BML.
Autre commentaire : Distinction mosaïque et politique de Jan Assmann, Archives de Philosophie 3/2008 (Tome 71), p. 507-526, également consultable sur Cairn.
Enfin bien sûr, inspiration d’Assmann, le classique L’homme Moïse et le monothéisme, Sigmund Freud :
« Sigmund Freud, dans son essai a analysé les effets traumatisants du monothéisme. Pour lui, le monothéisme signifie le retour du père primitif, ce père assassiné, refoulé, transformé en totem puis en panthéon polythéiste et qui réapparait dans la religion monothéiste et paternaliste » Le traumatisme monothéiste, Jan Assman dans Enquête sur le Dieu unique, déjà cité.
Bonnes lectures !
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