Question d'origine :
Quels sont les impacts d'Amazon tant négatifs que positifs (s'il y en a) sur les libraires et leurs librairies traditionnelles ?
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 27/11/2012 à 16h12
Bonjour,
Vaste sujet. Aussi allons-nous vous proposer de premières orientations qui vous permettront de poser les aspects négatifs et positifs des impacts d'Amazon.
Tout d’abord nous vous conseillons de consulter la presse qui fournit de très nombreuses analyses. Vous pouvez le faire à partir de la base de données Europresse disponible dans les bibliothèques du réseau BML.
Dernièrement, Amazon a annoncé l’ouverture d’un quatrième centre dans le nord de la France entraînant la création de 2500 emplois (voir par exemple l’article publié dans Libération)
Néanmoins ce bilan positif peut être contrebalancé par le fait que l’implantation d’amazon déstabilise le marché du livre et affaiblit les librairires.
Ainsi, Philippe Cohen explique dans son article Comment Amazon menace l'édition française :
Alors que la fameuse librairie en ligne ne cesse de monter en puissance, l'implantation d'autres grands groupes américains comme Google et la percée des liseuses numériques bouleversent tout le marché du livre.
Heureux comme un éditeur en France. Crise ou pas, le métier coulait jusqu'ici des jours paisibles. En 2010, le chiffre d'affaires du secteur atteignait 2,8 milliards, contre 2,4 en 2000. Les romans, produit noble, y occupent encore aujourd'hui la première place. Chaque année, il se vend en France 16 000 exemplaires de Du côté de chez Swann, de Proust, et 67 000 de Voyage au bout de la nuit, de Céline*. Bref, voilà deux ans encore, les éditeurs envisageaient l'avenir avec confiance au moment où les deux voisins du livre - la musique et le cinéma - constataient avec effroi le péril généré par la numérisation des oeuvres.
Et puis, presque brusquement dans un monde où l'immuable est si présent, l'anxiété a gagné les bureaux des maisons où oeuvrent tout de même 10 000 salariés. Il y a d'abord eu la baisse des ventes de livres, particulièrement sensible en 2011, - 1,4 %.
Une paille, pourtant, à côté des vrais cumulonimbus annoncés qui terrorisent tout le monde à Saint-Germain-des-Prés. Ces nuages sont américains. Ils s'appellent Apple, Google et Amazon. Trois monstres, dont l'action conjuguée menace de déstabiliser sérieusement le secteur. L'inquiétude des éditeurs, recoupant parfois des questions assez techniques, n'est pas toujours facile à comprendre. Mais elle est absolument centrale pour notre avenir de lecteurs : l'enjeu consiste, en effet, à savoir si l'édition sera reformatée, ne nous offrant plus qu'un nombre limité d'ouvrages plébiscités par un large public.
L'attaque des «belles américaines» cible l'édition de plusieurs côtés au même moment. Elle menace tout d'abord le prix unique du livre, qui régit le secteur depuis la loi Lang en 1981 et s'est étendu en Allemagne, au Japon et dans 11 autres pays. De fait, Amazon transgresse déjà cette loi de deux façons. D'abord, l'expédition gratuite. Logiquement, le prix de la livraison devrait s'ajouter à celui du livre. En l'offrant, Amazon déploie un argument concurrentiel décisif, notamment vis-à-vis des gros lecteurs. En trois clics, ils peuvent recevoir l'ouvrage convoité sans se déplacer. La profession a déjà traduit Amazon devant les tribunaux. Las... La société de Jeff Bezos, qui préfère payer de bons avocats plutôt que de bons communicants (lire l'encadré, p. 82) a gagné ce droit d'offrir la livraison. En revanche, les éditeurs ont gagné la bataille de la TVA du livre numérique, qui a été alignée à leur demande sur le taux du livre papier, contre l'avis des mastodontes anglo-saxons défendant l'idée que le livre serait, sur Internet, «un service comme un autre».
Danger numérique
Autre Scud du site Amazon, le marché de l'occasion que la société a fait fructifier. Amazon y occupe une place si dominante que la plupart des revendeurs vendent désormais sous son label. Du coup, il est possible de trouver sur amazon.com à peu près n'importe quel ouvrage grand public à moitié prix quinze jours seulement après sa sortie en librairies. Les dizaines de milliers d'ouvrages envoyés en service de presse aux journalistes joueraient d'ailleurs un rôle essentiel dans cette «e-braderie».
Deuxième front pour les éditeurs, le livre de poche. Il ne représente que 12,7 % du chiffre d'affaires du secteur, mais 32 % des recettes de la littérature et constitue un «matelas» pour les éditeurs. Le poche ne reprend en effet que des titres généralement amortis, générant ainsi des marges indispensables aux éditeurs. Or, aux Etats-Unis, où le chiffre d'affaires du livre numérique atteint désormais 25 % des ventes de livres (et la majorité des recettes d'Amazon), le paperback (livre de poche) est le segment le plus fragilisé par la révolution numérique. Pour le moment, les éditeurs se contentent d'aligner le prix de l'édition numérique sur celui du poche. Une position délicate à défendre à long terme quand on sait que le numérique permet de diviser par deux les coûts d'édition. La frilosité des éditeurs français sur le livre numérique, qui consiste avant tout à tenter de retarder sa progression, rappelle la réaction des maisons de disques face à la révolution numérique... Hélas, en six ans, l'industrie du disque a vu son chiffre d'affaires divisé par deux. Les éditeurs jurent la main sur le coeur qu'ils ont compris le message. Mais, en attendant, les prix des livres numériques sont minorés d'à peine 20 %, les services de presse de ces livres ne sont pas ou peu envoyés aux sites et aux blogueurs influents et les catalogues numériques tardent à voir le jour.
Enfin, à plus long terme, c'est toute la chaîne du livre que le numérique risque de déstabiliser, et d'abord les librairies, bien sûr. Aux Etats-Unis, le réseau de 700 points de vente Borders, qui était le deuxième du pays, a fait faillite en 2011.
Un marché faussé
En France, les librairies indépendantes, qui représentent encore 29,6 % du chiffre d'affaires des éditeurs (chiffres 2011 du Syndicat national de l'édition), ne peuvent suivre les évolutions en cours. Sous-capitalisées, elles sont absentes du Web. Les ventes de livres numériques vont également diminuer leur activité. Et que faire contre Amazon - on ne le répétera jamais assez -, capable de livrer n'importe quel ouvrage en quarante-huit heures, ou contre Google avec sa liseuse, qui se substitue aux conseils des libraires en proposant un panel de critiques publiées sur la Toile pour chaque livre ? Hachette s'efforce d'inciter son centre de logistique de Maurepas à raccourcir les délais d'expédition. Mais cela ne contiendrait de toute façon qu'une petite partie de l'hémorragie. «Les études montrent, explique Ronald Blunden, directeur de la communication d'Hachette- Livres, que la moitié des achats de livres est aléatoire : le client venu acheter un ouvrage repart de la librairie avec un second découvert en rayon.» Les éditeurs pressent le gouvernement et les collectivités d'aider les librairies de centre-ville. De son côté, Martine Lemalet, qui dirige les éditions Manuscrit.com, centrées sur le numérique, propose aux libraires un présentoir de fiches dotées d'un code permettant au client de payer sur place un livre numérique. Mais ces idées, aussi louables soient-elles, sont d'une portée limitée, et les tentatives des libraires d'organiser un site concurrent d'Amazon ne semblent guère avancer. Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue le Débat chez Gallimard, prend la menace pesant sur les libraires au sérieux : «Il faut bien se rendre compte que toute librairie apparaît comme insuffisante dans son offre et trop peu neutre dans ses choix, au regard de la librairie universelle que chaque client a dans l'esprit.»
Si Amazon menace donc la librairie physique, il compromet aussi l'avenir des éditeurs. Sa philosophie a du reste été résumée de façon laconique par l'un de ses dirigeants en novembre 2011 : «Seuls l'auteur et le lecteur comptent.» En sus de ses services traditionnels, Amazon offre ainsi un service d'autoédition qui restitue à l'auteur 70 % des ventes, contre 8 à 15 % pour un contrat classique ! Kathryn Stockett, auteur du best-seller américain The Help, qui a donné lieu à une adaptation au cinéma, la Couleur des sentiments, a fortement contribué à soutenir la mythologie de l'auteur génial que les éditeurs traditionnels auraient manquée : «Et si je m'étais arrêtée au bout de 15, de 40, voire de 60 refus ? Où serais-je à présent ? Combien de grands manuscrits sont rangés dans un tiroir ?» Autre exemple désormais fameux, celui de la Britannique E. L. James, dont le roman érotico-sado-masochiste triomphal, Fifty Shades Of Grey - traduit en octobre chez Lattès - a d'abord été autoédité sous forme de série sur le Web, avant d'être repris par les éditeurs et de se vendre à 5 millions d'exemplaires dans le monde.
Ces cas sont certes exceptionnels. En France, les premiers succès de ce genre - 1 000 à 2 000 exemplaires pour des polars - sont encore timides. En revanche, Amazon peut tout à fait proposer à des auteurs confirmés des droits d'auteur doublés ou triplés par rapport à ceux qu'ils perçoivent actuellement. Un combat forcément inéquitable : c'est justement le maintien de droits d'auteur à 15 % pour les écrivains les plus confirmés qui assurent aux éditeurs la capacité financière de prendre encore quelques risques en publiant de jeunes auteurs.
Outre ces différents séismes, le numérique déstabilise aussi le coeur nucléaire de l'industrie du livre : la diffusion et la distribution. La structure de l'édition française est oligopolistique : on recense un bon millier de maisons d'édition, mais elles ne sont que quatre à réaliser 70 % du chiffre d'affaires de l'ensemble du marché (Hachette, Editis-Interforum, Gallimard-Sodis et Seuil-Volumen). Ces mastodontes tendent à faire remonter les profits du secteur dans la diffusion et la distribution, ce qui leur permet de s'imposer dans les négociations commerciales. On touche là au véritable secret défense de l'édition : quelle ristourne demande la Fnac ou Leclerc à un éditeur pour mettre en avant tel ouvrage ? Officiellement, la distribution des livres obéit à des règles - les conditions générales de vente - pour lesquelles le volume n'est pas le seul critère. Mais qu'en est-il dans la réalité ? Or, c'est justement ce secteur de la distribution que menace en premier lieu la montée en puissance du numérique dans le livre. Amazon n'a besoin que d'une quinzaine de volumes pour proposer un ouvrage à ses lecteurs. La tentation sera donc grande pour les propriétaires de «tuyaux» (Amazon, Apple, Google) de vendre leur savoir-faire en termes de recommandation en faisant payer aux éditeurs des messages du type «Vous avez aimé l'ouvrage X, ne manquez pas l'ouvrage Y !» Et si, demain, Amazon, Apple - à travers son iPad - ou Google représentent une part décisive des ventes d'un livre, ces sociétés seront en position d'imposer des ristournes aux éditeurs…
Dans ce sens, Rue89, le vendredi 14 septembre 2012, insiste sur le fait qu’« Amazon dicte sa loi et asphyxie les petits éditeurs »
Pour compléter cette première approche nous vous suggérons les lectures suivantes :
Amazon.com: les dessous d'une aventure qui a révolutionné le monde des affaires : se propulser vers les plus hauts sommets / Robert Spector, 2001 : Découvrez la vision de Jeff Bezos, roi du commerce électronique, devenu l'un des hommes les plus fortunés de la planète
Narre et analyse la fulgurante ascension d'Amazon, référence dans le domaine du commerce électronique.
Amazon : les secrets de la réussite de Jeff Bezos / Richard L. Brandt; traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Liliane Messika; préface de Stéphane Distinguin, 2012 : Un portrait du fondateur d'Amazon qui s'appuie sur des témoignages recueillis auprès d'employés de l'entreprise.
Pour élargir notre propos, sachez que le Guichet du Savoir a fréquemment traité ce type de sujet dont :
* le livre numérique
* librairies indépendantes et le livre numérique
Vaste sujet. Aussi allons-nous vous proposer de premières orientations qui vous permettront de poser les aspects négatifs et positifs des impacts d'Amazon.
Tout d’abord nous vous conseillons de consulter la presse qui fournit de très nombreuses analyses. Vous pouvez le faire à partir de la base de données Europresse disponible dans les bibliothèques du réseau BML.
Dernièrement, Amazon a annoncé l’ouverture d’un quatrième centre dans le nord de la France entraînant la création de 2500 emplois (voir par exemple l’article publié dans Libération)
Néanmoins ce bilan positif peut être contrebalancé par le fait que l’implantation d’amazon déstabilise le marché du livre et affaiblit les librairires.
Ainsi, Philippe Cohen explique dans son article Comment Amazon menace l'édition française :
Alors que la fameuse librairie en ligne ne cesse de monter en puissance, l'implantation d'autres grands groupes américains comme Google et la percée des liseuses numériques bouleversent tout le marché du livre.
Heureux comme un éditeur en France. Crise ou pas, le métier coulait jusqu'ici des jours paisibles. En 2010, le chiffre d'affaires du secteur atteignait 2,8 milliards, contre 2,4 en 2000. Les romans, produit noble, y occupent encore aujourd'hui la première place. Chaque année, il se vend en France 16 000 exemplaires de Du côté de chez Swann, de Proust, et 67 000 de Voyage au bout de la nuit, de Céline*. Bref, voilà deux ans encore, les éditeurs envisageaient l'avenir avec confiance au moment où les deux voisins du livre - la musique et le cinéma - constataient avec effroi le péril généré par la numérisation des oeuvres.
Et puis, presque brusquement dans un monde où l'immuable est si présent, l'anxiété a gagné les bureaux des maisons où oeuvrent tout de même 10 000 salariés. Il y a d'abord eu la baisse des ventes de livres, particulièrement sensible en 2011, - 1,4 %.
Une paille, pourtant, à côté des vrais cumulonimbus annoncés qui terrorisent tout le monde à Saint-Germain-des-Prés. Ces nuages sont américains. Ils s'appellent Apple, Google et Amazon. Trois monstres, dont l'action conjuguée menace de déstabiliser sérieusement le secteur. L'inquiétude des éditeurs, recoupant parfois des questions assez techniques, n'est pas toujours facile à comprendre. Mais elle est absolument centrale pour notre avenir de lecteurs : l'enjeu consiste, en effet, à savoir si l'édition sera reformatée, ne nous offrant plus qu'un nombre limité d'ouvrages plébiscités par un large public.
L'attaque des «belles américaines» cible l'édition de plusieurs côtés au même moment. Elle menace tout d'abord le prix unique du livre, qui régit le secteur depuis la loi Lang en 1981 et s'est étendu en Allemagne, au Japon et dans 11 autres pays. De fait, Amazon transgresse déjà cette loi de deux façons. D'abord, l'expédition gratuite. Logiquement, le prix de la livraison devrait s'ajouter à celui du livre. En l'offrant, Amazon déploie un argument concurrentiel décisif, notamment vis-à-vis des gros lecteurs. En trois clics, ils peuvent recevoir l'ouvrage convoité sans se déplacer. La profession a déjà traduit Amazon devant les tribunaux. Las... La société de Jeff Bezos, qui préfère payer de bons avocats plutôt que de bons communicants (lire l'encadré, p. 82) a gagné ce droit d'offrir la livraison. En revanche, les éditeurs ont gagné la bataille de la TVA du livre numérique, qui a été alignée à leur demande sur le taux du livre papier, contre l'avis des mastodontes anglo-saxons défendant l'idée que le livre serait, sur Internet, «un service comme un autre».
Danger numérique
Autre Scud du site Amazon, le marché de l'occasion que la société a fait fructifier. Amazon y occupe une place si dominante que la plupart des revendeurs vendent désormais sous son label. Du coup, il est possible de trouver sur amazon.com à peu près n'importe quel ouvrage grand public à moitié prix quinze jours seulement après sa sortie en librairies. Les dizaines de milliers d'ouvrages envoyés en service de presse aux journalistes joueraient d'ailleurs un rôle essentiel dans cette «e-braderie».
Deuxième front pour les éditeurs, le livre de poche. Il ne représente que 12,7 % du chiffre d'affaires du secteur, mais 32 % des recettes de la littérature et constitue un «matelas» pour les éditeurs. Le poche ne reprend en effet que des titres généralement amortis, générant ainsi des marges indispensables aux éditeurs. Or, aux Etats-Unis, où le chiffre d'affaires du livre numérique atteint désormais 25 % des ventes de livres (et la majorité des recettes d'Amazon), le paperback (livre de poche) est le segment le plus fragilisé par la révolution numérique. Pour le moment, les éditeurs se contentent d'aligner le prix de l'édition numérique sur celui du poche. Une position délicate à défendre à long terme quand on sait que le numérique permet de diviser par deux les coûts d'édition. La frilosité des éditeurs français sur le livre numérique, qui consiste avant tout à tenter de retarder sa progression, rappelle la réaction des maisons de disques face à la révolution numérique... Hélas, en six ans, l'industrie du disque a vu son chiffre d'affaires divisé par deux. Les éditeurs jurent la main sur le coeur qu'ils ont compris le message. Mais, en attendant, les prix des livres numériques sont minorés d'à peine 20 %, les services de presse de ces livres ne sont pas ou peu envoyés aux sites et aux blogueurs influents et les catalogues numériques tardent à voir le jour.
Enfin, à plus long terme, c'est toute la chaîne du livre que le numérique risque de déstabiliser, et d'abord les librairies, bien sûr. Aux Etats-Unis, le réseau de 700 points de vente Borders, qui était le deuxième du pays, a fait faillite en 2011.
Un marché faussé
En France, les librairies indépendantes, qui représentent encore 29,6 % du chiffre d'affaires des éditeurs (chiffres 2011 du Syndicat national de l'édition), ne peuvent suivre les évolutions en cours. Sous-capitalisées, elles sont absentes du Web. Les ventes de livres numériques vont également diminuer leur activité. Et que faire contre Amazon - on ne le répétera jamais assez -, capable de livrer n'importe quel ouvrage en quarante-huit heures, ou contre Google avec sa liseuse, qui se substitue aux conseils des libraires en proposant un panel de critiques publiées sur la Toile pour chaque livre ? Hachette s'efforce d'inciter son centre de logistique de Maurepas à raccourcir les délais d'expédition. Mais cela ne contiendrait de toute façon qu'une petite partie de l'hémorragie. «Les études montrent, explique Ronald Blunden, directeur de la communication d'Hachette- Livres, que la moitié des achats de livres est aléatoire : le client venu acheter un ouvrage repart de la librairie avec un second découvert en rayon.» Les éditeurs pressent le gouvernement et les collectivités d'aider les librairies de centre-ville. De son côté, Martine Lemalet, qui dirige les éditions Manuscrit.com, centrées sur le numérique, propose aux libraires un présentoir de fiches dotées d'un code permettant au client de payer sur place un livre numérique. Mais ces idées, aussi louables soient-elles, sont d'une portée limitée, et les tentatives des libraires d'organiser un site concurrent d'Amazon ne semblent guère avancer. Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue le Débat chez Gallimard, prend la menace pesant sur les libraires au sérieux : «Il faut bien se rendre compte que toute librairie apparaît comme insuffisante dans son offre et trop peu neutre dans ses choix, au regard de la librairie universelle que chaque client a dans l'esprit.»
Si Amazon menace donc la librairie physique, il compromet aussi l'avenir des éditeurs. Sa philosophie a du reste été résumée de façon laconique par l'un de ses dirigeants en novembre 2011 : «Seuls l'auteur et le lecteur comptent.» En sus de ses services traditionnels, Amazon offre ainsi un service d'autoédition qui restitue à l'auteur 70 % des ventes, contre 8 à 15 % pour un contrat classique ! Kathryn Stockett, auteur du best-seller américain The Help, qui a donné lieu à une adaptation au cinéma, la Couleur des sentiments, a fortement contribué à soutenir la mythologie de l'auteur génial que les éditeurs traditionnels auraient manquée : «Et si je m'étais arrêtée au bout de 15, de 40, voire de 60 refus ? Où serais-je à présent ? Combien de grands manuscrits sont rangés dans un tiroir ?» Autre exemple désormais fameux, celui de la Britannique E. L. James, dont le roman érotico-sado-masochiste triomphal, Fifty Shades Of Grey - traduit en octobre chez Lattès - a d'abord été autoédité sous forme de série sur le Web, avant d'être repris par les éditeurs et de se vendre à 5 millions d'exemplaires dans le monde.
Ces cas sont certes exceptionnels. En France, les premiers succès de ce genre - 1 000 à 2 000 exemplaires pour des polars - sont encore timides. En revanche, Amazon peut tout à fait proposer à des auteurs confirmés des droits d'auteur doublés ou triplés par rapport à ceux qu'ils perçoivent actuellement. Un combat forcément inéquitable : c'est justement le maintien de droits d'auteur à 15 % pour les écrivains les plus confirmés qui assurent aux éditeurs la capacité financière de prendre encore quelques risques en publiant de jeunes auteurs.
Outre ces différents séismes, le numérique déstabilise aussi le coeur nucléaire de l'industrie du livre : la diffusion et la distribution. La structure de l'édition française est oligopolistique : on recense un bon millier de maisons d'édition, mais elles ne sont que quatre à réaliser 70 % du chiffre d'affaires de l'ensemble du marché (Hachette, Editis-Interforum, Gallimard-Sodis et Seuil-Volumen). Ces mastodontes tendent à faire remonter les profits du secteur dans la diffusion et la distribution, ce qui leur permet de s'imposer dans les négociations commerciales. On touche là au véritable secret défense de l'édition : quelle ristourne demande la Fnac ou Leclerc à un éditeur pour mettre en avant tel ouvrage ? Officiellement, la distribution des livres obéit à des règles - les conditions générales de vente - pour lesquelles le volume n'est pas le seul critère. Mais qu'en est-il dans la réalité ? Or, c'est justement ce secteur de la distribution que menace en premier lieu la montée en puissance du numérique dans le livre. Amazon n'a besoin que d'une quinzaine de volumes pour proposer un ouvrage à ses lecteurs. La tentation sera donc grande pour les propriétaires de «tuyaux» (Amazon, Apple, Google) de vendre leur savoir-faire en termes de recommandation en faisant payer aux éditeurs des messages du type «Vous avez aimé l'ouvrage X, ne manquez pas l'ouvrage Y !» Et si, demain, Amazon, Apple - à travers son iPad - ou Google représentent une part décisive des ventes d'un livre, ces sociétés seront en position d'imposer des ristournes aux éditeurs…
Dans ce sens, Rue89, le vendredi 14 septembre 2012, insiste sur le fait qu’« Amazon dicte sa loi et asphyxie les petits éditeurs »
Pour compléter cette première approche nous vous suggérons les lectures suivantes :
Amazon.com: les dessous d'une aventure qui a révolutionné le monde des affaires : se propulser vers les plus hauts sommets / Robert Spector, 2001 : Découvrez la vision de Jeff Bezos, roi du commerce électronique, devenu l'un des hommes les plus fortunés de la planète
Narre et analyse la fulgurante ascension d'Amazon, référence dans le domaine du commerce électronique.
Amazon : les secrets de la réussite de Jeff Bezos / Richard L. Brandt; traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Liliane Messika; préface de Stéphane Distinguin, 2012 : Un portrait du fondateur d'Amazon qui s'appuie sur des témoignages recueillis auprès d'employés de l'entreprise.
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* le livre numérique
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