Statut juridique livres interdits
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 13/06/2015 à 15h02
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Question d'origine :
Bonjour, je voudrais savoir s'il existe, en France, en bibliothèque, un statut juridique particulier des livres condamnés et/ou interdits de publication ? Les bibliothèques ont-elles le droit d'en posséder ? de les acheter ? Peuvent-elles les diffuser (consultation et/ou prêt ?) ? Si oui, à quelles conditions ? Ma question concerne aussi bien les livres interdits intégralement que ceux dont la publication a été soumise à des modifications, auquel cas est-ce que la bibliothèque peut posséder/diffuser un exemplaire d'avant les modifications imposées ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 15/06/2015 à 09h05
Bonjour,
Le Guichet du Savoir ayant déjà répondu à une question similaire, nous vous invitons à lire ce sujet : censure littéraire et bibliothèques.
En complément, nous citons un extrait du texte de Marie Kuhlmann, Elus et bibliothécaires aux prises avec la censure, que vous pouvez lire en intégralité sur le site de l’ADBDP :
Une bibliothèque municipale, une bibliothèque départementale de prêt, n’ont pas vocation à tout acheter ni à tout conserver. Cependant, choix et désherbage apparaissent parfois comme des arguments commodes pour dissimuler des censures.
Dans cette définition, il faut par ailleurs différencier les actes de censure et les actes d’autocensure.
• Dans le premier cas, la municipalité, le conseil général ou les bibliothécaires censurent des ouvrages par convictions personnelles.
• Dans le second cas, ils écartent certains ouvrages qui ne les gênent pas personnellement, par crainte des réactions, voire des représailles émanant du public ou aussi pour ce qui est des bibliothécaires, des autorités de tutelle. L’autocensure est sans doute plus développée encore, que la censure.
Les bibliothèques subissent, en effet un triple contrôle.
• Celui des départements ou des municipalités qui les gèrent et en définissent les grandes orientations.
• Celui des bibliothécaires qui sous tutelle municipale ou départementale sont notamment chargés du choix des livres.
• Celui des lecteurs qui les utilisent et qui parfois contestent les orientations ou les choix.
Dans quel cadre législatif s’exercent les censures qui peuvent découler de ces multiples contrôles ?
En fait nous sommes, face à un relatif vide juridique.
Dans la première moitié du siècle, vous le savez peut-être, le contrôle et la censure étaient dévolus à des comités, dits d’inspection et d’achat de livres, créés par décret en 1912. Ces comités constitués de notables locaux et d’érudits exerçaient une surveillance politique et morale.
En 1961, ces instances tombées en désuétude, ont été remplacées dans les bibliothèques municipales par des comités n’ayant qu’un rôle consultatif, prenant pour modèle les comités des bibliothèques centrales de prêt créées en 1946. Les BCP étaient innovatrices en ce domaine : dès l’origine, leurs comités n’étaient plus que de consultation et non de contrôle.
Depuis janvier 1986, la gestion et l’organisation des bibliothèques ont été confiées, comme vous le savez, aux départements et aux communes. Les comités ont alors été abrogés dans le cadre de cette décentralisation : que l’on parle des bibliothèques départementales de prêt ou des bibliothèques municipales.
Actuellement, il n’existe pas de loi définissant les droits, les devoirs, les missions, des autorités de tutelle et des bibliothécaires en matière d’acquisition.
Ce flou juridique présente un certain nombre de risques : on le voit avec ce qui s’est passé dans les municipalités gérées par le Front national.
Ce flou juridique présente aussi quelques avantages : les bibliothécaires ne sont pas en butte aux perpétuels procès que pourraient attenter les partis politiques extrémistes, en constatant l’absence d’ouvrage de leurs tendances.
Par contre, les associations d’usagers peuvent exercer un recours en cas de discrimination, en particulier, raciales et religieuses. Cette possibilité a été utilisée à l’encontre de certaines municipalités gérées par le FN.
En ce qui concerne l’application des censures d’État, le statut des bibliothèques n’est pas mieux défini : les deux lois qui organisent la censure - la Loi du 29 juillet 1881 et la Loi de 1949 - ne donnent pas non plus de statut juridique au livre de bibliothèque.
Seules les autres professions du livre, et en particulier les éditeurs sont nominalement citées dans les textes de loi. Dans la loi de 1949, le texte précise que les interdictions visent aussi " tout détenteur susceptible de proposer des ouvrages interdits aux mineurs " , ce qui reste très vague ;
Doncles bibliothèques , c’est l’un des avantages dont je voulais parler, peuvent ignorer sans trop de risques les décisions d’interdiction d’un livre, sauf si le jugement ou l’arrêté ministériel interdit toute mise à disposition au public.
Par rapport aux censures d’État, les bibliothèques bénéficient d’une marge de liberté que je qualifierais de " relative " en raison de la possibilité de dépôt de plainte et de sanctions administratives .
En raison de ce flou juridique, c’est souvent l’autocensure qui pousse le bibliothécaire à retirer de ses rayons un document « problématique », même au-delà des interdictions légales. Nous vous conseillons à ce propos la lecture de l’article de Bertrand Calenge : A propos de la censure en bibliothèque :
Le 31 mai dernier, dans le cadre d’une journée thématique intitulée Bibliothèques d’enfer(s), j’ai eu l’honneur d’être convié à une table ronde à l’enssib sur le thème : « Collections et politiques documentaires : le censure est-elle une fatalité« . Ayant retrouvé le texte préparé à cette occasion, je ne résiste pas au désir de vous le communiquer une fois remanié…
Livres interdits, livres prescrits, livres encensés ou livres maudits : là se situe en général le débat de la censure en bibliothèque. Que la censure ou la prescription soit le fait de tutelles, de groupes de pression ou des bibliothécaires eux-mêmes, tout l’enjeu est de savoir quoi autoriser et quoi interdire…
Et si vous souhaitez approfondir la question, vous pouvez écouter les 40 minutes du podcast de la table ronde "Collections et politique documentaire : la censure est-elle une fatalité ?" sur le site de l’enssib.
Enfin, nous vous rappelons que les questions de bibliothéconomie peuvent être posées au service Questions ? Réponses ! de l'enssib.
Pour aller plus loin :
- Livre et censure : bibliographie, BnF
- La responsabilité de l'écrivain : littérature, droit et morale en France : XIXe-XXIe siècle, Gisèle Sapiro
- La liberté sans expression ? Emmanuel Pierrat
Bonne journée.
Le Guichet du Savoir ayant déjà répondu à une question similaire, nous vous invitons à lire ce sujet : censure littéraire et bibliothèques.
En complément, nous citons un extrait du texte de Marie Kuhlmann, Elus et bibliothécaires aux prises avec la censure, que vous pouvez lire en intégralité sur le site de l’ADBDP :
Une bibliothèque municipale, une bibliothèque départementale de prêt, n’ont pas vocation à tout acheter ni à tout conserver. Cependant, choix et désherbage apparaissent parfois comme des arguments commodes pour dissimuler des censures.
Dans cette définition, il faut par ailleurs différencier les actes de censure et les actes d’autocensure.
• Dans le premier cas, la municipalité, le conseil général ou les bibliothécaires censurent des ouvrages par convictions personnelles.
• Dans le second cas, ils écartent certains ouvrages qui ne les gênent pas personnellement, par crainte des réactions, voire des représailles émanant du public ou aussi pour ce qui est des bibliothécaires, des autorités de tutelle. L’autocensure est sans doute plus développée encore, que la censure.
Les bibliothèques subissent, en effet un triple contrôle.
• Celui des départements ou des municipalités qui les gèrent et en définissent les grandes orientations.
• Celui des bibliothécaires qui sous tutelle municipale ou départementale sont notamment chargés du choix des livres.
• Celui des lecteurs qui les utilisent et qui parfois contestent les orientations ou les choix.
En fait nous sommes, face à un relatif vide juridique.
Dans la première moitié du siècle, vous le savez peut-être, le contrôle et la censure étaient dévolus à des comités, dits d’inspection et d’achat de livres, créés par décret en 1912. Ces comités constitués de notables locaux et d’érudits exerçaient une surveillance politique et morale.
En 1961, ces instances tombées en désuétude, ont été remplacées dans les bibliothèques municipales par des comités n’ayant qu’un rôle consultatif, prenant pour modèle les comités des bibliothèques centrales de prêt créées en 1946. Les BCP étaient innovatrices en ce domaine : dès l’origine, leurs comités n’étaient plus que de consultation et non de contrôle.
Depuis janvier 1986, la gestion et l’organisation des bibliothèques ont été confiées, comme vous le savez, aux départements et aux communes. Les comités ont alors été abrogés dans le cadre de cette décentralisation : que l’on parle des bibliothèques départementales de prêt ou des bibliothèques municipales.
Ce flou juridique présente un certain nombre de risques : on le voit avec ce qui s’est passé dans les municipalités gérées par le Front national.
Ce flou juridique présente aussi quelques avantages : les bibliothécaires ne sont pas en butte aux perpétuels procès que pourraient attenter les partis politiques extrémistes, en constatant l’absence d’ouvrage de leurs tendances.
Par contre, les associations d’usagers peuvent exercer un recours en cas de discrimination, en particulier, raciales et religieuses. Cette possibilité a été utilisée à l’encontre de certaines municipalités gérées par le FN.
Seules les autres professions du livre, et en particulier les éditeurs sont nominalement citées dans les textes de loi. Dans la loi de 1949, le texte précise que les interdictions visent aussi " tout détenteur susceptible de proposer des ouvrages interdits aux mineurs "
Donc
Par rapport aux censures d’État, les bibliothèques bénéficient d’une marge de liberté que je qualifierais de " relative " en raison de la possibilité de dépôt de plainte et de sanctions administratives
En raison de ce flou juridique, c’est souvent l’autocensure qui pousse le bibliothécaire à retirer de ses rayons un document « problématique », même au-delà des interdictions légales. Nous vous conseillons à ce propos la lecture de l’article de Bertrand Calenge : A propos de la censure en bibliothèque :
Le 31 mai dernier, dans le cadre d’une journée thématique intitulée Bibliothèques d’enfer(s), j’ai eu l’honneur d’être convié à une table ronde à l’enssib sur le thème : « Collections et politiques documentaires : le censure est-elle une fatalité« . Ayant retrouvé le texte préparé à cette occasion, je ne résiste pas au désir de vous le communiquer une fois remanié…
Livres interdits, livres prescrits, livres encensés ou livres maudits : là se situe en général le débat de la censure en bibliothèque. Que la censure ou la prescription soit le fait de tutelles, de groupes de pression ou des bibliothécaires eux-mêmes, tout l’enjeu est de savoir quoi autoriser et quoi interdire…
Et si vous souhaitez approfondir la question, vous pouvez écouter les 40 minutes du podcast de la table ronde "Collections et politique documentaire : la censure est-elle une fatalité ?" sur le site de l’enssib.
Enfin, nous vous rappelons que les questions de bibliothéconomie peuvent être posées au service Questions ? Réponses ! de l'enssib.
- Livre et censure : bibliographie, BnF
- La responsabilité de l'écrivain : littérature, droit et morale en France : XIXe-XXIe siècle, Gisèle Sapiro
- La liberté sans expression ? Emmanuel Pierrat
Bonne journée.
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