Question d'origine :
Bonjour,
En lisant le rapport de jury du CAPES lettres modernes 2003, corrige de la dissertation portant sur le théâtre, le correcteur, dans un paragraphe presentant la tradition critique qui privilegie le texte par rapport a la representation, mentionne Hegel comme une evidence, sans donner d'autres informations.
Extrait : " En fait, un certain nombre de philosophes ont eu tendance, sans meconnaitre la nature du theatre, a considere, sans doute par deformation professionnelle et par principe - par intellectalisme - que la mise en scene, le recours aux acteurs, les decors etc. n'etaient au fond que des 'assasonnements' [...] L'objectivite s'impose cependant et oblige a reconnaitre l'importance de a scene : les analyses d'Aristote et de Hegel, notamment, ne sont pas denues d'ambiguite. Etc"
Si la position d'Aristote a ete un peu developpe auparavant, rien n'est ajoute sur Hegel, et une recherche rapide sur internet ne m'a pas permis de trouver de quoi il s'agissait. JMa question est donc de savoir en vertu de quoi Hegel peut legitimmement etre place avec Aristote sur cette question.
Merci beaucoup !
PS : pardon pour l'orthographe, il n'y a pas d'accents sur mon clavier.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 09/02/2016 à 14h43
Bonjour,
Dans le rapport de jury du CAPES lettres modernes 2003, le correcteur donne obligeamment la référence qui permet de répondre à votre question .
On peut en effet lire p. 6 : «Il [l’ensemble de l’article de B. Dort] examine les théories (celles de Hegel, de Schlegel, de l’abbé d’Aubignac, de Gordon Craig, d’Artaud …)[…] ».
Dans Le Spectateur en dialogue, Bernard Dort, l’article Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance, d’où est extrait le sujet de la composition, présente bien entre autres les thèses de Hegel :
« Hegel inscrit le drame, à la suite de la poésie épique et de la poésie lyrique, parmi « les genres de l’art verbal » qui emploient « la parole, le langage, le discours [qui] constituent le seul élément digne de servir à l’expression de l’esprit ». Il fait même de la poésie dramatique l’aboutissement et la synthèse de deux autres genres poétiques : « [Elle] unit l’objectivité épique à la subjectivité lyrique, en présentant une action circonscrite comme étant une action réelle, dont le résultat découle aussi bien du caractère intime de celui qui l’accomplit que de la nature substantielle des fins et des conflits qui l’accompagnent ou qu’elle provoque. » […]
Hegel a beau accorder plus d’importance à ce qu’il appelle « l’exécution extérieure de l’œuvre dramatique » (il y consacre même la seconde partie de ses réflexions sur la poésie dramatique, dans son Esthétique), il n’en maintient pas moins que « la poésie dramatique peut se borner à l’utilisation de ses propres moyens et renoncer à l’expression théâtrale de ses œuvres » la scène « sur laquelle se passe l’action dramatique » n’est pas de plein- pied avec le texte, elle lui demeure accessoire et subordonnée. C’est « la parole poétique qui reste l’élément déterminant et dominant ». […] Tout en reconnaissant que « les acteurs sont élevés de nos jours au rang d’artistes » et que « l’art de l’acteur n’a atteint son plein développement que dans les temps modernes », Hegel tient encore l’acteur pour subordonné au poète dont il « doit être l’organe vivant, spirituel et physique » ; il estime que le principe de « l’art dramatique réel […] consiste en ce que le discours et son expression poétique assument un rôle prépondérant et dominant sur tous les autres moyens employés : gestes, action, déclamation, musique, danse, présentation scénique ». Car, ajoute-t-il, « dés que la mimique ou la danse ou le chant commencent à acquérir une certaine indépendance, la poésie, en tant qu’art, se trouve réduite à l’état de moyen, et perd son pouvoir sur ces arts qui ne doivent être que des arts d’accompagnement ». »
Plus loin dans le paragraphe La scène dans l’écriture :
« La position de Hegel est plus complexe et plus ouverte [que celle d’Aristote].Rangeant le théâtre – sous l’appellation de « poésie dramatique » - parmi les « genres poétiques », il pose d’abord son existence en tant que texte, indépendamment de la scène, d’une façon encore plus tranchée que ne le faisait Aristote. Car « la poésie est, de tous les arts, le seul qui puisse se passer d’une matérialisation complète ». Hegel envisage même, expressément, que « la poésie dramatique puisse se borner à l’utilisation de ses propres moyens et renoncer à l’expression théâtrale de ses œuvres ». Mais c’est là une hypothèse extrême, théorique, dirons-nous, au double sens de ce mot. Hegel le reconnait : « Etant donné que le drame, au lieu de raconter les évènements et les exploits du passé, comme le fait la poésie épique, ou d’exprimer, comme le fait la poésie lyrique, le monde subjectif, se propose de présenter une action actuelle et réelle, il serait contraire au but qu’il poursuit, s’il devait se borner aux seuls moyens dont dispose la poésie comme telle ». Le drame doit recourir « à l’aide de tous les autres arts » : c’est par là qu’il sera en mesure de représenter non seulement « l’homme tout entier, avec ses mouvements corporels, les expressions physiognomoniques de ses sentiments », mais encore « l’individu […] dans ses rapports avec la réalité extérieure ». […] Hegel va encore plus loin : tout en maintenant qu’ « une œuvre dramatique [est] de nature à donner satisfaction par sa seule valeur poétique interne », il affirme aussi que, « pour avoir une valeur dramatique, [cette œuvre] doit être traitée de façon à pouvoir être exécutée scéniquement » » […]
« En outre, Hegel voit dans l’acteur tout autre chose qu’un simple exécutant. […]D’un « premier système de l’art de l’acteur » - « celui d’après lequel l’acteur doit être l’organe vivant, spirituel et physique du poète » - Hegel distingue un second : « celui d’après lequel tout ce qui vient du poète ne serait que l’accessoire et un cadre fait pour l’épanouissement du naturel et de l’habileté de l’acteur ». Ce qui est anticiper l’opposition entre un théâtre littéraire et « théâtre théâtral » que vont instituer Craig et Artaud – à cette différence près, capitale, que Hegel voit dans le second système « un signe du commencement de la décadence de l’art vrai » et entend le limiter à un seul domaine, celui du «merveilleux ». »
Les notes précisent que les citations sont extraites de Hegel, Esthétique, T. 3, 2e partie : Les arts romantiques (suite) La poésie p. 212 à 247
Où l’on voit que «les analyses de Hegel, notamment, ne sont pas dénuées d’ambiguïté » …
Voir aussi Le théâtre des philosophes, Jacques Taminiaux
Bonnes lectures !
Dans le rapport de jury du CAPES lettres modernes 2003, le correcteur donne obligeamment la référence qui permet de répondre à votre question .
On peut en effet lire p. 6 : «Il [l’ensemble de l’article de B. Dort] examine les théories (celles de Hegel, de Schlegel, de l’abbé d’Aubignac, de Gordon Craig, d’Artaud …)[…] ».
Dans Le Spectateur en dialogue, Bernard Dort, l’article Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance, d’où est extrait le sujet de la composition, présente bien entre autres les thèses de Hegel :
« Hegel inscrit le drame, à la suite de la poésie épique et de la poésie lyrique, parmi « les genres de l’art verbal » qui emploient « la parole, le langage, le discours [qui] constituent le seul élément digne de servir à l’expression de l’esprit ». Il fait même de la poésie dramatique l’aboutissement et la synthèse de deux autres genres poétiques : « [Elle] unit l’objectivité épique à la subjectivité lyrique, en présentant une action circonscrite comme étant une action réelle, dont le résultat découle aussi bien du caractère intime de celui qui l’accomplit que de la nature substantielle des fins et des conflits qui l’accompagnent ou qu’elle provoque. » […]
Hegel a beau accorder plus d’importance à ce qu’il appelle « l’exécution extérieure de l’œuvre dramatique » (il y consacre même la seconde partie de ses réflexions sur la poésie dramatique, dans son Esthétique), il n’en maintient pas moins que « la poésie dramatique peut se borner à l’utilisation de ses propres moyens et renoncer à l’expression théâtrale de ses œuvres » la scène « sur laquelle se passe l’action dramatique » n’est pas de plein- pied avec le texte, elle lui demeure accessoire et subordonnée. C’est « la parole poétique qui reste l’élément déterminant et dominant ». […] Tout en reconnaissant que « les acteurs sont élevés de nos jours au rang d’artistes » et que « l’art de l’acteur n’a atteint son plein développement que dans les temps modernes », Hegel tient encore l’acteur pour subordonné au poète dont il « doit être l’organe vivant, spirituel et physique » ; il estime que le principe de « l’art dramatique réel […] consiste en ce que le discours et son expression poétique assument un rôle prépondérant et dominant sur tous les autres moyens employés : gestes, action, déclamation, musique, danse, présentation scénique ». Car, ajoute-t-il, « dés que la mimique ou la danse ou le chant commencent à acquérir une certaine indépendance, la poésie, en tant qu’art, se trouve réduite à l’état de moyen, et perd son pouvoir sur ces arts qui ne doivent être que des arts d’accompagnement ». »
Plus loin dans le paragraphe La scène dans l’écriture :
« La position de Hegel est plus complexe et plus ouverte [que celle d’Aristote].Rangeant le théâtre – sous l’appellation de « poésie dramatique » - parmi les « genres poétiques », il pose d’abord son existence en tant que texte, indépendamment de la scène, d’une façon encore plus tranchée que ne le faisait Aristote. Car « la poésie est, de tous les arts, le seul qui puisse se passer d’une matérialisation complète ». Hegel envisage même, expressément, que « la poésie dramatique puisse se borner à l’utilisation de ses propres moyens et renoncer à l’expression théâtrale de ses œuvres ». Mais c’est là une hypothèse extrême, théorique, dirons-nous, au double sens de ce mot. Hegel le reconnait : « Etant donné que le drame, au lieu de raconter les évènements et les exploits du passé, comme le fait la poésie épique, ou d’exprimer, comme le fait la poésie lyrique, le monde subjectif, se propose de présenter une action actuelle et réelle, il serait contraire au but qu’il poursuit, s’il devait se borner aux seuls moyens dont dispose la poésie comme telle ». Le drame doit recourir « à l’aide de tous les autres arts » : c’est par là qu’il sera en mesure de représenter non seulement « l’homme tout entier, avec ses mouvements corporels, les expressions physiognomoniques de ses sentiments », mais encore « l’individu […] dans ses rapports avec la réalité extérieure ». […] Hegel va encore plus loin : tout en maintenant qu’ « une œuvre dramatique [est] de nature à donner satisfaction par sa seule valeur poétique interne », il affirme aussi que, « pour avoir une valeur dramatique, [cette œuvre] doit être traitée de façon à pouvoir être exécutée scéniquement » » […]
« En outre, Hegel voit dans l’acteur tout autre chose qu’un simple exécutant. […]D’un « premier système de l’art de l’acteur » - « celui d’après lequel l’acteur doit être l’organe vivant, spirituel et physique du poète » - Hegel distingue un second : « celui d’après lequel tout ce qui vient du poète ne serait que l’accessoire et un cadre fait pour l’épanouissement du naturel et de l’habileté de l’acteur ». Ce qui est anticiper l’opposition entre un théâtre littéraire et « théâtre théâtral » que vont instituer Craig et Artaud – à cette différence près, capitale, que Hegel voit dans le second système « un signe du commencement de la décadence de l’art vrai » et entend le limiter à un seul domaine, celui du «merveilleux ». »
Les notes précisent que les citations sont extraites de Hegel, Esthétique, T. 3, 2e partie : Les arts romantiques (suite) La poésie p. 212 à 247
Où l’on voit que «les analyses de Hegel, notamment, ne sont pas dénuées d’ambiguïté » …
Voir aussi Le théâtre des philosophes, Jacques Taminiaux
Bonnes lectures !
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