Question d'origine :
Je recherche des documents qui pourraient m'informer sur le traitement de l'espace au cinéma mais aussi dans la peinture et dans la publicité.
Cordialement
Réponse du Guichet
bml_art
- Département : Arts et Loisirs
Le 07/11/2014 à 14h19
Vous ne nous facilitez pas la tâche en nous posant une question aussi générale et lapidaire, et nous ne pouvons pas être certains de vous apporter des éléments de réponse satisfaisants, en ne définissant pas mieux de votre côté votre sujet et le niveau de réponse souhaité (brevet, terminale, bac+2, bac+5, etc.).
Voici l’article consacré à l’espace dans le Vocabulaire d’esthétique d’Etienne Souriau, que nous vous offrons dans son intégralité, car il montre avec clarté les différentes sortes d’espaces mis en jeu par tout artiste dans toute œuvre :
«
Etendue où des points distincts peuvent exister simultanément, et constituant le cadre où se situent les corps matériels et les phénomènes physiques. L'esthétique ne considère que l'espace euclidien tridimensionnel ; on peut en concevoir d'autres (espaces non-euclidiens, espaces à quelque autre nombre de dimensions), mais ces concepts .sont sans usage esthétique, car ils ne sont pas celui de la perception (soit réelle, soit imaginée).
C'est là que les œuvres d'art ont place en tant qu'objets matériels.
Parmi les arts qui s'adressent à la
L'espace où se trouve l'œuvre d'art est aussi, bien évidemment, celui de l'artiste, celui où il travaille, celui de son corps et de ses mouvements. Espace vécu, il a des caractères que ne présente pas un espace abstrait. Ainsi, il est orienté et anisotrope (c'est-à-dire qu'il n'a pas les mêmes propriétés dans toutes les directions). Il a, par exemple, un haut et un bas ; le mouvement ascendant demande au corps un effort, le mouvement descendant ne doit pas être une chute ; ressentis différemment, ils peuvent par sympathie se charger de symboles; ou bien, le mouvement vers le haut, s'il paraît aisé, semble échapper à la pesanteur et devenir envol ou spiritualité. Dans la danse, le chant, la poésie, il est fort différent de mettre l'accent sur l'
L'espace de l'œuvre et de l'artiste est aussi l'espace spectatoriel (où l'on peut situer aussi l'auditeur). Les dimensions comparées de l'œuvre et du spectateur influencent la manière de contempler (on ne regarde pas de la même manière une miniature, vue de tout près dans une sorte d'intimité, et une très grande peinture, qu'il faut prendre du recul pour bien voir). Il faut un point de vue mobile pour voir tout un édifice, l'intérieur et l'extérieur, les divers côtés. Un spectacle suppose une division de l'espace entre l'aire de jeu et celle du public ; mais le spectacle peut être frontal et situé face au public, ou central et entouré par le public comme dans le théâtre en rond, ou même déployé tout autour d'un public central. Même la littérature a, dans le cas de l'œuvre
A côté de cet espace réel, il faut mettre celui de l'univers de l'œuvre, pour les œuvres représentatives. Dans cet espace diégétique, se situent les endroits montrés ou mentionnés par l'œuvre. Ceux-ci peuvent y occuper une place plus ou moins large. Un tableau peut représenter une tranche minime d'espace (dans un portrait, une nature morte) ou de grandes profondeurs, comme un paysage aux vastes horizons. Toute une épopée peut tenir dans un espace réduit (dans l'Iliade, la guerre de Troie tient dans la ville de Troie et ses parages immédiats, et le rivage tout proche où campent les Grecs) ; ou s'étendre largement (l'Odyssée étale les aventures d'Ulysse jusqu'aux confins du monde). L'unité de lieu, dans la tragédie classique, concentre l'action dans un espace resserré, sorte de cœur spatial dont les battements animent un grand corps sous-entendu par lui, vivant par lui et pour lui. Le palais de Ptolémée dans Alexandrie, où Corneille place l'action de La mort de Pompée, est le point-clef où se décide le sort de Rome, de l'Egypte, de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient, en somme, de tout le bassin méditerranéen, immense espace qui s'étend tout autour.
Il faut donc nettement partager l'espace diégétique en deux sortes d'espace : l'espace montré et l'espace impliqué.
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2/ Le
On voit donc l'importance esthétique du concept d'espace ; et s'il est de multiples manières, pour un artiste, de l'employer, il demande des prises de parti très nettes, dont les plus curieuses ne sont pas les moins utilisées. » A.S.
Le même auteur évoque également la notion de point de vue dont voici quelques extraits :
«
Le point de vue est une relation sujet-objet : l'apparence phénoménale des choses sensibles est commandée en partie par la place de l'observateur par rapport à elles. Cet emplacement, joint à la direction du regard de l'observateur, constitue le point de vue au sens propre. Et il joue déjà dans une certaine manière esthétique de regarder les choses. Le langage courant appelle point de vue un lieu élevé d'où l'on découvre un vaste panorama ; ce spectacle peut faire éprouver un sentiment esthétique dû à la perspective aérienne, aux colorations des plans plus ou moins lointains, à la qualité de la lumière sous une grande étendue de ciel. Mais même dans des espaces réduits, et en dehors du paysage, le simple regard sur les choses qui nous entourent devient esthétique par le choix du point de vue sous lequel ces choses prennent l'aspect le plus heureux, et où leur ensemble se compose le mieux.
Lorsqu'on veut fixer le spectacle des choses, le souci du meilleur point de vue devient un souci d'artiste. Et pour toute œuvre figurative, qu'on peigne une scène réelle, ou l'image qu'on se fait d'une scène qu'on croit réelle, ou une scène franchement fictive, l'artiste impose à celui qui regardera son œuvre un point de vue sur l'univers de l' œuvre, la diégèse. La notion de perspective (linéaire ou aérienne) est fondée sur le point de vue. Qu'il suive ou non les règles d'une perspective stricte, il n'est pas indifférent que l'artiste fasse voir une chose, une scène, de près ou de loin, d'un même niveau, en plongée ou en perspective plafonnante, etc. Par exemple, il y a une manière conceptuelle et synthétique de représenter la Crucifixion, à la manière médiévale, avec les trois croix de face, et les personnages, qu'ils soient élevés sur les croix ou situés à leur pied, présentés chacun comme vu de son propre niveau. Tandis qu'en choisissant dans l'espace diégétique lui-même un point d'où la scène parait vue, tel que celui d'une personne placée dans l'assistance au flanc du Golgotha, les personnages au pied des croix vus d'un peu en dessous, les crucifiés en raccourci de bas en haut (cf. Le Calvaire de Mantegna), le peintre fait entrer le spectateur dans la diégèse et l'y fait en quelque sorte participer. On a renouvelé la représentation de la Crucifixion en plaçant le point de vue de côté, les trois croix en enfilade dans une perspective fuyante (Tintoret), ou même en le mettant derrière les croix, le Christ vu de trois quarts dos (Cranach).
Ces arts ont un point de vue qui leur est propre : celui du spectateur placé dans un espace réel, face à une scène ou un écran situés dans ce même espace, et où se trouve représenté un morceau de diégèse. Qu'il y ait distinction des deux points de vue, même dans le cas où le spectateur s'identifie avec un des personnages, est bien montré par certaines réactions candides du public : on a remarqué souvent sa tendance à imaginer l'écran comme une fenêtre ouverte sur la diégèse ; d'où des comportements naïfs, comme de se lever pour voir plus bas que le bas de l'écran, de se pencher pour voir un personnage qui sur l'écran est partiellement caché par un autre, etc. Quand on a lancé le cinémascope avec le film à grand spectacle, La Tunique, des haut-parleurs situés dans la salle devaient, croyait-on, donner l'illusion qu'on se trouvait dans l'espace diégétique lui-même. En fait, c'est plutôt les organisateurs de ce dispositif qui se faisaient des illusions : entendant des voix derrière lui alors que le spectacle se déroulait devant lui, le public croyait entendre des spectateurs parler à haute voix ; il protestait, criait « chut ! ».
Or, le point de vue du spectateur assis devant la scène ou l'écran; est fixe. Trois attitudes sont alors possibles : accepter la fixité du point de vue, la combattre, ou la tourner. La première conduit à l'unité de lieu du théâtre classique; solution nette, qui se prescrit la loi d'un point de vue immobile sur un découpage stable de l'espace représenté. Même certaines façons de tricher avec la distance réelle pour donner une illusion de plus grande profondeur, reposent sur l'acceptation du point de vue fixe ; on exagère la perspective des décors, on place au fond de la scène des danseurs enfants pour que leur petite taille donne l'impression de personnages lointains, etc. Au contraire, le théâtre baroque ou romantique lutte contre la contrainte de la fixité et veut rendre mobile le point de vue du spectateur sur la diégèse. Comme pourtant le spectateur ne change pas de place, c'est par des modifications du décor, en changeant le lieu représenté sur la scène, qu'on change le point de vue sur l'univers de l'œuvre : rideaux qui ouvrent ou ferment des perspectives, machinerie, changements de décor. L'abbé d'Aubignac, dans sa Pratique du théâtre, au XVIIe siècle, proteste contre ces subterfuges : ce n'est pas du théâtre. Il a raison : ce n'est pas du théâtre, c'est du cinéma. Le cinéma a enfin réalisé le paradoxe de donner au spectateur immobile un point de vue mobile. Mais c'est par l'intermédiaire de la caméra, placée entre le percevant et le perçu. Le spectateur immobile contemple un écran immobile où se projette ce qu'a enregistré un appareil mobile. Le cinéma a enfin satisfait une très ancienne aspiration ; on peut donc admettre qu'il y avait déjà une esthétique cinématographique avant l'invention du cinéma. Enfin, la troisième possibilité, celle qui tourne le problème, consiste à renoncer au point de vue, l'espace diégétique n'étant plus représenté, mais symbolisé. Dans cette simple signification d'un espace, on-trouve aussi bien certaines mises en scènes ultra-modernes, que le décor conceptualisé et multiple du théâtre médiéval… »
Un autre livre, Dictionnaire de l'image / ouvrage dirigé par Françoise Juhel, nous apportent d’autres renseignements essentiels :
«
Le lien fondamental qui rattache l'image à l'espace tient principalement dans l'articulation entre deux types d'espaces : l'espace de l'image (de son existence matérielle) et l'espace dans l'image (l'espace diégétique), ou encore entre un espace représentant et un espace représenté.
Selon Jacques Aumont, toute image figurative, fixe ou animée, présente une scène, notion héritée du théâtre, prise au triple sens du terme (espace de jeu des acteurs, lieu de l'action des personnages et fragment d'action dramatique) et que l'auteur considère comme «la figure même de la représentation de l'espace». D'un point de vue exclusivement spatial, la scène est constituée de la somme du champ et du hors-champ, susceptible d'accueillir une action ou une diégèse (au moins virtuelles).
Le cadre joue un rôle fondamental dans la construction de la scène. C'est lui qui détermine les limites spatiales de l'image, qui découpe et prélève une partie du monde (réel ou imaginaire) pour définir un champ (et un hors-champ). C'est par rapport au cadre aussi que s'organisent les éléments à l'intérieur de l'image, par le biais de la perspective qui assure la représentation de la profondeur, par le biais également des contrastes et des nuances de couleurs et de lumière qui morcellent ou unifient l'espace.
Pour la photo, le cinéma, la vidéo, la mise au point est un élément déterminant de la construction de l'espace. Elle peut être faite sur le premier plan, sur l'arrière-plan ou être égale sur toute la profondeur de l'espace représenté. Ainsi, soit elle privilégie une portion d'espace au détriment d'une autre, soit au contraire elle unifie l'espace. Elle est susceptible de varier dans les images animées temporalisées. André Bazin préconisait, au cinéma, la profondeur de champ censée unifier l'espace, montrer la scène dans sa plénitude, sa réalité, son ambiguïté et laisser le spectateur libre de choisir la zone où porter son regard dans l'image. Cependant, la profondeur de champ permet aussi de fragmenter l'espace et d'isoler différentes scènes plus ou moins autonomes. La peinture et le dessin peuvent également, d'une manière plus artisanale et non mécanique, ménager dans l'image des secteurs plus ou moins nets et définir plusieurs zones à l'intérieur de l'espace global.
Dans les images fixes, l'espace est stable, permanent, immuable ; dans les images animées, il est en perpétuelle transformation. Il devient, comme l'image elle-même, fondamentalement provisoire, fuyant, labile, élastique et, par conséquent, du point de vue de la perception, insaisissable, ce qui rend son analyse beaucoup plus complexe. Le mouvement à l'intérieur du champ produit une redistribution des éléments par rapport au cadre et modifie sans cesse l'équilibre des masses et des lignes. Le mouvement de l'appareil, lui, transforme de surcroît le rapport du champ et du hors-champ.
Dans les images filmiques, vidéographiques, télévisuelles, l'élaboration de l'espace dépend également du travail du montage. En effet, la transition entre les plans participe activement à la construction d'un espace tantôt homogène (par exemple la règle des 180° dans le traitement du champ-contrechamp, ou encore les raccords de regard, de direction, dans le mouvement, dans l'axe), tantôt problématique (lorsque la continuité n'est pas
Assurée ; c'est le cas dans certains faux raccords).
Enfin, dans la mesure où les images sont narratives, l'histoire racontée joue un rôle important dans l'élaboration de l'espace. Les lieux de la diégèse aux caractères morphologiques variés (ils sont clos ou ouverts, verticaux ou horizontaux, symétriques ou non symétriques, exigus ou étendus, etc.) se construisent dans les images au fil du récit ; des parcours (concentriques, linéaires ou mixtes) se dessinent et dressent de véritables topographies qui déterminent en partie des profils narratifs. Ace niveau, l'organisation de l'espace quitte le registre du figuratif pour prendre la forme de modèles abstraits.
André Gardies (1993) envisage ainsi trois niveaux d'appréhension de l'espace dans le film : «Le passage de photogramme à photogramme au sein du plan prend en charge la figuration et la représentation de l'espace diégétique, le passage de plan à plan au sein du syntagme participe essentiellement à la construction de ce même espace, le passage de syntagme à syntagme au sein du film ou de macroséquences permet, lui, une appréhension cognitive de l'espace propre à la narration en cours.»
Dans les images audiovisuelles, le son joue un double rôle dans la construction de l'espace : un rôle plastique dans la mesure où il est susceptible de modeler partiellement l'espace visuel et d'en modifier notre perception (telle musique ou tel chuchotement élargiront ou au contraire resserreront l'espace), un rôle narratif ensuite dans la mesure où les dialogues peuvent apporter des indications ou des informations d'ordre spatial (il arrive qu'un lieu qui n'apparaît pas à l'image soit entièrement déterminé par les échanges verbaux). »
La notion d’espace est abordée par d’autres livres consacrés spécifiquement au cinéma :
Dictionnaire théorique et critique du cinéma / Jacques Aumont, Michel Marie
«
L'histoire du mot, en français, lui a fait désigner d'abord une durée, un « espace de temps », puis un intervalle spatial, mais dans une seule direction ; ce n'est qu'au milieu du XVIIe siècle, chez Descartes notamment, qu'il prend son sens moderne rigoureux.
D'un point de vue empirique, l'espace est appréhendé d'abord par notre corps qui s'y déplace, et par le sens du toucher (les aveugles ont un sens de l'espace comparable à celui des voyants). Bien entendu, la perception visuelle joue aussi un rôle dans cette aperception ; toutefois, la plupart des théories insistent sur•le fait que la vue ne peut jamais apprécier l'espace qu'indirectement, en référence à des déplacements virtuels du corps.
Par conséquent, les images, qui n'offrent qu'un équivalent visuel de leur référent, ne peuvent représenter l'espace qu'imparfaitement et incomplètement. Le problème a le plus souvent été perçu comme celui du passage d'un univers tridimensionnel à une surface (deux dimensions seulement), et l'effort des peintres et des théoriciens de la peinture a surtout consisté à affronter la représentation de la profondeur.
La notion d'espace filmique sera donc différemment définie selon qu'on envisage :
-le plan : l'espace du champ est comparable à un espace pictural ;
-la scène : l'espace de la scène est un espace homogène, et la question est celle de sa cohérence au fil des différents plans qui composent la scène (ou, c'est à peu près la même chose, celle de la perception de cet espace : de sa mémorisation et de sa reconstruction mentale par le spectateur) ;
-la séquence et d'autres formes plus complexes de montage : l'espace y est plus abstrait, et les définitions d'un « espace filmique» qui ont été tentées (Francastel) mêlent des considérations perceptives et psychologiques. Il devient ici indispensable de tenir compte du récit, l'espace étant entre autres défini par les événements qui y prennent place. C'est le sens de la notion d'espace narratif chez Stephen Heath (1976), qui se retrouve chez André Gardies, opposant l'espace diégétique et l'espace représenté, et proposant une topographie et une fonction actantielle de l'espace en relation avec le spectateur et ses savoirs.
Les études filmiques de l'espace s'inspirent aussi du concept dans un sens plus symbolique, en référence aux analyses de Mircea Eliade et Gaston Bachelard (sa « poétique de l'espace »). Ainsi Henri Agel oppose l'espace dilaté et l'espace contracté où « contraction et dilatation à l’écran sont essentiellement liées au volume d'air lumineux ». L'un est apollinien, centré et replié sur lui-même, l'autre dyonisiaque et offre un récit déployé en éventail. L'espace ici permet de proposer une stylistique des films que prolonge par exemple Curot à propos de Renoir. »
Dictionnaire général du cinéma : du cinématographe à Internet : art, technique, industrie / André Roy
«
[1] Dimension physique d'un lieu, d'une pièce ou d'un paysage (space). SYN. décor.
[2] Dimension géométrique du jeu de lignes, de masses, de coupes et de leurs relations qui donne à l'image son poids de réalité et sa valeur esthétique (space). L'espace n'est jamais statique, car il se développe et se caractérise dans la continuité des images par les positions de la caméra et les angles de prise de vues. Le spectateur en tire une information qui permet son adhésion à la fiction par l'impression de réel que crée l'espace ; on emploie alors le terme «espace cinématographique». L'espace filmique désigne l'espace en deux dimensions du cinéma. En théorie cinématographique, on distingue : a) l'espace diégétique, qui concerne les modes de représentation, de construction et de signification du film ; b) l'espace narratif, qui se rapporte au fonctionnement et à la fonctionnalité du récit ; et c) l'espace spectatoriel, qui appréhende la place du spectateur, sa perception et son savoir vis-à-vis du film comme moyens de communication. »
Le cinéma / Francis Vanoye, Francis Frey, Anne Goliot-Lété
« L'espace filmique est l'espace imaginaire à trois dimensions dans lequel prennent place les événements. Il est constitué du champ (sa partie visible, comprise à l'intérieur du cadre) et du hors champ (sa partie cachée qui englobe le champ), deux espaces complémentaires, réversibles et communicants.
Au cinéma, l'espace se définit en tout premier lieu par le cadre, c'est-à-dire les bords de l'image. Le cadre constitue le seul élément permanent de l'image filmique, ce qu'il contient étant susceptible, à chaque instant, de se mouvoir et de subir des transformations.
Le cadre délimite une image à deux dimensions qui pourtant produit une forte impression de réalité et donc de profondeur. Celle-ci conduit le spectateur à percevoir et à reconstituer mentalement un espace à trois dimensions, analogue à celui du monde réel qui l'entoure. Cet espace imaginaire tridimensionnel s'appelle le champ.
L'impression de réalité a tendance à faire oublier le cadre, ou au moins à en atténuer la rigidité, suggérant qu'au-delà de ce cadre, l'espace du champ se prolonge. L'espace filmique se définit donc comme la somme de deux espaces imaginaires complémentaires : un espace visible, le champ, et l'espace invisible qui l'embrasse : le hors champ. Il suffit d'un mouvement de caméra ou d'un changement de plan pour que l'espace hors champ vienne occuper le champ, et inversement, que l'espace du champ se trouve relégué hors champ.
On distingue deux types de hors champ : un espace qui a été vu antérieurement, autrement dit, qui, à un moment ou à un autre, a occupé le champ et a pu être mémorisé par le spectateur ; ou au contraire un espace qui n'a jamais été vu, qui apparaîtra ou non par la suite, laissé entièrement à la discrétion et à l'imagination du spectateur… »
200 mots clés de la théorie du cinéma / André Gardies, Jean Bessalel
«
Or comment comprendre une expression comme « l'espace politique français » si l'on s'en tient à la seule dimension physique ? L'espace doit être conçu et construit dans la perspective d'un système, avec ses divers éléments et l'ensemble des relations pouvant s'établir entre eux. Cela apparaît plus clairement dans le rapport qu'il entretient avec les lieux. Ces derniers ne sont-ils pas l'actualisation d'un certain nombre de composants du système ? Ne peut-on pas considérer, par exemple, qu'une chambre à coucher actualise quelques composants du système de l'espace domestique et familial ? L'opposition entre l'espace et les lieux ne va alors pas sans quelque analogie avec celle que Saussure proposait entre la langue et la parole.
Tout film narratif met en jeu, pour sa réception, au moins quatre niveaux d'espace : l'espace du dispositif cinématographique, l'espace diégétique, l'espace narratif et l'espace spectatoriel.
Le dispositif cinématographique, à le regarder attentivement, se construit bien en espace : il s'élabore à partir d'éléments nécessaires et obligatoires ayant entre eux des relations constantes et précises ; ce « système » vise à intégrer le spectateur dans un espace de transformation : faire de lui un sujet tout-percevant et réceptif.
L'espace diégétique et l'espace narratif relèvent eux du spécifiquement filmique. Avec le premier c'est l'ensemble des modes de représentation, de construction et de signification qui doit être pris en compte ; avec le second l'espace est analysé dans la perspective de sa fonctionnalité narrative.
Quant à l'espace spectatoriel, plus délicat à appréhender, il vise à intégrer le sujet spectatoriel dans le système de la communication propre au cinéma et au film en même temps qu'il articule l'ensemble des données filmiques avec le savoir culturel de chaque sujet.
L'espace au cinéma se décompose ainsi en niveaux d'espaces, articulés entre eux, grâce auxquels le spectateur est tout à la fois en prise sur le spécifiquement cinématographique, le spécifiquement filmique et cet espace plus vaste, à la fois débordant et englobant, qu'est son espace culturel. »
La question de l’espace au cinéma est traitée dans plusieurs ouvrages théoriques fondamentaux :
L'espace au cinéma / André Gardies
Nous n’avons plus dans nos collections ce livre, qui par ailleurs est épuisé. Vous pouvez le lire dans les bibliothèques universitaires qui en disposent. Pour les repérer, il faut utiliser le catalogue collectif SUDOC.
L'espace du cinéma / Louis Seguin
Idem
Le récit filmique / André Gardies
L'espace cinématographique / Henri Agel
L'analyse du film / Raymond Bellour
Chapitre « Sur l’espace cinématographique », p. 64-72.
Le récit cinématographique / André Gaudreault, François Jost
Esthétique du cinéma / Gérard Betton
Chapitre « L’espace », p. 28-37.
Praxis du cinéma / Noël Burch
L’article : Leo Ramseyer, « Louis Seguin et la question du hors-champ : une cartographie de l’espace du cinéma », Décadrages [En ligne], 1-2 | 2003, mis en ligne le 01 octobre 2004, consulté le 06 novembre 2014. URL : http://decadrages.revues.org/590
30000 ans de peinture contre 120 ans de cinéma, il n’est pas moins aisé de circonscrire les rapports espace/peinture. D’autant plus que la peinture s’est totalement affranchie de l’injonction mimétique.
Si l’on considère seulement la représentation de l’espace sur la surface plane du tableau à la Renaissance, le dessin perspectif n’est pas le seul moyen qu’a le peintre de le figurer ; le sfumato, le clair-obscur concourent à donner l’idée de profondeur, de distance. Au XXe siècle, la peinture voit l’éclosion du cubisme (espace figuré par des plans), la destruction du support tableau (groupe « Supports/Surfaces »), l’abandon de la peinture de chevalet pour la peinture murale (Léger, Matisse), l’irruption de l’espace réel dans l’espace figuré du tableau (Lucio Fontana, avec ses lacérations), la prise en compte du déplacement du spectateur dans l’space (op art), d’un espace recréé par une forme/couleur simple (Anish Kapoor), d’un espace/lumière (James Turrell), de l’espace à quatre dimension (Marcel Duchamp), d’un espace infini (Suprématisme), de la relation surface peinte/espace environnant (shaped canvas, Ellsworth Kelly), le débordement de la surface du tableau (All-over), la cohabitation singulière tableau/mur (Claude Rutault) etc.
Quelques ouvrages fondamentaux sur l’espace pictural :
L'espace pictural / Eliane Escoubas
« L'espace pictural, l'espace d'un tableau, n'est pas une portion d'espace, mais un mode de l'apparaître. Les formes et les modalités historiales de l'apparaître, de la « venue à soi du visible », de l'ex-ercice et de l'ek-stase du regard à même les choses, sont cela même que l'espace du tableau, chaque fois de façon singulière, met en oeuvre.
De l' eidos de l'espace pictural comme mode de l'apparaître on tente ici l'explicitation, grâce à des réseaux de concepts élaborés par Husserl ou Heidegger, Merleau-Ponty ou Henri Maldiney. L'éclatante singularité des oeuvres - l'espace de la diminutio de Paolo Uccello et Piero della Francesca, les paysages de Caspar David Friedrich, les constru&ions cubistes de Braque et Picasso, la composition de l'espace abstrait de Kandinsky et enfin les peintures noir-sur-noir de Pierre Soulages - qui font l'objet des études rassemblées ici, donne lieu et puissance à une phénoménologie de l'espace pictural. La seconde édition, présentée ici, est augmentée d'un chapitre inédit : « Une polyphonie picturale : Paul Klee et le rythme ».
Peinture et société : naissance et destruction d'un espace plastique : de la Renaissance au cubisme / Pierre Francastel
Naissance et renaissance de l'espace pictural / John White
Histoire de l’apparition de l’espace pictural dans l’art italien des XIIIe, XIVe, XVe siècles
Charpentes : la géométrie secrète des peintres / Charles Bouleau
Vie des formes / Henri Focillon
La perspective / Albert Flocon, René Taton
Et sur la communication visuelle (publicité)
La mise en pages / Massin
Chapitre consacré à l’espace, p. 9-50.
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