Question d'origine :
Bonjour,
Réponse du 29/6/2005 Guichet du Savoir
Henri Corneille AGRIPPA, né le 14 septembre 1486 à Cologne et décédé le 18 février 1535 à Grenoble ou Lyon, était un humaniste, théologien, médecin, alchimiste et kabbaliste chrétien.
Médecin de Louise de Savoie et historiographe de Charles Quint, il fut emprisonné pour magie et mourut dans la misère.
Bonjour,
je n’ai trouvé qu’une réponse du 29 juin 2005 concernant Henri Corneille AGRIPPA (1486-1535) qui est sans doute le personnage Her Tripa de François Rabelais. Je lis dans les Œuvres complètes de Rabelais (éd. du Seuil 1973) en page 998. Her Trippa : voir Tiers L. chap. 25 ; Lefranc voit en lui une transposition bouffonne de Cornélius Agrippa von Nettesheim, alchimiste colonais mort à Grenoble en 1535, auteur d’ouvrages sur la philosophie occulte et la vanité des sciences où il exprime certaines idées féministes ; voir J. G. Perkins, Rev. d’hist. litt. de la Fr., juillet 1970, p. 577-597.
En fait, cet article soulève un débat intéressant que V.L. Saulnier complète dans sa publication RABELAIS DANS SON ENQUETE : Pour Her Trippa : l'étymologie (à partir de Corneille Agrippa) est admissible. Mais à la condition de ne pas serrer le rapprochement. Les conclusions de Lefranc nous paraissent trop affirmatives : "Nombre de lecteurs du Pantagruel pouvaient ainsi reconnaître sans peine notre personnage... En résumé : aucun trait de l'épisode du Pantagruel qui ne convienne exactement à la personnalité d'Agrippa. Il y a donc identité entre le célèbre médecin et la figure introduite par Rabelais dans son roman". A qui voudrait plaider l'identification réelle, nous rappellerons que rien n'explique pourquoi Rabelais logerait Agrippa à l'île Bouchard. Si, d'autre part, Rabelais et Agrippa ont été conjointement considérés comme suspects, tant par les autorités catholiques que par Calvin, sous le soupçon d'être "libres-penseurs", l'argument me paraît plaider plutôt contre Lefranc : ayant en quelque mesure cause liée avec lui, Rabelais n'aurait sans doute pas tenu à le faire apparaître lui-même, dans le Tiers Livre, comme ridicule.
Ce qui m’intéresse, c’est si Agrippa a eu l’occasion de rencontrer Rabelais à Lyon. A première vue, selon mes sources lyonnaises, Agrippa s’est fixé à Lyon de 1524 à 1527 alors que Rabelais n’y est cité qu’à partir de 1532, mais des indices sérieux méritent une enquête plus approfondie.
1. Dans la chronologie rabelaisienne de l’ouvrage de 1973, en page 24, je lis en 1525 après la date du 24-25 février (désastre de Pavie)… « Ce jour-là Rabelais était à Lyon ». J’ignore si la chronologie plus récente a repris cette première mention, car Lyon est loin du Poitou. Mais Rabelais déteste les fuyards de Pavie (Charles d’Alençon, époux de Marguerite d’Angoulême) : « Je hais plus que le poison, dit Rabelais, un homme qui se dérobe au moment où on va tirer les épées. Pourquoi ne suis pas roy de France pendant quatre-vingt ou cent ans ! Grand Dieu ! je couperois la queue aux misérables chiens qui ont pris la fuite à Pavie ! »
2. Durant la fin de vie obscure d’Agrippa (hésitation sur le lieu de décès), j’ai déniché dans le 1er tome du Dictionnaire de théologie catholique (1930), p. 635-8, des indications plus précises :
«… Il va à Cologne, à Genève, à Lyon, où il obtient de François Ier le titre de médecin de la reine-mère, Louise de Savoie ; mais il se fait chasser de France pour avoir prédit au connétable de Bourbon le succès de sa trahison. Il s’arrête à Bruxelles auprès de la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de Parme, qui le fait nommer historiographe de l’empereur Charles-Quint. La publication de ses deux ouvrages, De vanitate scientiarum et De occulta philosophia, lui vaut, après la mort de sa protectrice, une année de prison à Bruxelles (1530-1531). Il revient à Cologne, puis à Lyon, où il est de nouveau emprisonné pour un écrit contre Louise de Savoie ; il meurt dans l’indigence à Grenoble, l’année suivante, 1535. »
Existe-t-il une preuve du retour d’Agrippa en 1534 à Lyon ?
Lorsque Rabelais revient fin avril de Rome, il a rencontré probablement Agrippa en prison.
3. En tout cas, il me semble certain que l’absence de Rabelais du 13 février 1535 à Lyon coïncide avec la date du décès d’Agrippa le 18 février 1534 à l’hôpital de Grenoble. Une preuve, à mon avis, que les deux hommes se connaissaient… et que l'hypothèse d'un exil dans le Poitou en 1535 est erronée.
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 05/09/2015 à 15h43
Votre question nécessiterait des recherches approfondies que le temps de réponse du Guichet du Savoir ne nous permet pas de mener. Il existe néanmoins une étude d’Abel Lefranc, que vous citez à partir, vraisemblablement, d’autres travaux postérieurs. Publiée en 1913 dans les Mélanges offerts à Emile Picot, elle porte sur Rabelais et Cornelius Agrippa, et répond en partie à un certain nombre de questions que vous soulevez, ce qui nous amène à penser que vous n’avez sans doute pu en prendre connaissance, du moins dans son intégralité.
Concernant d’abord la raison pouvant conduire Rabelais à ridiculiser Corneille Agrippa par le biais du personnage à clé Her Trippa, et ce malgré certaines affinités de pensée, Lefranc rappelle que les propos féministes tenus par le médecin allemand dans un ouvrage paru à Lyon en 1537 chez François Juste, l’éditeur même de Rabelais, ne pouvaient que déplaire à ce dernier. Il « dut lire avec une ironie peu bienveillante cette apologie outrée et indiscrète, si éloignée de ses propres idées, et c’est avec une satisfaction assez naturelle qu’il songea, au moment de la préparation de son Tiers Livre, à mettre en scène le trop ardent panégyriste, heureux sans doute de saisir une occasion favorable de le rendre ridicule. Entre ces deux confrères, le premier d’un jugement si alerte et si juste, le second, […] d’un esprit si peu équilibré et, semble-t-il, d’une sincérité sujette à caution, aucune sympathie intellectuelle ne pouvait exister. » L’exercice de la médecine telle que la pratiquait Agrippa était en outre trop entaché d’alchimie et de magie pour plaire à Rabelais, en dépit d’une réputation partagée de « libres penseurs ».
A votre remarque pertinente sur la localisation incongrue de Her Trippa à l’île Bouchard, non conforme au parcours du véritable Corneille Agrippa, Lefranc admet qu’il faut y voir un subterfuge de Rabelais permettant d’intégrer son personnage fictif au cadre géographique de son œuvre, située en Touraine. Et d’ajouter qu’ « il est possible d’ailleurs qu’une explication permette un jour de préciser la raison du choix fait par Rabelais de cette localité de son pays chinonais ».
Concernant la fin d’Agrippa, Abel Lefranc atteste bien d’un retour du médecin-occultiste allemand à Lyon, non pas en l’année 1534 mais en 1535 : « En 1535, du reste, Agrippa se rendit de nouveau à Lyon, venant de Bonn. Nous sommes renseignés avec certitude sur cette période finale de son existence par le plus fidèle de ses disciples, Jean Wier. Ce changement ne lui fut pas favorable. Revenu à Lyon, il se vit jeter en prison par ordre du roi […] Il se retira alors à Grenoble, où il mourut peu de temps après au cours de l’année 1535, âgé de 49 ans, sans qu’on puisse préciser le mois de son décès. Sa fin arriva non pas à l’hôpital, […] comme on l’a prétendu, mais, selon toute vraisemblance, au logis même de François de Vachon, président au parlement du Dauphiné, qui l’avait recueilli chez lui, et par les soins de qui il fut inhumé honorablement… ». Le fait est rapporté par Guy Allard, dans sa Bibliothèque de Dauphiné.
Or, c’est chez ce même François de Vachon que se réfugie également Rabelais, menacé de poursuites, après avoir quitté Lyon le 13 février 1535.
Guy Allard, cité par Lefranc, précise que Vachon « ne passoit point agréablement les heures de son loisir s’il n’estudioit pas, est ses plus charmantes conversations estoient avec les gens de lettres ; aussi recueillit-il Rabelais et Agrippa dans sa maison ».
Lefranc poursuit son argumentation : « Il semble donc, d’après ce texte […] que Rabelais et Agrippa, qui tous deux séjournèrent à Grenoble en 1535, aient pu se retrouver dans la demeure hospitalière du président de Vachon. Et même il ne serait pas impossible qu’ils se fussent rencontrés déjà à Lyon, si l’arrivée d’Agrippa dans cette ville avait été antérieure à la mi-février. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de constater que les circonstances ont imposé à chacun d’eux, vers la même époque, un déplacement et une retraite absolument semblables, conseillés par la prudence. Une telle constatation nous amène à nous demander s’il n’existerait point une relation entre le départ de l’un et celui de l’autre… ».
Les ouvrages d’Agrippa et de Rabelais ayant suscité les mêmes rejets de la part des autorités catholiques et luthériennes, les deux auteurs pouvaient trouver appui chez un protecteur commun et avoir été amené à se rencontrer auparavant, en dépit des profondes différences les opposant : « de toute manière, l’auteur du Pantagruel dut souvent entendre parler d’Agrippa. S’il l’a connu personnellement, comme bien des indices permettent de le croire, il n'a sans doute éprouvé, malgré quelques idées communes et la similitude des dangers courus vers le même temps, aucune sympathie pour son confrère ; ce champion des sciences occultes ne pouvait séduire en nulle manière son esprit si clair et tout épris des réalités ».
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