Question d'origine :
Bonjour,
Je ne saisis pas ce que veut dire Albert Camus dans Noces à Tipasa:
la campagne est NOIRE DE SOLEIL.
Cet oxymore m'échappe, pouvez-vous m'éclairer ?
Merci.
Cordialement
Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils.
Réponse du Guichet
gds_ah
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 12/10/2012 à 10h15
Bonjour,
Il semble que l’expression Noire de soleil pourrait en partie être rapprochée de celle de Noir de monde : Elle renvoie à une abondance, une très grande intensité du soleil qui inonde la campagne. L’image évoquée est celle d’un soleil très intense qui envahit le paysage. La poétique de Camus vise à réveiller les sens du lecteur à travers ce texte sensuel, qui renvoie en parallèle à l’amour qu’il ressent pour son amante Chritisane Galindo, avec qui il est allé à Tipasa.
L’ouïe, l’odorat et la vue en viennent même à se fondre dans une expression comme le « tumulte des parfums et du soleil ». Quant au « visage de l’amour » offert par les compagnons de voyage, il est à la fois celui de l’amour humain et de l’amour pour la nature puisque « Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer ». Toutefois, en pénétrant son propre corps du parfum des absinthes, c’est en priorité avec la nature que le narrateur réalise une fusion qu’il est convenu d’appeler « noces ».
Source : Dictionnaire Albert Camus
Associé à la mer, le soleil est léger. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Cette image de la campagne noire de soleil est ambivalente. En effet, le soleil tient une place importante dans l’oeuvre de Camus. « Son caractère paradoxal se confirme par l’image traditionnellement romantique, du soleil noir, récurrente dans l’œuvre de Camus : « nous savons bien, n’est-ce pas, nous autres hommes du Sud, que le soleil a sa face noir ? ». (…) la formule est encore paradoxale puisque le soleil qui éclaire est aussi celui qui brûle. »
Source : Dictionnaire Albert Camus
EXTRAITS DES OUVRAGES CONSULTES
• Oeuvres complètes. 01/ Albert Camus. 1949-1956 / édition publiée sous la direction de Raymond Gay-Crozier ; avec, pour ce volume, la collaboration de Robert Dengler, Eugène Kouchkine, Samantha Novello (Paris, Gallimard, 2008 )
Edition critique des textes de Camus, qui contient également des articles, préfaces et conférences données entre 1949 et 1956, ainsi que des écrits posthumes, 1949-1956.
Au pied de l’imposant massif du Chenoua, Tipasa, ville des premiers siècles chrétiens où demeurent les ruines de thermes romains et la basilique Sainte-Salsa, exerce la même fascination sur le maître et le disciple. L’épanouissement sensuel qu’elle déclenche transforme la volonté de bonheur en une révélation : la parenté entre la nature et l’homme. Tipasa est l’un des lieux de prédilection de Camus. Il se rend souvent en compagnie d’ami(e) ou de femmes aimées dans cette ville de bord de mer située à une soixantaine de kilomètres d’Alger et à une heure et demie d’autocar. Louis Benisti retrouvera, à la lecture du texte, bien des cadences que Camus a improvisées alors qu’ils étaient tous deux en excursion à Tipasa accompagnés ce jour-là de Chritisane Galindo, l’amante de Camus au milieu des années 1930. D’après le témoignage de cet ami sculpteur, celle-ci ne serait pas étrangère à l’inspiration du récit (« la terre » était d’ailleurs le surnom de cette femme sensuelle) : « Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir. » Une fois l’enceinte des ruines franchie, l’intimité du monde et celle du spectateur devenu acteur se touchent et se confondent. Il suffit d’être et de consentir à l’appel du monde pour en cueillir la récompense : reconnaître les forces vitales et vivifiantes du monde sensible, prendre conscience de sa parenté avec lui, avoir foi dans les pouvoirs de la chair. Mais la vérité solaire qui mène à l’extase mène aussi à la négation absolue. Et à la lumière du jour succède l’ombre de la nuit que vont investir des dieux aux « faces ravagées » et nés « dans le cœur de la terre ». L’éclat des matinées de printemps à Tipasa n’est pas tel que parce qu’il se détache sur fond de mort. Il n’est pas d’amour qui ne soit au désespoir. Mordre la vie à pleine dents, dynamique, maîtresse de « Noces à Tipasa », c’est accepter ce fait. (pages 1229-1230)
• Dictionnaire Albert Camus / sous la direction de Jeanyves Guérin; avec la collaboration de Pascale Alexandre-Bergues, Bernard Alluin, Carole Auroy (Paris :R. Laffont, impr. 2009 )
Premier dictionnaire consacré à Albert Camus et à son oeuvre. Chaque oeuvre éditée est analysée, avec ses grands thèmes et les notions qui sous-tendent la pensée de l'auteur. Présentation des principaux personnages de son oeuvre.
Soleil. – Le soleil tient une place singulière dans l’œuvre même s’il ne figure pas parmi ses « dix mots préférés » (énumérés dans les Carnets en 1951). (…) Puissance maléfique, il renvoie au néant, à ce « nada qui n’a pu naître que devant des paysages écrasés de soleil » (Amour de vivre, dans l’Envers et l’Endroit). Ce n’est qu’associé à la mer qu’il devient léger ; « la mer allée avec le soleil », selon la belle formule rimbaldienne, fait naître alors un sentiment d’éternité. Réduit à lui-même, le soleil exprime son intensité héroïque de manière saisissante dan l’Etranger, qualifié par Barthes de « roman solaire ». (…) Son caractère paradoxal se confirme par l’image traditionnellement romantique, du soleil noir, récurrente dans l’œuvre de Camus : « nous savons bien, n’est-ce pas, nous autres hommes du Sud, que le soleil a sa face noir ? ». (…) la formule est encore paradoxale puisque le soleil qui éclaire est aussi celui qui brûle. Ce « soleil inépuisable » qui rayonne au cœur de l’œuvre de camus ne cesse d’être ambivalent. En fait, ce que l’écrivain préfère, ce sont les crépuscules qu’il imagine « comme des promesses de bonheur ». (page 847)
Noces à Tipasa : (…)
Noces est le premier des quatre textes du recueil intitulé Noces. (…)
L’ouïe, l’odorat et la vue en viennent même à se fondre dans une expression comme le « tumulte des parfums et du soleil ». Quant au « visage de l’amour » offert par les compagnons de voyage, il est à la fois celui de l’amour humain et de l’amour pour la nature puisque « Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer ». Toutefois, en pénétrant son propre corps du parfum des absinthes, c’est en priorité avec la nature que le narrateur réalise une fusion qu’il est convenu d’appeler « noces ». (…)
Seul l’amour est capable de mettre en question l’idéal camusien de la mesure. « Ici, je laisse à l’autres l’ordre et la mesure » lit-on chez Camus, qui affirme un peu plus loin « le droit d’aimer sans mesure ». (…) ce paradoxe s’impose, mieux qu’ailleurs, en Algérie, « pays à la fois mesuré et démesuré » (…).
Le récit de la journée à Tipasa s’achève au moment où l’ombre gagne le ciel. (…)Il se restreint toutefois, aux dernières lignes du texte, à ceux qui ont la chance de pouvoir communier avec le soleil et la mer (…). (pages 620-621-622)
AUTRES SOURCES CONSULTEES
• Editions.cenarestgabon.com
• Academon.fr
• Tipaza.typepad.fr
• Cyberprofs.com
• Oodoc.com
• Fsu.valahia.ro
• Dissertationsgratuites.com
• Wikipedia
• Intellego.fr
• e-litterature.net
• Google books
Il semble que l’expression Noire de soleil pourrait en partie être rapprochée de celle de Noir de monde : Elle renvoie à une abondance, une très grande intensité du soleil qui inonde la campagne. L’image évoquée est celle d’un soleil très intense qui envahit le paysage. La poétique de Camus vise à réveiller les sens du lecteur à travers ce texte sensuel, qui renvoie en parallèle à l’amour qu’il ressent pour son amante Chritisane Galindo, avec qui il est allé à Tipasa.
L’ouïe, l’odorat et la vue en viennent même à se fondre dans une expression comme le « tumulte des parfums et du soleil ». Quant au « visage de l’amour » offert par les compagnons de voyage, il est à la fois celui de l’amour humain et de l’amour pour la nature puisque « Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer ». Toutefois, en pénétrant son propre corps du parfum des absinthes, c’est en priorité avec la nature que le narrateur réalise une fusion qu’il est convenu d’appeler « noces ».
Source : Dictionnaire Albert Camus
Associé à la mer, le soleil est léger. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Cette image de la campagne noire de soleil est ambivalente. En effet, le soleil tient une place importante dans l’oeuvre de Camus. « Son caractère paradoxal se confirme par l’image traditionnellement romantique, du soleil noir, récurrente dans l’œuvre de Camus : « nous savons bien, n’est-ce pas, nous autres hommes du Sud, que le soleil a sa face noir ? ». (…) la formule est encore paradoxale puisque le soleil qui éclaire est aussi celui qui brûle. »
Source : Dictionnaire Albert Camus
EXTRAITS DES OUVRAGES CONSULTES
• Oeuvres complètes. 01/ Albert Camus. 1949-1956 / édition publiée sous la direction de Raymond Gay-Crozier ; avec, pour ce volume, la collaboration de Robert Dengler, Eugène Kouchkine, Samantha Novello (Paris, Gallimard, 2008 )
Edition critique des textes de Camus, qui contient également des articles, préfaces et conférences données entre 1949 et 1956, ainsi que des écrits posthumes, 1949-1956.
Au pied de l’imposant massif du Chenoua, Tipasa, ville des premiers siècles chrétiens où demeurent les ruines de thermes romains et la basilique Sainte-Salsa, exerce la même fascination sur le maître et le disciple. L’épanouissement sensuel qu’elle déclenche transforme la volonté de bonheur en une révélation : la parenté entre la nature et l’homme. Tipasa est l’un des lieux de prédilection de Camus. Il se rend souvent en compagnie d’ami(e) ou de femmes aimées dans cette ville de bord de mer située à une soixantaine de kilomètres d’Alger et à une heure et demie d’autocar. Louis Benisti retrouvera, à la lecture du texte, bien des cadences que Camus a improvisées alors qu’ils étaient tous deux en excursion à Tipasa accompagnés ce jour-là de Chritisane Galindo, l’amante de Camus au milieu des années 1930. D’après le témoignage de cet ami sculpteur, celle-ci ne serait pas étrangère à l’inspiration du récit (« la terre » était d’ailleurs le surnom de cette femme sensuelle) : « Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir. » Une fois l’enceinte des ruines franchie, l’intimité du monde et celle du spectateur devenu acteur se touchent et se confondent. Il suffit d’être et de consentir à l’appel du monde pour en cueillir la récompense : reconnaître les forces vitales et vivifiantes du monde sensible, prendre conscience de sa parenté avec lui, avoir foi dans les pouvoirs de la chair. Mais la vérité solaire qui mène à l’extase mène aussi à la négation absolue. Et à la lumière du jour succède l’ombre de la nuit que vont investir des dieux aux « faces ravagées » et nés « dans le cœur de la terre ». L’éclat des matinées de printemps à Tipasa n’est pas tel que parce qu’il se détache sur fond de mort. Il n’est pas d’amour qui ne soit au désespoir. Mordre la vie à pleine dents, dynamique, maîtresse de « Noces à Tipasa », c’est accepter ce fait. (pages 1229-1230)
• Dictionnaire Albert Camus / sous la direction de Jeanyves Guérin; avec la collaboration de Pascale Alexandre-Bergues, Bernard Alluin, Carole Auroy (Paris :R. Laffont, impr. 2009 )
Premier dictionnaire consacré à Albert Camus et à son oeuvre. Chaque oeuvre éditée est analysée, avec ses grands thèmes et les notions qui sous-tendent la pensée de l'auteur. Présentation des principaux personnages de son oeuvre.
Noces est le premier des quatre textes du recueil intitulé Noces. (…)
L’ouïe, l’odorat et la vue en viennent même à se fondre dans une expression comme le « tumulte des parfums et du soleil ». Quant au « visage de l’amour » offert par les compagnons de voyage, il est à la fois celui de l’amour humain et de l’amour pour la nature puisque « Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer ». Toutefois, en pénétrant son propre corps du parfum des absinthes, c’est en priorité avec la nature que le narrateur réalise une fusion qu’il est convenu d’appeler « noces ». (…)
Seul l’amour est capable de mettre en question l’idéal camusien de la mesure. « Ici, je laisse à l’autres l’ordre et la mesure » lit-on chez Camus, qui affirme un peu plus loin « le droit d’aimer sans mesure ». (…) ce paradoxe s’impose, mieux qu’ailleurs, en Algérie, « pays à la fois mesuré et démesuré » (…).
Le récit de la journée à Tipasa s’achève au moment où l’ombre gagne le ciel. (…)Il se restreint toutefois, aux dernières lignes du texte, à ceux qui ont la chance de pouvoir communier avec le soleil et la mer (…). (pages 620-621-622)
AUTRES SOURCES CONSULTEES
• Editions.cenarestgabon.com
• Academon.fr
• Tipaza.typepad.fr
• Cyberprofs.com
• Oodoc.com
• Fsu.valahia.ro
• Dissertationsgratuites.com
• Wikipedia
• Intellego.fr
• e-litterature.net
• Google books
Réponse du Guichet
gds_ah
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 16/10/2012 à 07h41
Bonjour,
Nous souhaitons apporter un complément d’informations au sujet de la phrase : « la campagne est noire de soleil ».
L’ouvrage Soleil et mesure dans l’œuvre d’Albert Camus de Karl Modler donne ces précisions quant au soleil :
Eléments de forces naturelles, le soleil et la lumière se rapportent souvent à un jeu de froid et de chaleur, de brûlure et de rafraichissement, provocant ainsi une prise de conscience de la part du sujet. Cette prise de conscience peut se limiter au champ de la corporalité ou se référer aux thématiques de la mort et de l’angoisse, et placer le sujet dans une situation dite « existentielle ».
Normalement le soleil est associé à la lumière et est opposé à la nuit, à l’ombre, au froid, à la pluie ou à la lune. L’idée d’un soleil noir est également évoquée sur un plan littéraire : « A certaines heures, la campagne est noire de soleil » (OE II, p. 55). Le lien entre le soleil et la campagne noire ne peut être garanti que par l’idée d’une lumière noire et violente : « la révélation de cette lumière, si éclatante qu’elle en devient noire et blanche, a d’abord quelques chose de suffocant » (OE II, p. 847). Cette double-face de la lumière relève d’une caractéristique du style camusien, à savoir de l’emploi prédominant de notions contraires ou contradictoires.
Nous souhaitons apporter un complément d’informations au sujet de la phrase : « la campagne est noire de soleil ».
L’ouvrage Soleil et mesure dans l’œuvre d’Albert Camus de Karl Modler donne ces précisions quant au soleil :
Eléments de forces naturelles, le soleil et la lumière se rapportent souvent à un jeu de froid et de chaleur, de brûlure et de rafraichissement, provocant ainsi une prise de conscience de la part du sujet. Cette prise de conscience peut se limiter au champ de la corporalité ou se référer aux thématiques de la mort et de l’angoisse, et placer le sujet dans une situation dite « existentielle ».
Normalement le soleil est associé à la lumière et est opposé à la nuit, à l’ombre, au froid, à la pluie ou à la lune. L’idée d’un soleil noir est également évoquée sur un plan littéraire : « A certaines heures, la campagne est noire de soleil » (OE II, p. 55). Le lien entre le soleil et la campagne noire ne peut être garanti que par l’idée d’une lumière noire et violente : « la révélation de cette lumière, si éclatante qu’elle en devient noire et blanche, a d’abord quelques chose de suffocant » (OE II, p. 847). Cette double-face de la lumière relève d’une caractéristique du style camusien, à savoir de l’emploi prédominant de notions contraires ou contradictoires.
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