Question d'origine :
Je souhaite connaitre la relation qui existe entre la théorie du fondationnalisme et la discipline d'Histoire. Ou alors comment appliquer le fondationnalisme en Histoire ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 12/04/2014 à 15h08
Bonjour,
Pour ébaucher une définition du fondationnalisme, partons des penseurs antiques ; d’Aggripa plus précisément, un philosophe sceptique du Ier siècle après J.C.
L’article Wikipédia sur la théorie de la connaissance précise à son propos qu’il élabora le problème suivant :
« Si quelqu'un fait une affirmation, alors il doit la défendre par une justification ou un argument. Mais cette justification contient elle-même une affirmation, qu'il faut justifier à son tour. Et ainsi de suite. À terme, seules trois situations sont possibles : 1) la justification s'arrête à certaines affirmations qui ne sont pas elles-mêmes justifiées, 2) la justification continue à l'infini, ou 3) la justification s'appuie circulairement sur des affirmations qu'elle devait justifier ».
Ce « trilemme d’Aggripa » nous est parvenu via Sextus Empiricus.
Le fondationnaliste est celui qui s’en tient à la première branche du trilemme : la justification s’arrête à certaines affirmations qui ne sont pas elles-mêmes justifiées par d’autres croyances.
Ou pour le dire comme Mickael Cozic, maître de conférences en philosophie à Paris XII, dans un cours en ligne sur la question :
« Il existe des principes i.e. des croyances justifiées (a) dont la justification ne repose pas sur la justification d’autres croyances et (b) qui permettent de justifier le reste de nos croyances justifiées ».
René Descartes est ainsi, de ce point de vue, un fondationnaliste, puisqu’il justifie ses croyances philosophiques à partir de quelques principes abstraits indubitables, comme le fameux « cogito ergo sum », « je pense donc je suis » !
Ce que rappelle Ernan McMullin dans son article sur Le Déclin du fondationnalisme, c’est que de ce point de vue, « pour que la science soit possible, il faut pouvoir commencer à partir d’un "fondement" qu’on ne peut mettre en doute et qui n’a pas besoin d’un autre soutien »… Sans quoi c’est la régression à l’infini des justifications.
Maintenant, ce type de théorie de la connaissance est-il applicable à la discipline historique ?
Là, les affaires se corsent puisque dans les documents que nous avons pu consulter, les théories fondationnalistes s’appliquent principalement aux sciences dites « dures », comme les mathématiques. Il est très peu directement question du fondationnalisme en Histoire.
D’autant que, s’il on en croit Paul Veyne à l’orée de Comment on écrit l’histoire ?, « L’Histoire n’est pas une science et n’a pas beaucoup à attendre des sciences ». (Bien entendu, P. Veyne nuance et explicite tout au long de son livre cette affirmation introductive abrupte !). De là en conclure que la discipline historique est par essence non-fondationnaliste, il y a un pas que nous vous laissons libre de franchir.
Bon. On trouve quand même quelques éléments qui laissent à penser qu’au sein des intellectuels et chercheurs en sciences humaines et sociales, il peut y avoir des courants fondationnalistes et des anti.
Ainsi, on peut consulter sur le site de l’IRESMO un article sur l’anti-fondationnalisme du philosophe et économiste Pierre-Joseph Proudhon. Ce dernier « caractérise en premier lieu sa philosophie comme un anti-fondationalisme : sa philosophie ne consiste pas à partir d’un fondement transcendant ou d’une réalité en soi. Renonçant à une position métaphysique qui consisterait à dépasser les phénomènes, il prend acte de la mobilité phénoménale comme seule expérience à laquelle nous ayons accès ».
C’est aussi sous cet aspect que Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM, analyse le débat télévisé de 1977 entre Michel Foucault et Noam Chomsky
Ici la vidéo
Pour schématiser, Chomsky serait fondationnaliste, Foucault non. Selon Baillargeon, Chomsky affirme que « des vérités empiriques au moins partielles et qu’il est raisonnable d’admettre provisoirement, nous sont accessibles ».
A l’inverse, pour Foucault, « tout n’est affaire que de perspective et de construction sociale […] on cesse de prendre au sérieux les concepts de vérité et de savoir ».
On pourrait sans doute attribuer à la pensée de Foucault ce qu’indique Ernan McMullin dans l’article précédemment cité : « Les faits, même les faits scientifiques, sont relatifs au système conceptuel utilisé pour mettre en évidence leur articulation et sont dès lors susceptibles d’être révisés dès que ce système doit être modifié ».
Peut-on appliquer à coup sûr cette remarque à l’historiographie ? Le rédacteur de cette réponse ne s'y risquera pas... On peut toutefois constater que pour les analyses de certaines périodes ou évènements historiques, il existe des désaccords fondamentaux quant aux cadres conceptuels, voire idéologiques, dans lesquels celles-ci sont menées. C’est le cas, par exemple, de l’historiographie de la Révolution Française. A ce sujet, vous pouvez consulter Ecrire la Révolution française, deux siècles d’historiographie par Jean-Joël Bergeron.
Pour finir, sur vous souhaitez approfondir cette épineuse question, nous ne pouvons que vous inciter à vous plonger dans les ouvrages traitant de philosophie de l’Histoire.
Parmi la multitude d’ouvrages sur le sujet :
Le livre de Paul Veyne précédemment cité
L’introduction à la philosophie de l’Histoire, de Raymond Aron
L’Histoire ou le temps réfléchi, de François Dosse.
Pour ébaucher une définition du fondationnalisme, partons des penseurs antiques ; d’Aggripa plus précisément, un philosophe sceptique du Ier siècle après J.C.
L’article Wikipédia sur la théorie de la connaissance précise à son propos qu’il élabora le problème suivant :
« Si quelqu'un fait une affirmation, alors il doit la défendre par une justification ou un argument. Mais cette justification contient elle-même une affirmation, qu'il faut justifier à son tour. Et ainsi de suite. À terme, seules trois situations sont possibles : 1) la justification s'arrête à certaines affirmations qui ne sont pas elles-mêmes justifiées, 2) la justification continue à l'infini, ou 3) la justification s'appuie circulairement sur des affirmations qu'elle devait justifier ».
Ce « trilemme d’Aggripa » nous est parvenu via Sextus Empiricus.
Le fondationnaliste est celui qui s’en tient à la première branche du trilemme : la justification s’arrête à certaines affirmations qui ne sont pas elles-mêmes justifiées par d’autres croyances.
Ou pour le dire comme Mickael Cozic, maître de conférences en philosophie à Paris XII, dans un cours en ligne sur la question :
« Il existe des principes i.e. des croyances justifiées (a) dont la justification ne repose pas sur la justification d’autres croyances et (b) qui permettent de justifier le reste de nos croyances justifiées ».
René Descartes est ainsi, de ce point de vue, un fondationnaliste, puisqu’il justifie ses croyances philosophiques à partir de quelques principes abstraits indubitables, comme le fameux « cogito ergo sum », « je pense donc je suis » !
Ce que rappelle Ernan McMullin dans son article sur Le Déclin du fondationnalisme, c’est que de ce point de vue, « pour que la science soit possible, il faut pouvoir commencer à partir d’un "fondement" qu’on ne peut mettre en doute et qui n’a pas besoin d’un autre soutien »… Sans quoi c’est la régression à l’infini des justifications.
Maintenant, ce type de théorie de la connaissance est-il applicable à la discipline historique ?
Là, les affaires se corsent puisque dans les documents que nous avons pu consulter, les théories fondationnalistes s’appliquent principalement aux sciences dites « dures », comme les mathématiques. Il est très peu directement question du fondationnalisme en Histoire.
D’autant que, s’il on en croit Paul Veyne à l’orée de Comment on écrit l’histoire ?, « L’Histoire n’est pas une science et n’a pas beaucoup à attendre des sciences ». (Bien entendu, P. Veyne nuance et explicite tout au long de son livre cette affirmation introductive abrupte !). De là en conclure que la discipline historique est par essence non-fondationnaliste, il y a un pas que nous vous laissons libre de franchir.
Bon. On trouve quand même quelques éléments qui laissent à penser qu’au sein des intellectuels et chercheurs en sciences humaines et sociales, il peut y avoir des courants fondationnalistes et des anti.
Ainsi, on peut consulter sur le site de l’IRESMO un article sur l’anti-fondationnalisme du philosophe et économiste Pierre-Joseph Proudhon. Ce dernier « caractérise en premier lieu sa philosophie comme un anti-fondationalisme : sa philosophie ne consiste pas à partir d’un fondement transcendant ou d’une réalité en soi. Renonçant à une position métaphysique qui consisterait à dépasser les phénomènes, il prend acte de la mobilité phénoménale comme seule expérience à laquelle nous ayons accès ».
C’est aussi sous cet aspect que Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM, analyse le débat télévisé de 1977 entre Michel Foucault et Noam Chomsky
Ici la vidéo
Pour schématiser, Chomsky serait fondationnaliste, Foucault non. Selon Baillargeon, Chomsky affirme que « des vérités empiriques au moins partielles et qu’il est raisonnable d’admettre provisoirement, nous sont accessibles ».
A l’inverse, pour Foucault, « tout n’est affaire que de perspective et de construction sociale […] on cesse de prendre au sérieux les concepts de vérité et de savoir ».
On pourrait sans doute attribuer à la pensée de Foucault ce qu’indique Ernan McMullin dans l’article précédemment cité : « Les faits, même les faits scientifiques, sont relatifs au système conceptuel utilisé pour mettre en évidence leur articulation et sont dès lors susceptibles d’être révisés dès que ce système doit être modifié ».
Peut-on appliquer à coup sûr cette remarque à l’historiographie ? Le rédacteur de cette réponse ne s'y risquera pas... On peut toutefois constater que pour les analyses de certaines périodes ou évènements historiques, il existe des désaccords fondamentaux quant aux cadres conceptuels, voire idéologiques, dans lesquels celles-ci sont menées. C’est le cas, par exemple, de l’historiographie de la Révolution Française. A ce sujet, vous pouvez consulter Ecrire la Révolution française, deux siècles d’historiographie par Jean-Joël Bergeron.
Pour finir, sur vous souhaitez approfondir cette épineuse question, nous ne pouvons que vous inciter à vous plonger dans les ouvrages traitant de philosophie de l’Histoire.
Parmi la multitude d’ouvrages sur le sujet :
Le livre de Paul Veyne précédemment cité
L’introduction à la philosophie de l’Histoire, de Raymond Aron
L’Histoire ou le temps réfléchi, de François Dosse.
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