Question d'origine :
Voici 600 ans, le 19 février 1416, l'empereur romain germanique Sigismond accorda au comte de Savoie Amédée VIII le titre de duc.
Je voudrais savoir quels pouvoirs avait alors l'empereur pour accorder ce titre?
Plus généralement quelles conséquences y avait-il au fait que la Savoie faisait partie de l'empire germanique? A quelle date , cette situation a-t-elle cessée?
Je vous en remercie par avance.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 06/04/2016 à 13h32
Bonjour,
Amédée VIII devient duc de Savoie en 1416.
En fait l’empereur romain germanique est le seul à pouvoir accorder le titre de duc sur ce territoire et il a tout intérêt à l’accorder à Amédée VIII, comme vous le montrent les extraits suivants :
« Amédée VIII souhaitait accéder au titre ducal etseul l’empereur avait le pouvoir d’une telle élévation . […] Amédée VIII descendait d’une maison très fidèle à l’empereur (pourvu que celui-ci ne le combatte pas comme l’avait fait les Habsbourg) et spécialement favorable aux empereurs de la maison de Luxembourg dont sortait Sigismond, maître de l’empire depuis 1411. Celui-ci était un homme de beaucoup d’envergure, qui entendait pacifier l’Italie et mettre fin au grand schisme, ne serait-ce que pour être couronné à Rome. Il n’ignorait pas que le Comte de Savoie était son seul allié dans le monde alpin, un atout sérieux dans le jeu des manœuvres contre les Visconti qui se révélaient anti-impériaux, un appui diplomatique enfin pour la réduction du schisme. »
Source : La Savoie de l’an Mil à la réforme
« [L’empereur Sigismond], pour la tranquillité de son empire où s’agitaient les Hussites, et aussi par piété, comme tous les fidèles, ne désiraient rien tant que le retour de l’unité catholique.
Poussé par ce désir, Sigismond avait fait le voyage d’Aragon pour y conférer avec le tortueux Benoît XIII. Il avait passé par la Savoie. Amédée VIII l’avait reçu de son mieux et accompagné en bateau depuis le château du Bourget jusqu’à Lyon après avoir convoqué préalablement les Trois États pour qu’ils lui fournissent l’argent nécessaire. Argent bien dépensé ! A son retour de voyage, Sigismond prenant en considération l’importance du pays savoyard l’érigea en duché (1416).Si faible que soit devenu un empereur, lui seul pouvait, selon les traditions et idées du siècle, accorder légitimement ce titre à un prince de l’ancien royaume de Bourgogne et d’Arles . »
Source : Histoire de la Savoie, Henri Menabrea
Voici l'origine de cette tradition :
« C'est au IXe siècle que se dessine l'une des lignes de force du futur domaine savoyard : celui-ci fait partie de la Lotharingie dont il suit le destin de la partie méridionale qui a pris le nom de royaume d'Arles ou royaume de Bourgogne-Provence, bientôtvassal de l'empereur d'Allemagne .
Le génie de ces princes a été jusqu'au XVe siècle de louvoyer au milieu de puissants seigneurs (dauphins de Viennois, comtes de Genevois, ducs de Bourgogne, rois de France...) pour se rendre maîtres d'un solide pré-carré en moyenne Lotharingie. Cette politique est appuyée sur la reconnaissance explicite du pouvoir nominal de l'empereur d'Allemagne. Amédée VI est le « vicaire » perpétuel et héréditaire de celui-ci (1365), ce qui lui permet de recevoir l'hommage de tous les évêques depuis Grenoble jusqu'à Lausanne, Amédée VIII sera fait duc en 1416. » [...]
« Depuis l'annexion de Nice, enfin, le comté a atteint, sous le règne de son père Amédée VII, pour la première fois, la Méditerranée. Signe du renouveau de la puissance savoyarde, la transformation, dès 1416, par l'empereur Sigismond du comté en duché. »
Source : Encyclopédie Universalis (ressource en ligne sur les postes de la BML).
On le voit donc, le comté de Savoie, intégré au royaume de Bourgogne et donc vassal du Saint Empire romain germanique, a bénéficié à partir de 1350, du repli du Saint Empire sur l’Allemagne qui a permis l’expansion de « petits royaumes ou seigneuries puissantes ».
Ainsi l’Empereur en tant que suzerain, reconnait à la Savoie sa puissance et sa fidélité en la transformant en duché et lui octroie une plus grande autonomie.
Plus généralement quelles conséquences y avait-il au fait que la Savoie faisait partie de l'empire germanique ?
la primauté en Italie impériale
Une première donnée, essentielle, est que pendant toute cette période [le 17e siècle] les Savoie se considérèrent et furent considérés non pas comme une dynastie italienne, mais comme une dynastie allemande en Italie. […]
Cette thèse de l’origine saxonne fut réitérée dans toutes les histoires de la dynastie depuis le XVe siècle jusqu’à la Restauration au début du XIXe siècle.
Un deuxième élément différenciait les Savoie des autres princes italiens. L’État de Savoie en effet était le seul de la péninsule à faire partie du Corps du Saint Empire romain germanique. Aussi, seuls parmi les princes italiens, les Savoie pouvaient envoyer des ambassadeurs à la Diète de Ratisbonne. En outre, ils avaient reçu en 1361 de l’empereur Charles IV le titre de vicaire de l’Empire. En 1582, Charles-Emmanuel II avait obtenu que ce vicariat fût étendu à toute l’Italie impériale. Cela donnait aux Savoie – au moins d’un point de vue formel – une nette supériorité sur les autres princes italiens. Celle-ci éclata par exemple en 1530, lors du couronnement de Charles Quint à Bologne, lorsque le duc de Savoie Charles II joua un rôle central en raison précisément de l’ancienneté de sa dynastie et de son appartenance à l’Empire.
Ainsi par leur ancienneté et leur origine les Savoie se différenciaient nettement des autres dynasties italiennes, et notamment de qui comme les Médicis et les Farnèse n’était devenu souverain que durant la première moitié du XVIe siècle, dans le contexte du conflit entre la France et l’Espagne. Après avoir reçu le titre de grand-duc en 1569, les Médicis tentèrent à plusieurs reprises d’obtenir de l’empereur la préséance sur les Savoie. Mais la Diète de Ratisbonne et surtout les princes électeurs se coalisèrent avec ces derniers et firent en sorte que leurs droits restassent pour toujours à l’abri de toute discussion.
Il en alla de même un siècle plus tard, lorsqu’en 1657 les Gonzague essayèrent d’obtenir le titre de vicaire de l’Empire en Italie. L’empereur Ferdinand III était favorable à la requête du duc de Mantoue. Mais les électeurs de l’Empire se rangèrent à nouveau du côté des Savoie, dont ils soutinrent les droits de princes allemands.
C’est en raison de cette position à part que les Savoie – même s’ils n’obtinrent le titre royal qu’en 1713 – pratiquèrent durant tout l’âge moderne une politique matrimoniale plus en affinité avec celle des grandes maisons royales qu’avec celle des autres dynasties italiennes.
Dès la fin du XVe siècle, les Savoie étaient apparentés aux plus importantes dynasties. Leurs premiers mariages avec les Habsbourg et les Bourbons, par exemple, remontent respectivement à 1315 et 1355.
Source : Andrea Merlotti, Politique dynastique et alliances matrimoniales de la Maison de Savoie au XVIIe siècle, in Dix-septième siècle 2009/2 (n° 243), p. 239-255.
DOI 10.3917/dss.092.0239. Cet article est consultable sur la ressource Cairn, disponible à la bibliothèque de Lyon et en ligne pour les abonnés.
Un autre article disponible sur Cairn traite en partie des liens entre Savoie et Saint-Empire germanique :
Matthias SCHNETTGER, Le Saint-Empire et ses périphéries : l'exemple de l'Italie, in Histoire, économie & société 2004/1 (23e année), p. 7-23.
DOI 10.3917/hes.041.0007
Cet article référence en note 36, deux articles de référence plus anciens :
* Sur la Savoie et l’Empire, la référence reste Giovanni Tabacco, Lo stato sabaudo nel Sacro Romano Impero, Torino, Paravia, 1939.
* Voir aussi Irénée Lameire, Les dernières survivances de la souveraineté du Saint Empire sur les états de la monarchie piémontaise, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 33, 1909, p. 26-53, 192-214.
A quelle date, cette situation a-t-elle cessée ?
Nous n’avons pas trouvé de date précise.
On pourrait avancer sous réserves que cette sujétion aurait cessé lors de l’accession de la famille ducale savoyarde au trône de Sardaigne (par échange avec la Sicile) pour ce qui allait devenir le royaume de Piémont-Sardaigne, le 8 août 1720.
Par ailleurs, le Saint-Empire romain germanique « disparait » le 6 août 1806 lorsque l’empereur François II dépose sa couronne pour n'être plus qu'empereur d'Autriche. A l’époque, la Savoie était englobée dans l’Empire napoléonien.
Cependant, il ne faut pas oublier que les rapports entre la Savoie et le Saint-Empire n’étaient pas un long fleuve tranquille. Au moyen-âge, Humbert III avait voulu s’affranchir de la tutelle de l’Empire, en prenant parti pour le Pape contre l’empereur Frédéric Barberousse. Mal lui en a pris puisque ce dernier coalisa ses voisins contre la Savoie et celle-ci manqua de disparaître après la guerre qui suivit.
Plus généralement, la Savoie naviguait au fil des siècles entre France et Saint-Empire, voire entre Bourbons et Habsbourg, pour s’agrandir ou plus prosaïquement survivre face à ses deux imposants voisins.
Sources :
* Histoire de la Savoie de Robert Colonna d’Istria
* Charles-Emmanuel de Savoie : la politique du précipice de Stéphane Gal
Bonnes lectures !
Amédée VIII devient duc de Savoie en 1416.
En fait l’empereur romain germanique est le seul à pouvoir accorder le titre de duc sur ce territoire et il a tout intérêt à l’accorder à Amédée VIII, comme vous le montrent les extraits suivants :
« Amédée VIII souhaitait accéder au titre ducal et
Source : La Savoie de l’an Mil à la réforme
« [L’empereur Sigismond], pour la tranquillité de son empire où s’agitaient les Hussites, et aussi par piété, comme tous les fidèles, ne désiraient rien tant que le retour de l’unité catholique.
Poussé par ce désir, Sigismond avait fait le voyage d’Aragon pour y conférer avec le tortueux Benoît XIII. Il avait passé par la Savoie. Amédée VIII l’avait reçu de son mieux et accompagné en bateau depuis le château du Bourget jusqu’à Lyon après avoir convoqué préalablement les Trois États pour qu’ils lui fournissent l’argent nécessaire. Argent bien dépensé ! A son retour de voyage, Sigismond prenant en considération l’importance du pays savoyard l’érigea en duché (1416).
Source : Histoire de la Savoie, Henri Menabrea
Voici l'origine de cette tradition :
« C'est au IXe siècle que se dessine l'une des lignes de force du futur domaine savoyard : celui-ci fait partie de la Lotharingie dont il suit le destin de la partie méridionale qui a pris le nom de royaume d'Arles ou royaume de Bourgogne-Provence, bientôt
Le génie de ces princes a été jusqu'au XVe siècle de louvoyer au milieu de puissants seigneurs (dauphins de Viennois, comtes de Genevois, ducs de Bourgogne, rois de France...) pour se rendre maîtres d'un solide pré-carré en moyenne Lotharingie. Cette politique est appuyée sur la reconnaissance explicite du pouvoir nominal de l'empereur d'Allemagne. Amédée VI est le « vicaire » perpétuel et héréditaire de celui-ci (1365), ce qui lui permet de recevoir l'hommage de tous les évêques depuis Grenoble jusqu'à Lausanne, Amédée VIII sera fait duc en 1416. » [...]
« Depuis l'annexion de Nice, enfin, le comté a atteint, sous le règne de son père Amédée VII, pour la première fois, la Méditerranée. Signe du renouveau de la puissance savoyarde, la transformation, dès 1416, par l'empereur Sigismond du comté en duché. »
Source : Encyclopédie Universalis (ressource en ligne sur les postes de la BML).
On le voit donc, le comté de Savoie, intégré au royaume de Bourgogne et donc vassal du Saint Empire romain germanique, a bénéficié à partir de 1350, du repli du Saint Empire sur l’Allemagne qui a permis l’expansion de « petits royaumes ou seigneuries puissantes ».
Ainsi l’Empereur en tant que suzerain, reconnait à la Savoie sa puissance et sa fidélité en la transformant en duché et lui octroie une plus grande autonomie.
Plus généralement quelles conséquences y avait-il au fait que la Savoie faisait partie de l'empire germanique ?
Une première donnée, essentielle, est que pendant toute cette période [le 17e siècle] les Savoie se considérèrent et furent considérés non pas comme une dynastie italienne, mais comme une dynastie allemande en Italie. […]
Cette thèse de l’origine saxonne fut réitérée dans toutes les histoires de la dynastie depuis le XVe siècle jusqu’à la Restauration au début du XIXe siècle.
Ainsi par leur ancienneté et leur origine les Savoie se différenciaient nettement des autres dynasties italiennes, et notamment de qui comme les Médicis et les Farnèse n’était devenu souverain que durant la première moitié du XVIe siècle, dans le contexte du conflit entre la France et l’Espagne. Après avoir reçu le titre de grand-duc en 1569, les Médicis tentèrent à plusieurs reprises d’obtenir de l’empereur la préséance sur les Savoie. Mais la Diète de Ratisbonne et surtout les princes électeurs se coalisèrent avec ces derniers et firent en sorte que leurs droits restassent pour toujours à l’abri de toute discussion.
Il en alla de même un siècle plus tard, lorsqu’en 1657 les Gonzague essayèrent d’obtenir le titre de vicaire de l’Empire en Italie. L’empereur Ferdinand III était favorable à la requête du duc de Mantoue. Mais les électeurs de l’Empire se rangèrent à nouveau du côté des Savoie, dont ils soutinrent les droits de princes allemands.
Dès la fin du XVe siècle, les Savoie étaient apparentés aux plus importantes dynasties. Leurs premiers mariages avec les Habsbourg et les Bourbons, par exemple, remontent respectivement à 1315 et 1355.
Source : Andrea Merlotti, Politique dynastique et alliances matrimoniales de la Maison de Savoie au XVIIe siècle, in Dix-septième siècle 2009/2 (n° 243), p. 239-255.
DOI 10.3917/dss.092.0239. Cet article est consultable sur la ressource Cairn, disponible à la bibliothèque de Lyon et en ligne pour les abonnés.
Un autre article disponible sur Cairn traite en partie des liens entre Savoie et Saint-Empire germanique :
Matthias SCHNETTGER, Le Saint-Empire et ses périphéries : l'exemple de l'Italie, in Histoire, économie & société 2004/1 (23e année), p. 7-23.
DOI 10.3917/hes.041.0007
Cet article référence en note 36, deux articles de référence plus anciens :
* Sur la Savoie et l’Empire, la référence reste Giovanni Tabacco, Lo stato sabaudo nel Sacro Romano Impero, Torino, Paravia, 1939.
* Voir aussi Irénée Lameire, Les dernières survivances de la souveraineté du Saint Empire sur les états de la monarchie piémontaise, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 33, 1909, p. 26-53, 192-214.
A quelle date, cette situation a-t-elle cessée ?
Nous n’avons pas trouvé de date précise.
On pourrait avancer sous réserves que cette sujétion aurait cessé lors de l’accession de la famille ducale savoyarde au trône de Sardaigne (par échange avec la Sicile) pour ce qui allait devenir le royaume de Piémont-Sardaigne, le 8 août 1720.
Par ailleurs, le Saint-Empire romain germanique « disparait » le 6 août 1806 lorsque l’empereur François II dépose sa couronne pour n'être plus qu'empereur d'Autriche. A l’époque, la Savoie était englobée dans l’Empire napoléonien.
Cependant, il ne faut pas oublier que les rapports entre la Savoie et le Saint-Empire n’étaient pas un long fleuve tranquille. Au moyen-âge, Humbert III avait voulu s’affranchir de la tutelle de l’Empire, en prenant parti pour le Pape contre l’empereur Frédéric Barberousse. Mal lui en a pris puisque ce dernier coalisa ses voisins contre la Savoie et celle-ci manqua de disparaître après la guerre qui suivit.
Plus généralement, la Savoie naviguait au fil des siècles entre France et Saint-Empire, voire entre Bourbons et Habsbourg, pour s’agrandir ou plus prosaïquement survivre face à ses deux imposants voisins.
Sources :
* Histoire de la Savoie de Robert Colonna d’Istria
* Charles-Emmanuel de Savoie : la politique du précipice de Stéphane Gal
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