Question d'origine :
Une ancienne et célèbre coutume chinoise voulait que l'on bande et freine la croissance des peids des jeunnes femmes en Chine.
MA question est donc multiple, par quel procédé arrivait-on à réduire les pieds? J'ai également entendu dire que selon les dimensions les peids portaient un nom du type "bouton d'or", "bouton d'argent"etc; quelles étaient ces dimensions et appelations?
Merci
Réponse du Guichet
bml_chin
- Département : Fonds Chinois
Le 13/04/2005 à 07h04
Les pieds bandés des femmes chinoises sont considérés aujourd’hui comme un mauvais traitement, voire une torture, fait à celles sur qui on l’appliquait. Cette pratique jugée barbare a pourtant perduré en Chine pendant de nombreux siècles et avait pour objet de « modifier » une partie du corps de la femme à des fins sexuelles.
Deux thèses majeures sont évoquées lorsque l’on tente d’expliquer une telle pratique : la thèse de l’attrait sexuel de l’homme chinois pour les petits pieds qui ne serait autre qu’une forme de fétichisme attachée à cette partie du corps féminin et qui peut également nous renvoyer l’histoire plus européenne de Cendrillon et de sa chaussure de vair ; l’autre thèse, de nature plus sociale, y voit une façon de contenir les femmes au sein de la demeure familiale. A supposer que l’émancipation féminine chinoise ait été si précoce.
Pour en connaître les origines et tenter d’en comprendre les raisons, voyons ce que dit le grand spécialiste de la sexualité des Chinois, Robert Van Gulik dans son essai intitulé La vie sexuelle dans la Chine ancienne et le chapitre qu’il consacre à ce sujet.
Nous devons aborder beaucoup d’importance à Li Yu (937-978) [voir les Les carnets secrets dus à cet auteur], non seulement parce qu’il fut l’un des grands poètes de l’amour, mais pour une autre raison encore. C’est lui, si l’on en croit la tradition, qui introduisit la coutume de bander les pieds des femmes, et depuis lors cette coutume a joué un rôle prépondérant dans la vie sexuelle des Chinois.
C’est avec bien des précautions que les documents Song (960-1279) et Yuan (1279-1368) produisent une opinion sur l’histoire du bandage des pieds, qui en ce temps était déjà une coutume très répandue et bien établie. Les écrivains de cette époque affirment n’avoir trouvé aucune allusion directe aux pieds bandés dans la littérature de l’époque T’ang (618-907) et des époques précédentes ; et dans les images de ce passé, c’est en vain qu’ils ont tenté de découvrir des dames aux pieds bandés. Pour expliquer l’origine de cet usage, ils citent l’histoire de Li Yu et de l’une de ses épouses favorites appelée Yao-niang. Il nous est dit que Li Yu avait construit pour elle une grande fleur de lotus haute de plus de six pieds [d’où l’un des mots chinois servant à désigner les petits pieds : Jin lian, soit
Il est permis de douter que la mode provienne de Yao-niang elle-même, mais tous les témoignages littéraires et archéologiques situent la naissance de cette coutume aux alentours de son époque, c'est-à-dire dans l’intervalle des quelque cinquante années qui séparent les dynasties T’ang et Song. Elle demeura en faveur au cours des siècles suivants et ne tomba en désuétude que ces toutes dernières années [cette pratique fut interdite après la naissance de la République en 1911]. De nos jours, il arrive qu’on aperçoive en Chine de vieilles femmes aux pieds bandés mais non pas des jeunes femmes, ni des jeunes filles. […]
Suit un passage où l’auteur évoque des origines beaucoup plus lointaines datant d’avant l’unification de l’empire chinois, tout en considérant que ces théories sont sans fondement et doivent être rejetées.
Ainsi donc, l’histoire de cet usage ne pose aucun problème, mais il est difficile de déterminer pour quelle raison les pieds féminins ont joué un rôle si particulier dans la vie sexuelle des Chinois du jour où l’on se mit à les bander.
Depuis la dynastie Song, les pieds pointus et d’une petitesse excessive ont figuré comme un article indispensable dans la liste des attributs d’une belle femme, et peu à peu, on a vu se constituer autour d’eux tout un folklore du pied et de la chaussure. On en vint à considérer les petits pieds comme la partie la plus intime du corps féminin, comme le symbole même de la féminité, et comme le centre le plus puissant de son sex-appeal. Les figurations érotiques des époques Song et suivantes font voir des femmes complètement nues, dont la vulve apparaît dans tous ses détails : mais je n’ai jamais vu d’image, et il n’en existe pas à ma connaissance, qui montrât à découvert les pieds bandés d’une femme. Cette partie du corps féminin est strictement tabou (sic). Tout ce que les artistes ont pu se permettre, c’est de représenter une femme qui commence à enrouler ou dérouler les bandelettes de son pied. De là, le tabou s’étendit aux pieds nus des femmes qui ne les bandaient pas, exception faite pour les images des divinités féminines, telles que Koan-yin [Guanyin], ou à l’occasion, d’une servante.
Ainsi les pieds d’une femme devenaient son principal attrait sexuel. L’homme les touchait avant le commerce sexuel, et attouchement devenait même le préliminaire traditionnel. C’est sous cette forme invariable que presque tous les romans érotiques, depuis l’époque Ming (1368-1644), décrivent les premières avances. Quant le soupirant a pu obtenir de sa dame la faveur d’un tête-à-tête, il ne cherche pas à sonder ses sentiments par un contact physique, même si ce n’est que frôler sa manche ; mais il ne lui est pas défendu de plaider sa cause en paroles. Si ce qu’il donne à entendre n’est pas accueilli défavorablement, il laisse tomber à terre ses baguettes de dîneur ou son mouchoir, et quand il se baisse pour les ramasser, il effleure les pieds de la dame. C’est là l’épreuve définitive. Si l’on ne se montre pas fâchée, c’est que la cause est gagnée, et l’amoureux peut passer librement à un tout autre contact physique : il peut la prendre dans ses bras, lui donner des baisers, etc. qu’un homme touche la poitrine ou les fesses d’une femme, cela peut expliquer et se pardonner comme un geste involontaire ou maladroit. Qu’il lui touche les pieds, on n’acceptera aucune excuse, et pareille faute est généralement cause des plus graves embarras.
Certains auteurs se sont évertués à établir un rapport entre les pieds bandés et les parties intimes de la femme, affirmant que la démarche imposée par les pieds bandés provoquait un développement particulier du mont de Vénus, et une grande vivacité des réflexes vaginaux ; mais les experts médicaux ont rejeté cette théorie sans appel. D’autres ont avancé que les confucianistes favorisèrent cet usage du fait qu’il restreignait les mouvements des femmes et qu’il les empêchait de s’écarter de la maison : les pieds bandés devenaient ainsi le symbole de la modestie féminine. C’est tirer bien fortement sur des cheveux pour un résultat peu convaincant.
Jean-Jacques Matignon qui fut médecin, attaché à la Légation de France à Pékin à la fin du 19° et au début du 20° siècle, s’est intéressé aux pieds bandés des Chinoises dans son ouvrage intitulé Superstition, crime et misère en Chine.
La chapitre « A propos d’un pied d’une chinoise » qu’il consacre à ce sujet dans cet ouvrage commence par la relation d’un examen qu’il effectua sur une jeune femme de vingt ans, morte de tuberculose, qui avait eu les pieds bandés. Il écrit notamment :
[…]
C’était une fille du peuple, voilà pourquoi son ‘petit pied’ était un peu grand. Il avait, en effet, 17 centimètres de longueur, alors que celui d’une femme du high-life peut ne pas dépasser 13 à 14 centimètres. Son poids, avec 6 centimètres de jambe, était de 480 grammes.
Suit une description très détaillée du pied dont nous extrayons la partie suivante :
Les quatre derniers orteils sont, par un mouvement de flexion, ramenés totalement sous la plante et reposent sur le sol, par leur face dorsale. Chacun d’eux porte un cor à ce niveau. Les orteils ont subi non seulement ce mouvement de flexion, mais aussi un mouvement de rotation sur leur axe, car ils sont pliés de dehors en dedans et d’arrière en avant.
Plus loin, l’auteur reprend ce qu’en avait déjà écrit le docteur Georges Morache quant aux « manœuvres qui doivent amener la production de cette déformation. »
On commence à masser le pied, à fléchir plus ou moins les derniers orteils, à les maintenir dans cette position, par un bandage en 8 de chiffre. Ce bandage que j’ai vu exécuter plusieurs fois, devant moi, se fait avec une bande de coton ou de soie, de 5 à 6 centimètres et plus de large, de 1 mètre à 1m.50 de long. On applique le chef initial de la bande sur le bord interne du pied, au niveau de la l’articulation tarsienne du premier métatarsien. On porte la bande sur les quatre derniers orteils, laissant le pouce libre, puis sous la plante du pied. On la relève sur le coup-de-pied pour former une anse derrière le calcanéum, en ayant soin de l’appliquer sur la tête de l’os, non au-dessus ; on revient au point de départ. En un mot on fait un 8 de chiffre dont l’entre-croisement se trouve sur le bord interne du pied. Au-dessus de cette première bande, on en place une seconde, destinée surtout à la maintenir et on l’arrête par quelques points de couture.
Le mode d’application du bandage ne varie pas pendant toute la période des manœuvres.
En étudiant son effet, on constate qu’il produit deux résultats : 1° flexion des quatre derniers orteils et torsion, sous la plante du pied, des métatarsiens correspondants ; 2° tassement antéro-postérieur du pied par son point d’appui sur le calcanéum. Peut-être, déjà, à un faible degré, exagération de la concavité plantaire.
Pendant les premiers temps, le bandage est médiocrement serré. Peu à peu, on augmente la tension. A chaque nouvelle application, qui se renouvelle au moins tous les jours, on laisse quelques instants le pied à nu, on le lave et on le frictionne avec l’alcool de sorgho. L’oubli de cette précaution contribue puissamment à faire naître des ulcérations.
A cette époque la chaussure de l’enfant consiste en une bottine dont l’extrémité se rétrécit peu à peu et arrive, enfin, à être complètement pointue. L’étoffe remonte assez haut et se réunit en avant par un lacet. La semelle est plate, sans talon, comme celle d’une pantoufle.
Par ces seuls moyens on arrive à produire le pied vulgaire que nous avons décrit plus haut, comme le plus commun dans le Nord, le plus usité par les classes pauvres. Mai sil faut en continuer l’usage, sous peine de perdre le fruit des premiers efforts. La jeune fille, la femme s’appliquent leur bandage avec régularité. Là, ainsi qu’en beaucoup d’autres choses, si on n’acquiert par, on perd. La chaussure reste toujours la même comme forme, elle varie seulement de dimensions avec la croissance du pied ; car il n’y a pas d’arrêt absolu de développement de ce membre, mais seulement perversion.
Si la mère veut donner à sa fille un pied encore plus élégant, elle a recours à d’autres procédés. Lorsque le premier degré est bien établi, que la flexion des orteils est permanente, on commence à exercer un massage énergique, puis on place, sous la face plantaire, un morceau de métal de forme cylindrique et d’un volume proportionné à celui du pied. (…) La mère, appuyant son genou sur la face inférieure du demi-cylindre de métal, saisit d’une main le calcanéum, de l’autre la partie antérieure du pied de l’enfant et s’efforce de le plier. On dit que dans ses efforts elle produit quelquefois une fracture (une luxation » de os du tarse, que si elle n’y parvient pas elle frappe avec un caillou sur la face dorsale jusqu’à ce que la lésion se produise. Enfin, dans certaines provinces, il serait d’usage d’enlever un os, probablement le scaphoïde, lorsque celui-ci faisant saillie après des manœuvres nombreuses, sans doute fracturé déjà, rend possible une opération que jamais les Chinois ne pratiqueraient sans cela. (…)
Toutes ces manœuvres produisent une flexion forcée du pied, dans le sens antéro-postérieur, avec torsion des orteils autour du premier métatarsien. Tout le poids du corps repose sur le calcanéum. Les orteils ne jouent qu’un rôle insignifiant. (…) Aussi, les femmes, dès qu’elles sont un peu âgées, doivent-elles avoir recours à un bâton. Les jeunes marchent les bras légèrement écartés, comme des balanciers, le thorax en avant, le bassin en arrière, semblant poursuivre leur centre de gravité. Les talons réunis, elles sont en équilibre tout à fait instable et rien n’est plus facile que de les faire tomber à la renverse.
Le docteur Matignon conclut de la sorte son chapitre sur les pieds bandés des Chinoises :
Nous trouvons cette déformation des pieds ridicule, mais elle fait plaisir aux Chinois. Que dirions-nous en Europe, si une société de Célestes venait faire campagne contre le corset ? Déformation pour déformation, quelle est la plus ridicule : celle qui a comme résultat de provoquer une certaine difficulté de la marche ou celle qui comprimant l’estomac, luxant le rein, écrasant le foie, gênant le cœur, empêche souvent les femmes de faire de beaux enfants ?
Consultons enfin les quelques lignes consacrées au sujet dans l’ouvrage La vie des Chinois au temps des Ming :
[…] cette pratique s’est imposée progressivement aux femmes des diverses classes, y compris les paysannes. L’opération consiste à serrer étroitement le pied d’une fillette de trois ou quatre ans à l’aide de bandelettes […] C’est un processus long qui ne va pas sans douleurs. Suivant le caractère plus ou moins strict et la durée de ce traitement, les pieds sont soit simplement réduits, ce qui semble avoir été l’objectif initial, soit littéralement atrophiés, jusqu’à pouvoir tenir dans la paume de la main, comme on le constate de plus en plus fréquemment à partir des Ming. Il faut insister sur le fait que la responsabilité de bander les pieds des fillettes revient aux mères. Elles acceptent d’autant plus facilement cette torture que la possession de petits pieds est un attrait et qu’elle valorise socialement la femme. Une femme aux « pieds naturels » passe pour peu attractive et perd tout espoir d’ascension sociale, par mariage ou par concubinage. D’ailleurs ne juge-t-on pas de la beauté des courtisanes en fonction de la taille de leurs pieds ? Outre l’attraction particulière des petits pieds auprès des hommes de l’époque, ils confèrent aux femmes une démarche hésitante, supposée contribuer à leur grâce naturelle. Bien que cette mode soit jugée barbare par certains Chinois éclairés mais aussi par la plupart des peuples voisins de l’empire Ming, tels les Coréens ou les Japonais, elle prend une telle ampleur que les femmes mandchoues, à qui cette pratique est rigoureusement interdite et qui conservent leurs vêtements « nationaux », prendront l’habitude de porter des chaussures dont la semelle se rétrécit sous le coup de pied, donnant ainsi l’illusion de posséder de petits pieds.
Nous vous renvoyons dans un premier temps au texte anglais intitulé Footbinding processes qui détaille d’une façon plus précise encore que ne le fait J.-J. Matignon et qui donne le nom chinois de chacune des étapes de la déformation.
La page intitulée "les pieds bandés" (aujourd'hui disparue mais dont le contenu est repris sur divers sites dont ce blog ou l(article Belle à en mourir ) nous indique, entre autres :
L'objectif était de produire une rareté culturellement valorisée, le « lotus d'or » ou pied ne dépassant pas sept centimètres ; à dix centimètres, c'est un « lotus d'argent ».
Consultez cette page également pour les illustrations qu’elle contient.
Nous vous renvoyons également aux deux ouvrages suivants pour de magnifiques reproductions de scènes érotiques où l’on peut voir les femmes, quelles que soient les positions amoureuses et une géométrie parfois compliquée, qui sont effectivement chaussées bien que dépourvues de tout autre sorte de vêtements.
Les jardins du plaisir : érotisme et art dans la Chine ancienne : oeuvre de la Collection Bertholet
et
Rêves de printemps : l'art érotique en Chine : collection Bertholet
Nous vous suggérons deux liens anglophones supplémentaires :
* Marie Vento : One Thousand Years of Chinese Footbinding: Its Origins, Popularity and Demise
* Foot Binding: Beauty And Torture
DANS NOS COLLECTIONS :
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