Question d'origine :
pourquoi l'élection du pape reste tout un secret et qu'aucun cardinal ne peut dévoiler ce qui s'est passé lors du conclave? Est-ce une preuve de transparence?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/03/2013 à 09h31
Bonjour,
Voici d’abord un petit résumé de l'histoire du conclave tiré de l’ABCdaire des papes, Pierre Chavot :
article Election : « Durant les premiers siècles, le pape est élu, comme tous les évêques, par les habitants et le clergé de son diocèse, Rome. Mais l’ingérence des pouvoirs laïcs et l’aval obligatoire des empires poussent Nicolas II (1059) et Alexandre II (1179) à modifier le mode de scrutin par des bulles : les papes seront désormais élus par les seuls cardinaux du Sacré Collège, avec au moins deux tiers des voix –majorité toujours en vigueur. Les délibérations, ralenties par les rivalités et les pressions laïques, peuvent durer plusieurs mois. Par exemple, la succession de Clément IV, mort en 1268, prend deux ans et demi. Et il a fallu enfermer les électeurs, nourris au pain et à l’eau, murer les issues jusqu’à l’élection de Grégoire X. Ce pape s’empresse d’ailleurs d’officialiser ce principe en 1274, marquant la naissance effective du conclave, en latin « pièce fermée », au sens propre comme au sens figuré. » p. 58
Les différents textes que nous avons trouvés justifient tous ce secret par la volonté d’aller plus vite et par le besoin de limiter les pouvoirs des cardinaux et de s’assurer qu’ils soient à l’abri des pressions :
p. 52-53, « Loin des pressions extérieures, et à l’abri des ingérences séculières, les cardinaux se réunissent en conclave. Mot à mot, conclave veut dire cum clave, sous clé. Son invention s’est faite à Viterbe, en 1271. Dix sept cardinaux ne parvenaient pas à s’entendre pour donner un successeur à Clément IV. Devant ce désaccord persistant, le bon peuple chrétien, dans son impatience, les enferma et les condamna au pain et à l’eau pour les inciter à plus de sagesse. La méthode s’avéra excellente. Le nouvel élu, Grégoire X, l’érigea en règle. Elle est encore appliquée aujourd’hui, non sans de nombreuses adaptations. »… « Tous les cardinaux électeurs sont logés dans l’édifice appelé Maison Sainte- Marthe, récemment construit dans la cité du Vatican, et qui, comme la chapelle Sixtine où a lieu l’élection, doit être fermée… à toute personne non autorisée… Aucun moyen d’enregistrement ou de transmission audiovisuelle ne doit être introduit. Et les cardinaux doivent s’abstenir de recevoir la presse quotidienne et périodique de toute nature, d’écouter des émissions radiophoniques ou de regarder la télévision. »
Source : Le pape, Paul Poupard.
« Le pape promulga le 7 juillet 1274 la constitution Ubi majus periculum, approuvée par le second concile de Lyon [..]. En voici les points essentiels : les cardinaux, après avoir attendu dix jours leurs collègues, se réunissent dans le palais où est mort le pape, dans un local strictement clos et soumis à une discrétion absolue et un régime de vie d’autant plus austère que l’élection tarde ; ne percevant aucun revenu pendant le conclave, ils ne s’occupent que de l’élection, sauf cas de danger imminent pour les Etats de l’Eglise ; les autorités locales ont la charge de veiller au bon déroulement du conclave, sans en aggraver les mesures. La marge de manœuvre des cardinaux ou de puissances extérieures était donc fortement limitée. »
Source : Dictionnaire historique de la papauté, sous la dir. de Philippe Levillain
Voir aussi :
Le conclave : histoire, fonctionnement, composition, Alberto Melloni
Dans le secret de l'élection du pape, un film d' Olivier Galy-Nadal
Et sur Internet :
Conclave, Wikipédia
Pape, papauté, conclave, Herodote.net, paragraphe : le conclave, un héritage médiéval.
Le conclave au fil de l’histoire, Radio Vatican
Comment le pape est-il élu, Croire
« Le conclave, qui réunit les 115 cardinaux depuis le mardi 12 mars 2013, a débuté par la messe Pro eligendo romano pontifice , office célébré en la basilique Saint-Pierre par le doyen du Sacré Collège en présence de tous les ecclésiastiques et fidèles présents à Rome qui souhaitent ainsi manifester la communion de l'Église.
Dans l'après-midi, partis de la chapelle Pauline, dans le Palais apostolique, les cardinaux électeurs ont rejoint en procession la chapelle Sixtine où ils entonnent le Veni Creator, invocation à l'Esprit-Saint, avant de prêter serment de garder un secret total sur le conclave.
Au préalable, vérification a été faite qu'aucun micro ou caméra n'ont été « subrepticement installés ». Le maître des cérémonies pontificales déclare alors l'extra omnes qui impose à tous ceux qui ne votent pas de quitter la chapelle dont la lourde porte de bois est scellée (conclave vient de cum clave , fermé à clé).
■ Quatre scrutins quotidiens si nécessaire
Un premier scrutin peut alors commencer. Le vote se poursuivra jusqu'à ce qu'un nom obtienne les deux tiers des voix, à raison de quatre scrutins quotidiens si nécessaire, avec un jour de repos et de prière tous les trois jours.
Chaque soir, les cardinaux rejoignent la Maison Sainte-Marthe, à l'intérieur de la Cité du Vatican, où ils vivent comme coupés du monde, sans journaux, télé, radio, ou même portables. Les communications sont d'ailleurs brouillées et un message sur les réseaux sociaux est puni d'excommunication. Le but ? Éviter toute influence, préserver la liberté du choix. »
Source : Un conclave sous le sceau du secret, Le Pèlerin
Sur votre questionnement sur la transparence, nous n’avons pas trouvé de réponse dans les textes sur le conclave, mais on peut peut-être rapprocher la procédure de celle du vote à bulletin secret. Il s’est imposé un peu partout pour les mêmes raisons que la « clotûre » du conclave :
« Nul besoin de rappeler que le scrutin secret est aujourd’hui appréhendé comme la seule méthode compatible avec la liberté et la transparence des élections politiques. Bien qu’elle ne soit pas forcément pratiquée partout dans le monde, cette manière de voter est aujourd’hui considérée comme universelle ; elle est la seule approuvée par des institutions internationales comme l’Union européenne, l’Organisation des Nations unies ou le Fonds monétaire international »
Cependant, au cours de l’article, il est précisé que des résistances se sont manifestées précisément au nom de la transparence :
« Le principe même du scrutin secret n’a jamais cessé de faire l’objet de contestations. Comme on vient de le voir dans le cas français, cette réforme a pris du temps à cause des résistances, mais aussi des réticences de la part de ceux qui la soutenaient. L’opposition venait naturellement des personnes qui craignaient que leur mainmise sur les votants fût diminuée, mais elle était aussi le fait de ceux qui considéraient que le vote secret s’opposait à la transparence, voire à la liberté. » in L’isoloir universel ? La globalisation du scrutin secret au XIXe siècle , Malcom et Tom Crook, en ligne à la BML sur CAIRN.
Bonnes lectures et bonnes réflexions !
Voici d’abord un petit résumé de l'histoire du conclave tiré de l’ABCdaire des papes, Pierre Chavot :
article Election : « Durant les premiers siècles, le pape est élu, comme tous les évêques, par les habitants et le clergé de son diocèse, Rome. Mais l’ingérence des pouvoirs laïcs et l’aval obligatoire des empires poussent Nicolas II (1059) et Alexandre II (1179) à modifier le mode de scrutin par des bulles : les papes seront désormais élus par les seuls cardinaux du Sacré Collège, avec au moins deux tiers des voix –majorité toujours en vigueur. Les délibérations, ralenties par les rivalités et les pressions laïques, peuvent durer plusieurs mois. Par exemple, la succession de Clément IV, mort en 1268, prend deux ans et demi. Et il a fallu enfermer les électeurs, nourris au pain et à l’eau, murer les issues jusqu’à l’élection de Grégoire X. Ce pape s’empresse d’ailleurs d’officialiser ce principe en 1274, marquant la naissance effective du conclave, en latin « pièce fermée », au sens propre comme au sens figuré. » p. 58
Les différents textes que nous avons trouvés justifient tous ce secret par la volonté d’aller plus vite et par le besoin de limiter les pouvoirs des cardinaux et de s’assurer qu’ils soient à l’abri des pressions :
p. 52-53, « Loin des pressions extérieures, et à l’abri des ingérences séculières, les cardinaux se réunissent en conclave. Mot à mot, conclave veut dire cum clave, sous clé. Son invention s’est faite à Viterbe, en 1271. Dix sept cardinaux ne parvenaient pas à s’entendre pour donner un successeur à Clément IV. Devant ce désaccord persistant, le bon peuple chrétien, dans son impatience, les enferma et les condamna au pain et à l’eau pour les inciter à plus de sagesse. La méthode s’avéra excellente. Le nouvel élu, Grégoire X, l’érigea en règle. Elle est encore appliquée aujourd’hui, non sans de nombreuses adaptations. »… « Tous les cardinaux électeurs sont logés dans l’édifice appelé Maison Sainte- Marthe, récemment construit dans la cité du Vatican, et qui, comme la chapelle Sixtine où a lieu l’élection, doit être fermée… à toute personne non autorisée… Aucun moyen d’enregistrement ou de transmission audiovisuelle ne doit être introduit. Et les cardinaux doivent s’abstenir de recevoir la presse quotidienne et périodique de toute nature, d’écouter des émissions radiophoniques ou de regarder la télévision. »
Source : Le pape, Paul Poupard.
« Le pape promulga le 7 juillet 1274 la constitution Ubi majus periculum, approuvée par le second concile de Lyon [..]. En voici les points essentiels : les cardinaux, après avoir attendu dix jours leurs collègues, se réunissent dans le palais où est mort le pape, dans un local strictement clos et soumis à une discrétion absolue et un régime de vie d’autant plus austère que l’élection tarde ; ne percevant aucun revenu pendant le conclave, ils ne s’occupent que de l’élection, sauf cas de danger imminent pour les Etats de l’Eglise ; les autorités locales ont la charge de veiller au bon déroulement du conclave, sans en aggraver les mesures. La marge de manœuvre des cardinaux ou de puissances extérieures était donc fortement limitée. »
Source : Dictionnaire historique de la papauté, sous la dir. de Philippe Levillain
Voir aussi :
Le conclave : histoire, fonctionnement, composition, Alberto Melloni
Dans le secret de l'élection du pape, un film d' Olivier Galy-Nadal
Et sur Internet :
Conclave, Wikipédia
Pape, papauté, conclave, Herodote.net, paragraphe : le conclave, un héritage médiéval.
Le conclave au fil de l’histoire, Radio Vatican
Comment le pape est-il élu, Croire
« Le conclave, qui réunit les 115 cardinaux depuis le mardi 12 mars 2013, a débuté par la messe Pro eligendo romano pontifice , office célébré en la basilique Saint-Pierre par le doyen du Sacré Collège en présence de tous les ecclésiastiques et fidèles présents à Rome qui souhaitent ainsi manifester la communion de l'Église.
Dans l'après-midi, partis de la chapelle Pauline, dans le Palais apostolique, les cardinaux électeurs ont rejoint en procession la chapelle Sixtine où ils entonnent le Veni Creator, invocation à l'Esprit-Saint, avant de prêter serment de garder un secret total sur le conclave.
Au préalable, vérification a été faite qu'aucun micro ou caméra n'ont été « subrepticement installés ». Le maître des cérémonies pontificales déclare alors l'extra omnes qui impose à tous ceux qui ne votent pas de quitter la chapelle dont la lourde porte de bois est scellée (conclave vient de cum clave , fermé à clé).
■ Quatre scrutins quotidiens si nécessaire
Un premier scrutin peut alors commencer. Le vote se poursuivra jusqu'à ce qu'un nom obtienne les deux tiers des voix, à raison de quatre scrutins quotidiens si nécessaire, avec un jour de repos et de prière tous les trois jours.
Chaque soir, les cardinaux rejoignent la Maison Sainte-Marthe, à l'intérieur de la Cité du Vatican, où ils vivent comme coupés du monde, sans journaux, télé, radio, ou même portables. Les communications sont d'ailleurs brouillées et un message sur les réseaux sociaux est puni d'excommunication. Le but ? Éviter toute influence, préserver la liberté du choix. »
Source : Un conclave sous le sceau du secret, Le Pèlerin
Sur votre questionnement sur la transparence, nous n’avons pas trouvé de réponse dans les textes sur le conclave, mais on peut peut-être rapprocher la procédure de celle du vote à bulletin secret. Il s’est imposé un peu partout pour les mêmes raisons que la « clotûre » du conclave :
« Nul besoin de rappeler que le scrutin secret est aujourd’hui appréhendé comme la seule méthode compatible avec la liberté et la transparence des élections politiques. Bien qu’elle ne soit pas forcément pratiquée partout dans le monde, cette manière de voter est aujourd’hui considérée comme universelle ; elle est la seule approuvée par des institutions internationales comme l’Union européenne, l’Organisation des Nations unies ou le Fonds monétaire international »
Cependant, au cours de l’article, il est précisé que des résistances se sont manifestées précisément au nom de la transparence :
« Le principe même du scrutin secret n’a jamais cessé de faire l’objet de contestations. Comme on vient de le voir dans le cas français, cette réforme a pris du temps à cause des résistances, mais aussi des réticences de la part de ceux qui la soutenaient. L’opposition venait naturellement des personnes qui craignaient que leur mainmise sur les votants fût diminuée, mais elle était aussi le fait de ceux qui considéraient que le vote secret s’opposait à la transparence, voire à la liberté. » in L’isoloir universel ? La globalisation du scrutin secret au XIXe siècle , Malcom et Tom Crook, en ligne à la BML sur CAIRN.
Bonnes lectures et bonnes réflexions !
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter