Tapisserie
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 21/07/2014 à 06h41
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Question d'origine :
Bonjour,
Quand est-ce que l'art de la tapisserie est tombé en désuétude en Europe Occidentale et pourquoi ? (cf Dame à la Licorne)
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 21/07/2014 à 14h33
Bonjour,
C’est au XIXe siècle, avec la concurrence du papier peint, que la production des grandes tapisseries murales commence à chuter ; les manufactures se rabattent alors sur la production de tapis et la couverture de mobilier :
Le XIXe siècle est marqué par l’émergence de grandes manufactures, dirigées par des capitaines d’industrie. La décoration intérieure prend de l'importance dans les expositions des produits de l’industrie puis aux expositions universelles et les manufactures y présentent leurs plus belles réalisations.Face au développement du papier peint, le XIXe siècle est pour la tapisserie le siècle des tapis ras ou veloutés, salons et des ensembles mobilier, portières et cantonnières.
La production de tapis et d’éléments de mobilier se développe fortement. Des tapisseries d’usages variés sont produites mais leur décor n’a généralement que peu d’inventivité. Concurrencée par le développement du papier peint, la tapisserie murale n'occupe plus l'essentiel de la production aubussonnaise .
En effet, après l’essor de la première manufacture de papier peint en France par Jean-Baptiste Reveillon (1723-1811), la manufacture de Jean Zuber fondée en 1797 à Rixheim propose des compositions panoramiques qui vont vite connaître le succès, notamment grâce aux expositions nationales des produits de l’industrie. Cela fait chuter la production des grandes tapisseries murales narratives. Les lissiers aubussonnais se mettent à travailler pour réaliser des tapis ras (sur métier de basse lisse) ou des tapis de savonnerie (sur métier de haute lisse). Cette production se développe à un point tel que l’on parle désormais d’Aubusson non plus pour ses tapisseries, mais pour ses "tapis ras ou veloutés". Les manufactures deviennent les principaux employeurs de la ville, avec des noms aussi prestigieux que Braquenié, Hamot, Sallandrouze… Au début des années 1860, le nombre d’ouvriers occupés à la fabrication de tapis est de 2 220.
La tapisserie est principalement réduite à la couverture de chaises, fauteuils, canapés ou utilisée pour des portières ou cantonnières. Plus rare, la tapisserie murale ne disparaît pas pour autant totalement.
La production se caractérise par la réalisation d’ensembles richement ornés, destinés à la décoration intérieure.
Source : Une histoire de la tapisserie, Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé
« Bientôt tout se rapetissa, jusque dans les habitations des grands et des riches. L’ameublement et le goût de décoration des appartements furent obligés de se restreindre à la mesure que l’architecture leur prescrivoit. Les tapisseries en figures furent remplacées par des étoffes de soie, par des boiseries dorées, par des caprices d’ornements arabesques plus ou moins insignifiants, et enfin par l’usage même des papiers de tenture substitués, avec beaucoup d’économie, à tous les genres d’embellissemens des tems anciens. »
Tel est le triste tableau que l’archéologue Quatremère de Quincy dressait en 1825 dans l’Encyclopédie méthodique. A cette date, et pour près de cinquante ans encore, la tapisserie était bannie des appartements modernes, hormis […]des résidences princières et des demeures des personnes de haut rang ; et il nous faudra alors distinguer les intérieurs ornés de tentures contemporaines de ceux parés d’anciennes tapisseries. Toutefois, bien que rejetées des appartements, les tapisseries furent utilisées, comme au cours des siècles précédents dans les décors temporaires, principalement à l’extérieur, lors de cérémonies religieuses […].
Les hôtels particuliers parisiens conservèrent encore quelques étoffes du passé : les murs du salon de l’hôtel Crillon, qui semble avoir été celui de la princesse de Polignac, étaient parés de trois pièces de la Tenture chinoise de Boucher insérées dans des boiseries, ainsi que le révèle une aquarelle exécutée par Auguste Caron vers 1840. Mais les tapisseries anciennes disparurent du décor des logements des nobles et des bourgeois de province. Ceux-ci les traitèrent avec peu d’égard ; elles avaient pratiquement perdu toute valeur marchande à leurs yeux et furent remplacées par des papiers peints. Cette situation était similaire dans les autres pays d’Europe, sauf peut-être en Angleterre, où la mode des chambres de tapisserie lancée au siècle précédent avec les Tentures de Boucher perdurait : vers 1820, Charles Winn acquérait une suite bruxelloise du XVIIIe siècle représentant les quatre continents pour le salon de Nostell Priory (Yorkshire). Vers 1840, tous les murs du château de Cotehele étaient ornés de tentures, du XViie siècle pour la plupart.
Si les suites des siècles passés étaient exclues des appartements, on peut se demander pourquoi les tapisseries contemporaines l’étaient également. Certes,la tapisserie ne répondait plus aux besoins et au goût de la société, mais cela ne suffit pas à expliquer totalement ce désintérêt. Il semble qu’il faille plutôt l’imputer à la nouvelle répartition des fortunes et à la crise que traversaient les métiers d’art depuis la tourmente révolutionnaire. Les tentures contemporaines devinrent des produits de grand luxe accessibles aux seuls souverains.
Source : Histoire de la tapisserie : en Europe, du Moyen âge à nos jours Fabienne Joubert, Amaury Lefébure, Pascal-François Bertrand
Notons toutefois que depuis le XXe siècle la tapisserie a connu un renouveau sous l’impulsion de Jean Lurçat :
Le XXe siècle est une période de bouleversements, où la tapisserie conforte son lien avec la création d'avant-garde. Des institutions comme l’École Nationale d'Art Décoratif d’Aubusson et des personnalités comme Antoine-Marius Martin (directeur de l'École), Marie Cuttoli (collectionneuse et éditrice textile) y jouent un rôle de premier plan. Mais l’histoire a surtout retenu un nom : le peintre Jean Lurçat, fondateur du renouveau de la tapisserie à partir des années 1940.
L’École Nationale d'Art Décoratif d’Aubusson et Antoine-Marius Martin, premier "rénovateur" de la tapisserie
Pour relancer la tapisserie, l’État décide d’amener des créateurs contemporains à Aubusson. En 1884, l’école municipale des arts est "nationalisée", devenant l'une des trois écoles d'Etat de l'époque, avec Paris et Limoges. Son directeur, Auguste Louvrier de Lajolais (1829-1908), également directeur des écoles de Paris et Limoges, fonde la pédagogie sur l’étude des modèles anciens et l’adaptation de la plante et de la fleur aux compositions ornementales. L’École dispense des cours de tissage de basse lisse, de haute lisse et de broderie « sarrasine », connue aussi sous le nom de broderie au point d'Aubusson. Des artistes de renom fournissent des cartons : Pierre-Victor Galland (1822-1892), peintre décorateur ; Charles Genuys (1852-1928), architecte en chef des monuments historiques ; Henry de Waroquier (1881-1970), peintre et graveur, professeur à l’école Estienne à Paris.
L’école est réformée après la première guerre mondiale. Antoine Marius-Martin (1869-1955), directeur de 1917 à 1930, repense la pédagogie : réduction du nombre de couleurs, travail avec des fils plus gros (moins nombreux au cm), mise au point d’un système de carton numéroté avec pour chaque couleur un code chiffré. Antoine Marius-Martin conceptualise les deux grands mouvements du XXe siècle : les cartonniers et la tapisserie de peintre. Son successeur, Élie Maingonnat (1892-1966), poursuit jusqu’en 1958 la même dynamique, avec dès 1937 l’artiste Jean Lurçat et ses suiveurs.
Source : La rénovation du XXe siècle, Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé
Pour aller plus loin :
Histoire de la tapisserie : en Europe, du Moyen âge à nos jours Fabienne Joubert, Amaury Lefébure, Pascal-François Bertrand (1995)
Histoire de la tapisserie depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, Jules Guiffrey (1886)
C’est au XIXe siècle, avec la concurrence du papier peint, que la production des grandes tapisseries murales commence à chuter ; les manufactures se rabattent alors sur la production de tapis et la couverture de mobilier :
Le XIXe siècle est marqué par l’émergence de grandes manufactures, dirigées par des capitaines d’industrie. La décoration intérieure prend de l'importance dans les expositions des produits de l’industrie puis aux expositions universelles et les manufactures y présentent leurs plus belles réalisations.
La production de tapis et d’éléments de mobilier se développe fortement. Des tapisseries d’usages variés sont produites mais leur décor n’a généralement que peu d’inventivité. Concurrencée par le développement du papier peint, la tapisserie murale n'occupe plus l'essentiel de la production aubussonnaise
En effet, après l’essor de la première manufacture de papier peint en France par Jean-Baptiste Reveillon (1723-1811), la manufacture de Jean Zuber fondée en 1797 à Rixheim propose des compositions panoramiques qui vont vite connaître le succès, notamment grâce aux expositions nationales des produits de l’industrie. Cela fait chuter la production des grandes tapisseries murales narratives. Les lissiers aubussonnais se mettent à travailler pour réaliser des tapis ras (sur métier de basse lisse) ou des tapis de savonnerie (sur métier de haute lisse). Cette production se développe à un point tel que l’on parle désormais d’Aubusson non plus pour ses tapisseries, mais pour ses "tapis ras ou veloutés". Les manufactures deviennent les principaux employeurs de la ville, avec des noms aussi prestigieux que Braquenié, Hamot, Sallandrouze… Au début des années 1860, le nombre d’ouvriers occupés à la fabrication de tapis est de 2 220.
La tapisserie est principalement réduite à la couverture de chaises, fauteuils, canapés ou utilisée pour des portières ou cantonnières. Plus rare, la tapisserie murale ne disparaît pas pour autant totalement.
La production se caractérise par la réalisation d’ensembles richement ornés, destinés à la décoration intérieure.
Source : Une histoire de la tapisserie, Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé
« Bientôt tout se rapetissa, jusque dans les habitations des grands et des riches. L’ameublement et le goût de décoration des appartements furent obligés de se restreindre à la mesure que l’architecture leur prescrivoit. Les tapisseries en figures furent remplacées par des étoffes de soie, par des boiseries dorées, par des caprices d’ornements arabesques plus ou moins insignifiants, et enfin par l’usage même des papiers de tenture substitués, avec beaucoup d’économie, à tous les genres d’embellissemens des tems anciens. »
Tel est le triste tableau que l’archéologue Quatremère de Quincy dressait en 1825 dans l’Encyclopédie méthodique. A cette date, et pour près de cinquante ans encore, la tapisserie était bannie des appartements modernes, hormis […]des résidences princières et des demeures des personnes de haut rang ; et il nous faudra alors distinguer les intérieurs ornés de tentures contemporaines de ceux parés d’anciennes tapisseries. Toutefois, bien que rejetées des appartements, les tapisseries furent utilisées, comme au cours des siècles précédents dans les décors temporaires, principalement à l’extérieur, lors de cérémonies religieuses […].
Les hôtels particuliers parisiens conservèrent encore quelques étoffes du passé : les murs du salon de l’hôtel Crillon, qui semble avoir été celui de la princesse de Polignac, étaient parés de trois pièces de la Tenture chinoise de Boucher insérées dans des boiseries, ainsi que le révèle une aquarelle exécutée par Auguste Caron vers 1840. Mais les tapisseries anciennes disparurent du décor des logements des nobles et des bourgeois de province. Ceux-ci les traitèrent avec peu d’égard ; elles avaient pratiquement perdu toute valeur marchande à leurs yeux et furent remplacées par des papiers peints. Cette situation était similaire dans les autres pays d’Europe, sauf peut-être en Angleterre, où la mode des chambres de tapisserie lancée au siècle précédent avec les Tentures de Boucher perdurait : vers 1820, Charles Winn acquérait une suite bruxelloise du XVIIIe siècle représentant les quatre continents pour le salon de Nostell Priory (Yorkshire). Vers 1840, tous les murs du château de Cotehele étaient ornés de tentures, du XViie siècle pour la plupart.
Si les suites des siècles passés étaient exclues des appartements, on peut se demander pourquoi les tapisseries contemporaines l’étaient également. Certes,
Source : Histoire de la tapisserie : en Europe, du Moyen âge à nos jours Fabienne Joubert, Amaury Lefébure, Pascal-François Bertrand
Notons toutefois que depuis le XXe siècle la tapisserie a connu un renouveau sous l’impulsion de Jean Lurçat :
Le XXe siècle est une période de bouleversements, où la tapisserie conforte son lien avec la création d'avant-garde. Des institutions comme l’École Nationale d'Art Décoratif d’Aubusson et des personnalités comme Antoine-Marius Martin (directeur de l'École), Marie Cuttoli (collectionneuse et éditrice textile) y jouent un rôle de premier plan. Mais l’histoire a surtout retenu un nom : le peintre Jean Lurçat, fondateur du renouveau de la tapisserie à partir des années 1940.
L’École Nationale d'Art Décoratif d’Aubusson et Antoine-Marius Martin, premier "rénovateur" de la tapisserie
Pour relancer la tapisserie, l’État décide d’amener des créateurs contemporains à Aubusson. En 1884, l’école municipale des arts est "nationalisée", devenant l'une des trois écoles d'Etat de l'époque, avec Paris et Limoges. Son directeur, Auguste Louvrier de Lajolais (1829-1908), également directeur des écoles de Paris et Limoges, fonde la pédagogie sur l’étude des modèles anciens et l’adaptation de la plante et de la fleur aux compositions ornementales. L’École dispense des cours de tissage de basse lisse, de haute lisse et de broderie « sarrasine », connue aussi sous le nom de broderie au point d'Aubusson. Des artistes de renom fournissent des cartons : Pierre-Victor Galland (1822-1892), peintre décorateur ; Charles Genuys (1852-1928), architecte en chef des monuments historiques ; Henry de Waroquier (1881-1970), peintre et graveur, professeur à l’école Estienne à Paris.
L’école est réformée après la première guerre mondiale. Antoine Marius-Martin (1869-1955), directeur de 1917 à 1930, repense la pédagogie : réduction du nombre de couleurs, travail avec des fils plus gros (moins nombreux au cm), mise au point d’un système de carton numéroté avec pour chaque couleur un code chiffré. Antoine Marius-Martin conceptualise les deux grands mouvements du XXe siècle : les cartonniers et la tapisserie de peintre. Son successeur, Élie Maingonnat (1892-1966), poursuit jusqu’en 1958 la même dynamique, avec dès 1937 l’artiste Jean Lurçat et ses suiveurs.
Source : La rénovation du XXe siècle, Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé
Histoire de la tapisserie : en Europe, du Moyen âge à nos jours Fabienne Joubert, Amaury Lefébure, Pascal-François Bertrand (1995)
Histoire de la tapisserie depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, Jules Guiffrey (1886)
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