Question d'origine :
Bonjour,
j'ai trouvé de nombreux document expliquant le processus de rationalisation (Aufklärung) qui a eu lieu dans les sociétés modernes, mais j'aimerais maintenant pouvoir m'appuyer sur des citations concrètes de l'auteur. Malheureusement j'ai l'impression de ne trouver aucun passage clairement axé sur ce phénomène. Auriez vous des références, et des endroits / chapitres de son ouvrage ou il traite directement du sujet ?
Par exemple, dans "L'Ethique protestante du capitalisme", je trouve plus des exemples appliqués, mais pas de passage entièrement dédié à la rationalisation, et au désenchantement du monde.
Par ailleurs, j'aimerais aussi comprendre plus clairement le concept de rationalisation envisagé par Adorno et Horkeimer dans leur ouvrage "Dialectique de la raison" (Dialektik der Aufklärung). Seulement le livre m'est difficilement accessible. De même auriez vous des références utiles pour bien cerner tous les aspects de ce concept par ces auteurs ?
Merci mille fois quoiqu'il en soit, pour aujourd'hui, hier et demain.
Sebastien
Réponse du Guichet
bml_soc
- Département : Société
Le 05/02/2016 à 15h00
Nous vous rappelons que nous n’avons pas vocation à effectuer un travail de recherche ou de rédaction scolaire.
Cependant, voici quelques extraits de documents que nous vous conseillons de lire et qui pourront « éclairer », nous espérons votre recherche documentaire.
Les deus titres suivants nous semblent les plus pertinents pour répondre à votre demande.
M. Weber étudie les rapports du religieux et du politique autant que de l'économie dans la constitution des sociétés.
Max Weber.-Economie et société.-Pocket
Le terme de rationalisation revêt de multiples sens chez Weber. Il signifie notamment que, au risque de dépersonnaliser les rapports qu’ ils entretiennent les uns avec les autres, les hommes n’ ont de cesse de vouloir rendre leurs actions cohérentes et plus rationnelles. Cela parait évident dans le champ économique.
C’est dans le tome 2 d’ Economie et société que nous trouvons, chapitre II de la première partie du premier volume, une définition de la rationalité économique. Pour atteindre une situation d’ optimum, les échanges et les calculs doivent être réalisés à l’ aide de la monnaie, outil de compte le plus rationnel pour orienter l’ action économique.
La rationalisation n’est pas un long fleuve tranquille. Les objets, les champs,les personnes prit dans les rets d’ un tel processus sont tellement variés que la rationalisation d’ un espace d’ actions est nécessairement partiel.
Les pressions qu’exercent certains groupes pour améliorer leurs intérêts économiques, politiques, éthiques particuliers affaiblit les efforts réalisés pour améliorer la cohérence interne des règles juridiques (rationalisation formelle).chapitre 7 (second volume).
Source : La bibliothèque idéale des sciences humaines sous la direction de Martine Fournier
Colliot-Thélène, Catherine, La sociologie de Max Weber.- La Découverte
L'oeuvre de Max Weber est d'accès difficile, du fait de sa composition (articles et manuscrits inachevés), de la diversité apparente de ses objets et du caractère déconcertant d'une pensée qui échappe aux alternatives épistémologiques et philosophiques fixées par un siècle d'histoire des sciences humaines. Ecartant ces alternatives, le présent ouvrage propose une lecture transversale qui éclaire les unes par les autres les positions épistémologiques de Weber et ses études concrètes. Ce chassé-croisé permet de dégager le programme de la " sociologie compréhensive " : un comparatisme combinant les échelles d'analyse, dont l'objectif est de distinguer les " conduites de vie " et de peser l'importance relative des différentes " puissances " qui leur donnent forme (logiques économiques et politiques, règles juridiques, éthiques religieuses). Ce comparatisme est travaillé par une ambivalence, que condense la notion de " rationalisation ". Reconnaître et résoudre cette ambivalence permet d'adapter le projet wébérien au traitement des questions de notre époque
Vous pouvez également vous appuyez sur les document suivants :
Weber, Max.- Le savant et la politique .-la Découverte
Approche historico-sociologique, attentive aux conditions concrètes d'exercice de chacune des " professions ", et une interrogation éthique sur le sens que peuvent avoir l'une et l'autre, qui autorise à les vivre comme " vocations ", ainsi que sur les responsabilités qu'elles engagent. Ces deux conférences sont ici proposées dans une traduction nouvelle qui vise à satisfaire les exigences de rigueur qu'impose la réception la plus récente. En tenant compte des commentaires et des interprétations qui se sont multipliés durant ces vingt dernières années, la présente traduction veut offrir au lecteur un texte précis qui permet d'apprécier la signification de certains mots-clés, naguère traduits d'une façon approximative. Il invite à comprendre les formes que revêtent aujourd'hui aussi bien la pratique de la science que l'exercice de la politique comme deux aspects du destin des sociétés modernes, marquées au sceau de la rationalisation et de l'intellectualisation.
Bernard Stiegler.-Les sociétés d' individus désaffectés, 02.-Galilée
Dans son analyse de l'esprit du capitalisme, Max Weber posait en principe que celui-ci ne se développerait que comme désenchantement et rationalisation de la , société - cette rationalisation étant alors entendue au sens de l'application du calcul à toutes les activités humaines. Le capitalisme est aujourd'hui devenu planétaire, et il semble bien que le processus que décrivait Weber est arrivé à son terme. Or, comme résultat de la rationalisation, ce terme paraît condamné à s'effondrer dans l'irrationnel le plus inquiétant. Il engendre une misère spirituelle (une paralysie des fonctions de l'esprit humain) d'où a disparu la raison comme motif d'espérer: comme " règne des fins ", selon l'expression de Kant. Comme disparition de tout horizon d'attente - de toute croyance, religieuse, politique, ou libidinale, quelle soit amoureuse, filiale ou sociale, constituant le tissu des solidarités sans lesquelles aucune société n'est possible, ce qu'Aristote nommait la philia-, le désenchantement absolu frappe en particulier ceux qui pensent ne plus rien avoir à attendre du développement des sociétés hyperindustrielles. Ces désespérés sont des " desperados ", et ils seront de plus en plus nombreux. Or, n'avoir plus rien à attendre signifie tout aussi bien n'avoir plus rien à craindre, ce qui est également le sens de l’ elpis grecque: attente qui est porteuse à la fois de l'espoir et de la crainte. Dans le désespoir, il n'y a plus de crainte - et les mécanismes de répression, qui prolifèrent pour tenter de colmater les effets de la perte d'autorité qu'est aussi la perte d'esprit, sont de moins en moins efficaces.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 09/02/2016 à 14h31
Bonjour,
Pour compléter la réponse précédente, voici d’abord quelques résumés de La dialectique de le raison, T. Adorno, M. Horkheimer, qui vous permettront de voir que le cadre de leur réflexion sur la rationalisation n’est pas exactement le même que celui de Weber, ne serait-ce que parce qu’elle vient après le nazisme.
Résumé de l’ouvrage sur le site de Gallimard
Dialectique de la raison, Wikipedia
Une présentation : La dialectique de la raison de Max Horkheimer & Theodor Adorno, Pierre Belaval
L’article Théorie critique, sur le site Dicopo
La théorie de la rationalisation chez Adorno et Horkheimer est d’inspiration wébérienne, mais elle reste influencée par le marxisme même si elle les conduit à une vision plus radicale du stade de développement :
« Plus l’appareil social, économique et scientifique, auquel le système de production entraîne le corps depuis longtemps, est complexe et précis, plus les expériences que ce dernier est apte à faire sont restreintes. A la suite de la rationalisation des modes de travail, l’élimination des qualités, leur conversion en fonctions, passe de la sphère scientifique à la sphère du vécu et tend à rapprocher les peuples de l’état des batraciens »
La dialectique de le raison, T. Adorno, M. Horkheimer, p. 52.
Quelques extraits d'analyses vous permettront, nous l’espérons, d’approfondir :
«Adorno insiste sur un concept du capitalisme en définitive relativement proche de ce que le marxisme traditionnel entend par ce terme. Il souligne certes la montée en puissance des processus de rationalisation tendant à l’administration totale, dans une perspective qui rappelle parfois Weber, mais ceci toujours avec la production et le valorisation marchande comme fondements de cette dynamique historique »
La réification, histoire et actualité d’un concept critique
« Dans les travaux des premiers membres de l'École de Francfort, notamment chez Adorno et Horkheimer, on peut trouver, dans la formulation du concept de rationalité instrumentale, une évidente reformulation de la problématique wébérienne – même si le nom du sociologue de Heidelberg n’apparaît pas une seule fois dans l’œuvre philosophique majeure des deux auteurs, Dialectique de la raison, publiée en 1947. En outre, le diagnostic « pessimiste » de la modernité esquissé dans ce livre est largement inspiré par Max Weber – « à ceci près que le point de vue des philosophes de Francfort est beaucoup plus radical », fondé sur une perspective marxiste-lukacsienne (p.163). Comme l'affirme Michael Löwy, à la différence du néokantisme résigné de Weber, Adorno et Horkheimer défendent – d’après la tradition hégélienne – un rationalisme concret, « substantiel », c’est-à-dire « objectif », capable de s'opposer à la primauté de la rationalité instrumentale. »
Pour en finir avec la “cage d’acier” de la modernité capitaliste : le marxisme wébérien chez Michael Löwy
« Dans La dialectique de la raison,[33] Adorno et Horkheimer proposent ainsi de situer dans la domination primitive de la nature interne et externe l’origine de la réification qui semble s’être emparée sous le capitalisme tardif de toutes les sphères de la vie. La catastrophe devient la figure conceptuelle clé de cette contre-théodicée de la rationalité occidentale, qui constitue sans doute la réactualisation la plus sombre du couplage opéré par Lukács entre critique marxienne du fétichisme et critique wébérienne de la Raison. Cependant, loin de tout positionnement réactionnaire antimoderne, la critique francfortoise reste fondamentalement une autocritique du rationalisme, cherchant à borner ses potentialités oppressives (saisies sous la figure de la raison instrumentale) pour mieux en sauvegarder le noyau émancipateur. Derrière le spectre de la réification généralisée survit encore l’utopie et ses promesses de libération, que s’attacheront à recueillir la plupart des tendances marquantes du marxisme de la seconde moitié du XXème siècle. »
À lire : Introduction à "La réification. Histoire et actualité d’un concept critique"
« Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les grands penseurs de l’École de Francfort, à commencer par Theodor W. Adorno ou Max Horkheimer, en soient revenus, devant l’aspect absolu de la domination marchande, à un pessimisme culturel quasi-romantique, à un reflux vers la dimension esthétique ou à l’attente messianique d’un nouveau sujet révolutionnaire. Si l’approche francfortoise appréhende l’évolution occidentale comme un processus millénaire de désenchantement du monde et de rationalisation multiforme, dont l’aboutissement pervers se situe dans la société industrielle et bureaucratique moderne, il n’en reste pas moins que le jugement radicalement critique porté à l’encontre de celle-ci suppose dans la Théorie Critique le maintien d’un idéal-type de raison objective ou substantielle, visant la norme d’un « plus grand bien » conçu comme pleine effectuation des principes de liberté, d’égalité et de justice, tout en le détachant de son renversement dialectique en rationalité instrumentale, calculante et utilitaire. »
La logique du capital et les conditions de la dialectique, Stéphane Vibert, SociologieS
Voir aussi :
Sociologie du temps présent : modernité avancée ou post-modernité ?, Yves Bonny, paragraphe : Le récit critique de la rationalisation, de Weber à l’Ecole de Francfort
Bonnes lectures !
Pour compléter la réponse précédente, voici d’abord quelques résumés de La dialectique de le raison, T. Adorno, M. Horkheimer, qui vous permettront de voir que le cadre de leur réflexion sur la rationalisation n’est pas exactement le même que celui de Weber, ne serait-ce que parce qu’elle vient après le nazisme.
Résumé de l’ouvrage sur le site de Gallimard
Dialectique de la raison, Wikipedia
Une présentation : La dialectique de la raison de Max Horkheimer & Theodor Adorno, Pierre Belaval
L’article Théorie critique, sur le site Dicopo
La théorie de la rationalisation chez Adorno et Horkheimer est d’inspiration wébérienne, mais elle reste influencée par le marxisme même si elle les conduit à une vision plus radicale du stade de développement :
« Plus l’appareil social, économique et scientifique, auquel le système de production entraîne le corps depuis longtemps, est complexe et précis, plus les expériences que ce dernier est apte à faire sont restreintes. A la suite de la rationalisation des modes de travail, l’élimination des qualités, leur conversion en fonctions, passe de la sphère scientifique à la sphère du vécu et tend à rapprocher les peuples de l’état des batraciens »
La dialectique de le raison, T. Adorno, M. Horkheimer, p. 52.
Quelques extraits d'analyses vous permettront, nous l’espérons, d’approfondir :
«Adorno insiste sur un concept du capitalisme en définitive relativement proche de ce que le marxisme traditionnel entend par ce terme. Il souligne certes la montée en puissance des processus de rationalisation tendant à l’administration totale, dans une perspective qui rappelle parfois Weber, mais ceci toujours avec la production et le valorisation marchande comme fondements de cette dynamique historique »
La réification, histoire et actualité d’un concept critique
« Dans les travaux des premiers membres de l'École de Francfort, notamment chez Adorno et Horkheimer, on peut trouver, dans la formulation du concept de rationalité instrumentale, une évidente reformulation de la problématique wébérienne – même si le nom du sociologue de Heidelberg n’apparaît pas une seule fois dans l’œuvre philosophique majeure des deux auteurs, Dialectique de la raison, publiée en 1947. En outre, le diagnostic « pessimiste » de la modernité esquissé dans ce livre est largement inspiré par Max Weber – « à ceci près que le point de vue des philosophes de Francfort est beaucoup plus radical », fondé sur une perspective marxiste-lukacsienne (p.163). Comme l'affirme Michael Löwy, à la différence du néokantisme résigné de Weber, Adorno et Horkheimer défendent – d’après la tradition hégélienne – un rationalisme concret, « substantiel », c’est-à-dire « objectif », capable de s'opposer à la primauté de la rationalité instrumentale. »
Pour en finir avec la “cage d’acier” de la modernité capitaliste : le marxisme wébérien chez Michael Löwy
« Dans La dialectique de la raison,[33] Adorno et Horkheimer proposent ainsi de situer dans la domination primitive de la nature interne et externe l’origine de la réification qui semble s’être emparée sous le capitalisme tardif de toutes les sphères de la vie. La catastrophe devient la figure conceptuelle clé de cette contre-théodicée de la rationalité occidentale, qui constitue sans doute la réactualisation la plus sombre du couplage opéré par Lukács entre critique marxienne du fétichisme et critique wébérienne de la Raison. Cependant, loin de tout positionnement réactionnaire antimoderne, la critique francfortoise reste fondamentalement une autocritique du rationalisme, cherchant à borner ses potentialités oppressives (saisies sous la figure de la raison instrumentale) pour mieux en sauvegarder le noyau émancipateur. Derrière le spectre de la réification généralisée survit encore l’utopie et ses promesses de libération, que s’attacheront à recueillir la plupart des tendances marquantes du marxisme de la seconde moitié du XXème siècle. »
À lire : Introduction à "La réification. Histoire et actualité d’un concept critique"
« Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les grands penseurs de l’École de Francfort, à commencer par Theodor W. Adorno ou Max Horkheimer, en soient revenus, devant l’aspect absolu de la domination marchande, à un pessimisme culturel quasi-romantique, à un reflux vers la dimension esthétique ou à l’attente messianique d’un nouveau sujet révolutionnaire. Si l’approche francfortoise appréhende l’évolution occidentale comme un processus millénaire de désenchantement du monde et de rationalisation multiforme, dont l’aboutissement pervers se situe dans la société industrielle et bureaucratique moderne, il n’en reste pas moins que le jugement radicalement critique porté à l’encontre de celle-ci suppose dans la Théorie Critique le maintien d’un idéal-type de raison objective ou substantielle, visant la norme d’un « plus grand bien » conçu comme pleine effectuation des principes de liberté, d’égalité et de justice, tout en le détachant de son renversement dialectique en rationalité instrumentale, calculante et utilitaire. »
La logique du capital et les conditions de la dialectique, Stéphane Vibert, SociologieS
Voir aussi :
Sociologie du temps présent : modernité avancée ou post-modernité ?, Yves Bonny, paragraphe : Le récit critique de la rationalisation, de Weber à l’Ecole de Francfort
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